Rédigé par 5 h 30 min CDs & DVDs, Critiques

Retour gagnant (Concerti per violoncello, Hanna Salzenstein, Le Consort – Mirare)

Concerti per violoncello

Domenico Gabrielli (1659-1690)
Sonate en Sol Majeur – Grave

Anonyme vénitien
Concerto pour violoncelle

Antonio Vivaldi (1678-1741)
Concerto en do mineur RV 401

Giuseppe Maria Dall’Abaco (1710-1805)
Caprice pour violoncelle seul n°2 en sol mineur

Giorgio Antoniotto (1681-1766)
Concerto en sol mineur

Niccolo Sanguinazzo (vers 1690-1720)
Ricercar en Do Majeur

Antonio Vivaldi
Concerto en Do majeur RV 400
Concerto pour deux violoncelles RV 531

Giuseppe Maria Dall’Abaco
Caprice pour violoncelle seul n°10 en La majeur

Giovanni Benedetto Platti (1697-1763)
Concerto en Ré majeur WD 651

Giuseppe Maria Jacchini (1667-1727)
Concerto decimo per violoncello obligatto op.4

Hanna Salzenstein, violoncelle

Le Consort :
Théotime Langlois de Swarte (violon), Sophie de Bardonnèche (violon), Yaoré Talibart (violon), Marta Paramo (alto), Albéric Boullenois (violoncelle), Arthur Cambreling (violoncelle), Alexandre Teyssonnière de Gramont (contrebasse), François Leyrit (contrebasse), Nacho Laguna (théorbe), Thibault Roussel (archiluth), Justin Taylor (clavecin), Nora Dargazanli (clavecin), Benoît Hartouin, Felipe Guerra & Diego Le Martret (orgue), Evolène Kiener (basson).

1 CD digipack, Mirare, 2025, 68′

Voici le second volet du dyptique (à moins qu’un futur troisième opus ne vienne enrichir cette structure) que Hanna Salzenstein consacre à l’émergence du violoncelle soliste. E il violoncello suonoparu l’année dernière chez Mirare et largement consacré aux sonates et aux formes pour violoncelle seul – nous avait enthousiasmé. C’est avec un plaisir non feint que nous retrouvons la jeune violoncelliste émancipée du Consort pour ce deuxième disque sous son nom, aussi bien suite de l’exploration que résurgence d’œuvre oubliées, au point qu’une fois encore plusieurs d’entre elles sont enregistrées pour la première fois.

Un second opus dans lequel Hanna Salzenstein ne renie rien de ses fidélités musicales, l’ensemble des autres membres du Consort[1] apparaissant sur cet enregistrement en compagnie d’autres musiciens, pour un quatuor initial qui s’étoffe et devient orchestre, pour mieux accompagner un programme qui se penche cette fois sur les concerti (et autres formes concertantes) des débuts du violoncelle. Une fois encore Hanna Salzenstein fait la part belle dans son programme aux compositeurs italiens, qui constituent l’intégralité des auteurs des œuvres figurant sur ce disque, parmi lesquels nous retrouvons quelques références chères à la musicienne. C’est notamment le cas de Giuseppe Maria dall’Abaco (1710-1805) qui après avoir eu l’honneur de trois pièces dans le précédent opus, réapparait cette fois à deux reprises, comme pour deux respirations solistes, à l’occasion de deux Capricci, tout d’abord dans un très beau Caprice pour violoncelle seul n°2 en Sol mineur, grave et introverti, puis un peu plus loin en cours de programme pour un Caprice pour violoncelle seul n°10 en La majeur, l’occasion de réaffirmer tout ce que l’expressivité des pièces du compositeur italo-belge doivent à Jean-Sébastien Bach et à quel point le son ample et grainé, par moment caverneux du violoncelle Pieter Rombouts (Amsterdam, 1711) de Hanna Salzenstein s’avère parfaitement en phase avec ce répertoire.

Cet enregistrement étant aussi le fruit d’un patient travail de recherche aux sources concertantes de l’instrument, il s’avère l’occasion d’exhumer quelques morceaux inédits, comme cette œuvre de Giuseppe Maria Jacchini (1667-1727), un Concerto decimo per violoncello obligatto op.4, œuvre de chambre aux parties solistes émergeantes bien qu’encore timides, caractérisée par un premier mouvement au Largo affirmé et franc dans ces intonations, versant vers un Presto concertant et virtuose, dévoilant que derrière une forme encore un peu classique le violoncelle ne demande qu’à s’émanciper.

Un Giuseppe Maria Jacchini, bolognais, qui fut aussi l’élève de Domenico Gabrielli (1659-1690), compositeur du Grave de la Sonate en Sol majeur ouvrant le disque, une introduction pour violoncelle seul comme un pas de côté à la thématique générale, mais offrant l’aperçu de l’usage de l’instrument déjà si expressif, si évocateur, à la nostalgie si prégnante dont fait preuve le compositeur, en pleine connaissance des sentiments pouvant émerger de son instrument.

Au rang des pièces inédites, relevons aussi ce Concerto pour violoncelle anonyme vénitien, retrouvé dans les archives de la Bibliothèque nationale de France. Un style assez extraverti qui fera indéniablement penser à Vivaldi, bien qu’en plus échevelé (oserions-nous aller jusqu’à débraillé ?) notamment sur l’Allegro initial, très enlevé et pour le coup terni par un clavecin trop sur le devant, s’imposant presque en force là où rien ne le réclamait. Une prépondérance du clavecin encore relevable dans le second mouvement, le mélancolique Largo Affettuoso Largo, comme un paysage de brumes se levant au petit matin, sans rien dévoiler du mystère restant attaché à son compositeur.

Autre trouvaille d’archives, le Concerto en Sol mineur de Giorgio Antoniotto di Adorni (1681-1766, ou 1776 selon d’autres sources) retrouvé à la Library of Congress de Washington que l’on retiendra surtout pour son deuxième mouvement, un largo avec une réflexive ligne de violoncelle qui n’est pas sans rappeler les compositions pour hautbois d’Albinoni  et même si sur cette même œuvre on regrettera une fois de plus un troisième mouvement Allegro minuetto à la cohérence d’orchestre un peu brouillonne, sans relief et du coup un peu tapageuse sur cette alliance au final assez fortuite entre violoncelle et basson.

Passons sur le détour, par trop fugace, par un Ricercar de Niccolo Sanguinazzo (vers 1690-1720) sans richesse de composition particulière pour nous arrêter sur le Concerto en Ré majeur WD 651 de Giovanni Benedetto Platti (1697-1763), lui aussi inédit au disque. Padouan d’origine, il fut assez certainement élève de Francesco Gasparini à Venise où il croise sans doute la route de compositeurs tels que Vivaldi, Lotti, Albinoni ou encore Alessandro et Benedetto Marcello. Son concerto pour violoncelle, léger, à la structure aussi simple qu’efficace se distingue particulièrement par le largo de milieu d’œuvre, avec une très harmonieuse ligne de violoncelle dialoguant avec les violons, soulignant sans exagération aucune la mélodie de dégageant de l’instrument.

Hanna Salzenstein pouvait elle faire l’impasse sur Vivaldi ? Sans doute pas tant le chantre de Venise fut aussi de ceux qui magnifièrent le violoncelle au sein d’une œuvre aussi luxuriante que séduisante. Trois concerti prennent place sur ce disque, sur les vingt-sept que le vénitien consacra à l’instrument. Et de ceux-ci le plus important est assurément le Concerto pour deux violoncelles RV 531, unique exemple d’un concerto pour cette paire d’instrument, sur lequel Vivaldi fait la démonstration de sa maîtrise de composition, structurant et étageant à merveille son premier mouvement, un allegro sur lequel Albéric Boullenois tient le second archet et offre un mouvement final allegro très enlevé, à l’exacerbation vivaldienne très caractérisée, faisant de cette œuvre l’une des compositions les plus abouties pour l’instrument, au moins à la période baroque. Des deux autres compositions de Vivaldi, le Concerto en Do mineur RV 401 et le Concerto en Do majeur RV 400 nous retiendrons l’expressivité et la gravité charnelle de l’allegro initial du premier (RV 401), avant que la composition ne se teinte d’une gravité à la fois triste et pleine d’espérance dans le second mouvement (qui n’est pas sans parenté avec dall’Abaco pour le coup), et ne se termine dans un troisième mouvement fugué du plus bel effet, et un second (RV 400) appréciable pour la splendeur de son second mouvement, élégiaque et langoureux, avec un magnifique continuo de clavecin, cette fois à sa place.

Dans ce second volet de son exploration des premières œuvres pour violoncelle en majesté, Hanna Salzenstein conserve son appétence pour la œuvres oubliées ou délaissées. Une alliance subtile et sublime de compositions savamment glanées et remise en majesté, où l’on regrettera juste que l’orchestre du Consort ne tende vers plus de tempérance, de cohérence et de mise en relief au sein du collectif de musiciens.

 

 

                                                                       Pierre-Damien HOUVILLE

Technique : enregistrement clair et aéré.

[1] Notons que l’orchestre Le Consort reprendra du 2 au 12 novembre prochain Iphigénie en Tauride de Gluck à l’Opéra-Comique, dans une mise en scène signée Wajdi Mouawad.

Étiquettes : , , , , , , , , , , , , Dernière modification: 12 mai 2025
Fermer