« E il violoncello suonò »
Giulio Taglietti (1660-1718) : Aria da suonare XIX col violoncello e spinetta o violone (Adagio),
Giulio de Ruvo (vers 1650, vers 1716) : Ciaconna,
Antonio Vivaldi (1678-1741) : Sonata a violoncello solo e basso continuo in mi minore RV.40
Giuseppe Maria Dall’ Abaco (1710-1805) : Capriccio per violoncello solo in do minore
Antonio Vivaldi : Sonata a violoncello solo e basso continuo in si bemolle maggiore RV.46 (Largo)
Giovanni benedetto Platti (1607-1763) : Sonata terza a violoncello solo e basso continuo in la maggiore (secondo libro) (Largo),
Giorgio Antoniotto (1681-1776) : Sonata IV a violoncello solo e basso continuo in re minore, opera prima,
Giuseppe Maria Dall’Abaco : Capricio IV per violoncello solo in re minore,
Benedetto Giacomo Marcello (1686-1739) : Sonata III a violoncello e basso continuo in la minore, opera prima (Largo),
Gasparo Garavaglia (XVIIIème siècle) : Sonata per violoncello e basso continuo in sol minore,
Giuseppe Maria Dall’Abaco : Capriocio VI per violoncello solo in mi minore,
Antonio Vivaldi : Trio sonata a violino, violoncello e basso in sol maggiore RV.820
Giulio de Ruvo : Tarentella
Hanna Salzenstein, violoncelle
Justin Taylor, clavecin,
Thibaut Roussel, théorbe,
Albéric Boullenois, violoncelle,
Théotime Langlois de Swarte, violon,
Marie-Ange Petit, percussions,
1 CD digipack, Mirare, 2023, 65′
Voici le disque d’une double émancipation. Celle d’Hanna Salzenstein tout d’abord qui pour ce premier enregistrement sous son nom s’émancipe de la formation l’ayant fait connaître, le Consort, même si les noms de Justin Taylor (clavecin) et Théotime Langlois de Swarte (violon) figurent en bonne place dans les accompagnants, un soutien comme un parrainage. Et l’émancipation d’un instrument également, la violoncelliste mettant en lumières au travers des pièces composant son programme les premières œuvres mettant le violoncelle en majesté, le sortant de son rôle d’accompagnant des parties de basse, pour en révéler les capacités propres, en souligner l’émergence d’une expressivité, d’une virtuosité qui le caractérise.
Quel meilleur exemple pour faire la démonstration du timbre du violoncelle et de sa personnalité vibrante et doloriste que cet Adagio tiré des Aria da suonare XIX col violoncello et spinetta o violone de Giulio Taglietti (1660-1718) d’une telle splendeur que l’on s’étonne en outre que cette gravure en constitue le premier enregistrement mondial ? Une découverte et déjà un classique tant ces quelques minutes s’avèrent un condensé de l’âme du violoncelle, dans ses capacités expressives, dans sa consubstantielle mélancolie, le compositeur tissant une plainte langoureuse mais très structurée, aux couleurs chaudes et magnifiées par le grain envoutant de l’instrument d’Hanna Salzenstein, un violoncelle hollandais issus de l’atelier du luthier Pieter Rombouts, parfaitement contemporain des œuvres exécutées (vers 1710-1715). Une partition en subtiles suspensions, délicatement soutenue par l’archiluth de Thibaut Roussel. Une pièce à la ligne claire, une évidence, un thème entêtant digne de tous les éloges. Giulio Taglietti, originaire de Brescia (Lombardie), violoncelliste réputé composa principalement des œuvres pour petits effectifs, ainsi que quelques concertos, entamant l’émergence du violoncelle avant les œuvres autrement plus connues de Vivaldi.
Hanna Salzenstein, au-delà de cet exemple probant s’attache à mettre en lumière des compositeurs quelque peu délaissés, voire carrément tombés dans l’oubli, à l’exemple de Gasparo Garavaglia dont les éléments biographiques sont tellement lacunaires qu’il s’avère impossible de donner une année précise à sa naissance, pas plus qu’à son décès. Tout juste pourra-t-on s’avancer à dire qu’il composa dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, et que Maître de Chapelle à la cathédrale Santa Croce de Forli (Emilie-Romagne) il participa aux hommages rendus en 1752 au Bienheureux Marcolino da Forli (1317-1397) dont la béatification avait été confirmée par le Pape Benoît XIV, et dont la chasse est encore visible au sien de la cathédrale de la ville. La Sonata per violoncello e basso continuo in sol minore présentée dans ce programme en constitue la deuxième pièce pour la première fois enregistrée et après un Adagio assez sage, soutenu par de belles notes de clavecin, l’oeuvre séduira surtout par son Allegro, très sec et très vif, aux franches attaques, belle démonstration de la virtuosité un peu sévère de l’instrument, avant que le tempo ne s’apaise pour un Grave mélancolique, tempéré par un sautillant clavecin. Une Gigue, brève, enlevée, bien qu’un peu lourde, venant conclure une pièce conçue ostensiblement comme une démonstration des capacités instrumentales de l’instrument.
Mais au-delà de ces pièces, forcément nouvelles à nos oreilles, la violoncelliste explore le répertoire, encore balbutiant de l’instrument, nous gratifiant d’autres très belles trouvailles, comme les pièces plus tardives signées Giuseppe Maria Dall’Abaco (1710-1805), belge d’origine italienne (parfois connu sous le simple nom de Joseph Abaco en Belgique) dont nous sont donnés trois Capriccio pour violoncelle (dont l’intégrale a déjà été remarquablement enregistrée par Kristin von der Goltz chez Raumklang dès 2006). Le 1er, en do mineur, d’une épure que n’aurait pas reniée un Bach rompu à l’exercice ne peut que subjuguer, ou titiller ceux qui ne verront dans cette somptuosité introspective qu’un hommage appuyé fleurtant avec le plagiat. Le 4ème, en ré mineur, toujours aussi épuré et un peu traînant a des accents de paysages enneigés, délicieusement intemporel et nostalgique, comme un pur instant d’égarement. Et le 6ème, plus mélodieux et léger, bien que lui aussi teinté de nostalgie, laisse se déployer toute la sensibilité et les qualités d’interprète d’Hanna Salzenstein, qui sur ce morceau laisse exploser toute sa personnalité, délivrant un jeu à la fois très structuré, précis et grandement évocateur.
Le temps d’un détour nous arrivons du côté de chez Giorgio Antoniotto (1681-1776), issu de la famille de patriciens génois des Adorno et que ses sympathies espagnoles durant la Guerre de Succession d’Espagne (1701-1714) contraignirent à rejoindre ce camp et à combattre, avant de reprendre ensuite une carrière de musicien à travers toute l’Europe. C’est vraisemblablement suite à un duel à Paris que, blessé à la main, il se voit obligé de délaisser le violon au profit du violoncelle. Une vie pour le moins aventureuse, le voyant aussi négocier pour le compte d’Isabelle d’Espagne l’engagement d’un certain Farinelli. Voyageant souvent entre l’Angleterre et l’Espagne, c’est au cours de l’un de ces trajets qu’il trouve la mort à Calais, au-delà de 95 ans. Une vie tumultueuse qui ne l’empêche pas de composer cette Sonata IV a violoncello solo e basso continuo in re minore de laquelle se détache un bel adagio, très cadencé et un peu plus tard un Vivace tendu, participant à faire de cette œuvre, non pas la plus belle curiosité du programme, mais un détour agréable dans lequel les qualités de l’instrument offrent une fois de plus à s’exprimer.
Doit-on succomber à l’exercice de la coupe et ne présenter d’une œuvre que son mouvement à nos oreilles le plus charmant ? Notre rigorisme aurait une tendance certaine à répondre par la négative, mais Hanna Salzenstein s’autorise cette entorse, ne livrant de la Sonata terza a violocello e basso continuo qu’un Largo, lent, intériorisé et d’une composition finalement assez classique, et de la Sonata III a violoncello e basso continuo in la minore de Benedetto Giacomo Marcello (1686-1739) que le Largo également, mais ce dernier plus intéressant, d’une majesté au rythme un peu pompeux, lent et souverain, au final aussi intéressant que caractéristique des compositions de son auteur, malgré son extrême brièveté (moins d’une minute).
Autant de découvertes et de détours qui nous feraient presque oublier que Vivaldi reste, aussi pour le violoncelle, un compositeur incontournable. Si ce dernier est représenté par le Largo (une fois de plus orphelin des autres mouvements) de la Sonata a violoncello solo et basso continuo in si bemolle maggiore RV.46 dont nous soulignerons quelques parentés avec le Largo de son concerto pour violon n°14, la violoncelliste délivre dans son intégralité la Sonata a violoncello solo e basso contonuo in mi minore RV.40 dans laquelle il fait la démonstration de sa virtuosité de composition, passant d’un Largo initial grave et brumeux à un Allegro enlevé, sautillant et léger sur lequel la virtuosité vibrante de la violoniste fait merveille, et de terminer par un Allegro frotté de toute beauté, juste précédé l’un Largo sentimental. Du Vivaldi au sommet de son art, comme dans cette autre pièce, la Trio Sonata a violino, violoncello et basso continuo in sol maggiore RV.820 où s’exprime toute la joyeuseté du compositeur, nous divertissant de ses effets en entrées progressives des instruments avant un pénétrant Adagio où prédomine le violon, majestueusement secondé par la ligne mélodique du violoncelle, renouvelant le duo dans un Allegro final très expressif pour les deux instruments. On restera cependant fidèles à la lecture plus discrète, plus naturelle et plus équilibrée de Christophe Coin (L’Oiseau-Lyre) qui démontra que Vivaldi demeure un incontournable du violoncelle, instrument qu’il contribua aussi à magnifier.
Était-il originaire de Ruvo di Puglia (Pouilles) ce Giulio de Ruvo dont Hanna Salzenstein nous interprète deux courtes œuvres, une Chaconne en début de programme et une Tarentelle en fin d’enregistrement ? Tout porte à la croire, même si rares sont les éléments le concernant, lui qui fut actif à Naples au XVIIIème siècle. Deux œuvres moins essentielles que le reste du programme mais qui démontrent, si besoin était, que le violoncelle s’immerge avec un bonheur non feint dans une musique plus dansante, un répertoire plus populaire.
Ce premier disque de Hanna Salzenstein qui par la variété des œuvres et des compositeurs embrassés, de même que par l’intensité et la maturité de son jeu s’avère un complète réussite, magnifiant le violoncelle baroque et posant la première pierre d’une discographie soliste qui nous l’espérons se poursuivra avec la même flamboyante intensité.
Pierre-Damien HOUVILLE
Technique : enregistrement clair et respirant.
Étiquettes : Antonietto, Benedetto Platti, De Ruvo, Garavaglia, Guacomo Marcello, Langlois de Swarte Théotime, Maria Dall'Abaco, Mirare, Muse : or, Pierre-Damien Houville, Roussel Thibaut, Salzenstein Hanna, Taglietti, Taylor Justin, Vivaldi Dernière modification: 1 mars 2024