Dans le Salon d’Hanna Salzenstein,
Sur la route du violoncelle, de Naples à Paris au XVIIIème siècle
Arcangelo Corelli (1653-1713) : Extrait d’une sonate pour violon
Antonio Vivaldi (1678-1741) : Sonate RV 46 (extrait)
Gasparo Garavaglia (XVIIIème) : Sonate pour violoncelle et basse continue en sol mineur (extrait)
Jean-Baptiste Masse (1700-1757) : Petits Menuets
Joseph Bodin de Boismortier (1689-1755) : Sonate op.14 n°1, Lentement
Jean-Baptiste Barrière (1707-1747) : Sonate pour violoncelle du livre III, n°1
Antonio Vivaldi : Sonate pour violoncelle RV40
Joseph Bodin de Boismortier : Sonate op.14 n°3
Giuseppe Maria Dall Abaco (1710-1805) : Caprice en ré mineur
Joseph Bodin de Boismortier : Sonate op.14 en la mineur
Giulio Taglietti (1660-1718) : Aria da suonare
Francesco Geminiani (1687-1762) : Sonate op.5 n°5
Gasparo Garavaglia : Sonate en sol mineur
Hanna Salzenstein, violoncelle
Albéric Boullenois, violoncelle
Thibaut Roussel, archiluth
Bibliothèque musicale La Grande Fleuret, Paris, 29 avril 2024
Souvenez-vous, il y a quelques semaines nous avions écris en ces pages tout le bien que nous pensions du premier disque en soliste de la violoncelliste Hanna Salzenstein, E il violoncelle suono (Et le violoncelle sonna), sorti au mois de février dernier (chez Mirare). L’échappée du Consort où elle se fit connaître à nos oreilles y dévoilait un programme mêlant compositeurs essentiellement français et italiens ayant magnifié fin XVIIème et début XVIIIème le violoncelle, comme instrument soliste, à même d’exprimer une très large palette de sentiments.
C’est ce soir dans le salon Gustav Mahler de la Bibliothèque de la Grange Fleuret (Paris VIII, rue de Vézelay) que nous la retrouvons pour un concert intimiste, une petite carte blanche, occasion de marquer la parution d’un disque qui connaît déjà un beau succès, au fil d’un programme où, accompagnée d’Albéric Boullenois au violoncelle et Thibault Roussel à l’archiluth (tous les deux déjà présents sur le disque), Hanna Salzenstein reprend une partie des œuvres présentes sur son disque, tout en s’autorisant quelques savoureuses digressions. Le cadre moelleux des banquettes du salon Second Empire (l’Hôtel particulier fut initié par le Vicomte de Dampmartin en 1867, avant de devenir bibliothèque musicale sous la houlette des musicologues Henry-Louis de La Grange et Maurice Fleuret, avant d’être reprise plus récemment par la Fondation Royaumont) et les chaudes boiseries se marient agréablement au son du violoncelle d’Hanna Salzenstein, un instrument du luthier Pieter Rombouts, conçu à Amsterdam vers 1710-1715, à la couleur aussi profonde que ses résonnances, pénétrantes, vibrantes et boisées, particulièrement émouvantes dans les mouvements les plus lents, les graves du répertoire présenté.
Le violoncelle comme un cheminement vers une émancipation, qui nous emmènera ce soir de Naples à Paris à la rencontre de quelques compositeurs, pas forcement parmi les plus connus, qui au tournant des XVIIème et XVIIIème siècles s’approprient l’instrument pour en révéler les capacités expressives, s’attachant à l’extirper de la position souvent secondaire à laquelle est il souvent cantonné, pour en faire un instrument soliste, en mesure de s’imposer seul ou dans de très petits ensembles. Si Jean-Sébastien Bach portera le genre au pinacle, notamment avec ses Suites pour violoncelle seul, écrites alors qu’il est à la cour du Prince Léopold Anhalt-Köthen entre 1717 et 1723, nombre de musiciens se sont appropriés l’instrument au fil d’une carrière qui souvent les mena de part et d’autre des Alpes, et le plus souvent des petites villes italiennes vers les contrées germaniques ou françaises.
Ce fut certainement le cas, même si des doutes subsistent sur la réalité de ces voyages, avec Arcangello Corelli (1653-1713) dont un extrait de sonate pour violon, transcrite pour deux violoncelles, ouvre le programme de ce soir, aux intonations d’une gravité enveloppante, belle entrée en matière pour l’instrument. De Corelli on saute à Antonio Vivaldi (1678-1741) avec le célèbre Largo de sa Sixième sonate pour violoncelle (RV 46), langoureuse et fluide, toute en sentiments à la fois joyeux et profonds, comme une symbiose de toutes les qualités de l’instrument.
Mais au-delà de ces compositeurs pour le moins renommés, nous sommes d’autant plus séduits dès que Hanna Salzenstein s’aventure vers des chemins moins balisés, à la découverte de musiciens plus confidentiels et de pièces par essence plus rares. C’est le cas notamment avec Gasparo Garavaglia, sur lequel les sources sont tellement lacunaires que la seule certitude le concernant est qu’il vécu dans le courant du XVIIIème siècle en Italie. Sa Sonate en sol mineur, enregistrée pour la première fois au monde par la violoncelliste, très bachienne dans ses intonations, délivre une musique à la fois très structurée et d’une grande profondeur, faisant des extraits joués un moment parmi les plus intense de ce concert, comme ce compositeur était aussi l’une des plus belles découvertes de l’enregistrement.
L’artiste ne résiste pas aux attraits d’un autre Italien, bien connu des violoncellistes mais peu au-delà de ce cénacle, Giuseppe Maria Dall Abaco (1710-1805). Comme son nom ne l’indique pas, ce dernier est né à Bruxelles (où était installé son père, le compositeur Evaristo Felice Dall Abaco, natif de Véronne). Au service du prince-électeur de Bonn dans sa jeunesse, il fera ensuite une partie de sa carrière en Angleterre, avant de se fixer définitivement à Véronne en 1753. Compositeur d’une quarantaine de sonates pour violoncelle et de quelques pièces plus éparses auxquelles plusieurs musiciens s’intéressent ces dernières années (Bruno Cocset ou Elinor Frey lui ont consacré des enregistrements récemment), il apparaît par deux fois dans le programme de ce soir. Une première pour un court Caprice pour violoncelle seul en do mineur, dont Hanna Salzenstein saisit parfaitement le caractère vif et virtuose, exaltant la nervosité de l’instrument, renforcée par un jeu aux attaques très franches, et une seconde lors d’un autre Caprice, cette fois en ré mineur, tout aussi démonstratif et enlevé, comme une ode à la virtuosité de l’instrument.
Les compositeurs français ne sont pas en reste, qui eux aussi se sont appropriés l’instrument pour des compositions aux sonorités et allures forcement moins italianisantes. C’est le cas de Joseph Bodin de Boismortier (1689-1755), dont il nous sera donné le loisir d’entendre un beau Lentement, extrait de sa sonate op.14 n°1 mais aussi un autre Lentement (Sonate op.14 n°3) sur lequel les deux violoncelles se répondent et s’allient dans une belle homogénéité, avant que ne soit jouée également la Sonate en la mineur de l’opus 14 dont nous remarquerons particulièrement le premier mouvement, enlevé et champêtre, assez caractéristique de la musique française de cette période. Autres détours par la musique française avec ces extraits, sensibles et légers des Petits Menuets de Jean-Baptiste Masse (1700-1757), l’une des premiers en France à s’intéresser à l’instrument pour compositions solistes. C’est Jean-Baptiste Barrière (1707-1747) qui clôture la liste des compositeurs français représentés dans ce programme, avec sa Sonate pour violoncelle, tirée du livre III n°1, à l’archet souple et mélodieux dans le premier mouvement, avec que le second n’émeuve encore plus, à la fois grave, doloriste et intimiste, avant que le mouvement conclusif ne se fasse aérien, léger, comme une renaissance.
Le temps d’un nouveau détour par l’incontournable Vivaldi et sa Sonate pour violoncelle RV40, l’une des vingt-sept que le compositeur vénitien consacra à l’instrument, dont nous ne pouvons que souligner la beauté virtuose des allegri, très virevoltants et vivaldiens, un autre du côté de chez Francesco Gemniani pour une belle Sonate op 5, n°5, et Hanna Salzenstein nous interprète l’Aria da suonare de Giulio Taglietti (1660-1718), plage introductive de son disque, d’en entêtante somptuosité, une ligne mélodique d’une intense mélancolie, soutenue par l’archiluth et qui, vous l’aurez compris, aura terminé de nous charmer, son souvenir nous accompagnant lorsque l’heure vint de nous fondre dans la nuit.
Pierre-Damien HOUVILLE
NdLR : La bibliothèque de la Grange Fleuret se situe au 11 bis de la Rue de Vézelay. Qu’il nous soit permis une courte digression pour mentionner que c’est à cette même adresse que vécu à partir du milieu des années 1960 le poète surréaliste Georges Henein (1914-1973), ami de Breton et de Bonnefoy, et aussi à ses heures savoureux chroniqueur des figures culturelles et artistiques de son époque.
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