Rédigé par 15 h 14 min Concerts, Critiques

Passer son Bach (Récital Hanna Salzenstein – Lavoir Moderne, Paris, 4 mars 2025)

Hannah Salzenstein – site officiel de l’artiste, tous droits réservés


Récital

Giuseppe Maria Dall’Abaco (1710-1805)
Capriccio I pour violoncelle seul

Jean-Sébastien Bach (1685-1750)
1ère suite pour violoncelle seul

Giuseppe Maria Dall’Abaco
Capricio IV pour violoncelle seul

Jean-Sébastien Bach
3ème suite pour violoncelle seul

Giulio Taglietti (1660-1718)
Aria da suonare XIX, Adagio

Giulio de Ruvo (vers 1650-vers 1716)
Chaconne

Gasparo Garavaglia (XVIIIème)
Sonate pour violoncelle (extrait)

Hanna Salzenstein, violoncelle baroque
Arthur Cambreling, violoncelle baroque
Thibault Roussel, théorbe

Concert donné au Lavoir Moderne Parisien, mardi 4 mars 2025

Nous avions laissé Hanna Salzenstein en avril dernier dans les salons de la bibliothèque musicale de La Grange-Fleuret (Paris VIIIème) alors qu’elle y présentait son premier enregistrement en soliste (E il violoncello suono, Mirare) consacré au répertoire encore émergent du violoncelle en majesté, et dans lequel elle ressuscitait quelques rares pièces, signées de Dall’Abaco, de Ruvo ou Antoniotto, agrémentées de l’exhumation de morceaux enregistrés pour la première fois, à l’exemple du magnifique Aria da suonare de Giulio Taglietti (1660-1718).

A l’heure où la jeune violoncelliste poursuit son exploration dans un second album consacré cette fois aux premières œuvres concertantes mettant en exergue l’instrument (Concerti per violoncello, Mirare, compte-rendu à retrouver prochainement dans nos pages), c’est dans un tout autre décor que la retrouvons pour un récital. Celui-ci a été conçu comme un prolongement de son premier enregistrement, embrasse et entremêle les fameux Caprices de Giuseppe Maria Dall’Abaco avec celles, autrement plus connues de Jean-Sébastien Bach.

Le décor de briques brut du Lavoir Moderne Parisien sert ce soir d’écrin à la musicienne. Voici un lieu inhabituel pour ce type de répertoire, mais au final tout à fait approprié : la charpente de bois et la juste mesure du lieu (une centaine de places, sur de vieux et moelleux fauteuils de cinéma de velours violet) offrant un cocon dépouillé mais d’une belle sonorité, propice à de petits effectifs. D’autant que le lieu, une ancienne blanchisserie, connu son heure de gloire littéraire, Emile Zola s’en servant pour décrire la blanchisserie tenue par Gervaise dans l’Assommoir (1877), lieu de toutes les espérances avant d’être l’objet de sa déchéance, dans ce roman, dont l’ancrage dans le quartier de la Goutte-d ’Or et le succès d’édition valurent à son auteur une consécration littéraire durable.

C’est une savoureuse coïncidence que nous ne pousseront plus loin : ni Gervaise, ni Zola d’ailleurs, ne semblant particulièrement versés dans le répertoire baroque pour violoncelle… C’est avec le Capriccio I pour violoncelle seul que Hanna Salzenstein débute son récital. La musicienne nous émerveille de son épure et par l’expressivité des sentiments, distillant à la fois mélancolie et espérance pour quelques minutes comme suspendues, d’une suavité que rend extatique le grain du violoncelle d’époque du luthier Pieter Rombouts, tout à fait contemporain de se répertoire, conçu à Amsterdam vers 1710-1715. Ce morceau sublime, qui signe en lui-même tout le talent de composition de Giuseppe Maria Dall’Abaco, ou qui pour quelques esprits plus chagrins confirme que ce dernier était doté d’un indéniable talent pour se fondre dans les pas de Jean-Sébastien Bach, voire à en copier le style et les affects. D’origine italienne, comme son nom le laisse entendre, mais né à Bruxelles, Dall’Abaco exerça entre la cour du Prince-électeur de Bonn et Vérone en Italie et ses 11 Caprices pour violoncelle seul, parvenus jusqu’à nous par un manuscrit, sont bien connus des étudiants et des mélomanes et ont fait l’objet d’un enregistrement de référence par Kristin von der Goltz (Raumklang).

Et puisque justement l’objet de ce récital est de mettre en parallèle Dall’Abaco et Bach, Hanna Salzenstein propose en miroir de ce premier Capriccio la 1ère Suite pour violoncelle seul de Bach, dont le Prélude fait sous l’archet de la violoncelliste l’objet d’une interprétation respectueuse, un peu tendue, du meilleur effet, sans la fluidité exacerbée préromantique dont on l’affuble parfois encore.  La musicienne souligne au passage d’une interprétation très informée la grande variété d’inspiration du compositeur, et enchaîne avec talent, comme pour démontrer l’étendue chromatique de son instrument, les réappropriations de thèmes et rythmes, que ce soit sur une Courante, tout en mesure et en structure, ou sur la Sarabande et les deux Menuets qui lui font suite, comme autant d’exercice de style parfaitement maitrisés, avant que l’archet ne se libère par une Gigue finale, enlevée, pétillante et pleine d’humour.

Retour à Dall’Abaco pour son Capriccio IV per violoncello solo in re minore, lui aussi présent sur le premier disque de la violoncelliste, plus sombre, plus introverti, d’une délicatesse un peu triste dans ses premières mesures, mais qui sait au fil des notes distiller une lumineuse espérance et en cela très proche des sentiments introduits par Bach dans ces compositions. Mais avouons que cette suite de comparaisons finit par redonner à Bach la place, essentielle et primordiale, qu’il tient dans le répertoire pour violoncelle de cette période. Sa Suite pour violoncelle n°3, donnée à la suite du Capriccio de Dall’Abaco stupéfie par sa palette, offrant une composition d’une constante et aérienne légèreté, d’une fraicheur parfaitement maîtrisée à laquelle rend grâce Hanna Salzenstein dès le Prélude, d’une profondeur vivante qui n’a rien à envier à celui de la première suite, avant que le compositeur ne déploie une Courante aux attentes aussi subtiles qu’audacieuses et n’étonne au final avec deux Bourrées gracieuses, et la traditionnelle Gigue finale, toute en tension et en dramaturgie, parfaitement rendue par la violoncelliste qui fait de cette pièce l’un des plus beaux passages de son récital.

Après cette mise en perspective Dall’Abaco / Bach salutaire, comme la musique est aussi affaire d’influence et d’amitié, Hanna Salzenstein est rejointe par deux complices et amis de longue date, le violoncelliste Arthur Cambreling, le théorbiste Thibault Roussel pour un final composé de trois courtes mais marquantes pièces. Tout d’abord, l’Adagio de l’Aria da suonore XIX de Giulio Taglietti qui ouvre majestueusement son premier album. Une pièce dont la brièveté n’a d’égale que la majesté, puis pour une belle Ciaconna de Giulio de Ruvo, elle aussi présente sur l’album, a priori plus futile mais bel exercice de style, et enfin pour une Sonata per violoncello e basso continuo de Gasparo Garavaglia, compositeur méconnu mais qui sur ce morceau fait la démonstration qu’aux compositeurs talentueux l’oubli peut être cruel.

En définitive, cette soirée a été celle d’un récital parfaitement maîtrisé, rendu d’autant plus poignant par l’intimité du lieu, rendant au jeu d’Hanna Salzenstein une ambiance de salon du meilleur effet. Si cette dernière sera dans les prochaines semaines en tournée aux Etats-Unis avec le Concert de la Loge de Julien Chauvin pour un programme consacré aux Quatre Saisons de Vivaldi, nous attendons avec impatience qu’elle nous régale des pièces du second volet de ses explorations du répertoire baroque pour violoncelle, avec l’espérance ce que ce voyage se révèle tout aussi enthousiasmant que le premier.

 

                                                           Pierre-Damien HOUVILLE

Étiquettes : , , , , , , , , , Dernière modification: 14 mars 2025
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