« Il est bon quand même d’avoir eu un grand amour, une passion malheureuse dans sa vie. » (Albert Camus)
Passion : Lully, Charpentier, Desmarest
Jean-Baptiste-Lully (1632 – 1687) : extraits d’Amadis, de Proserpine, du Ballet du Temple de la Paix, d’Atys, du Ballet de la Naissance de Vénus, du Bourgeois Gentilhomme, d’Armide, de Persée, du Triomphe de l’Amour et d’Alceste.
Pascal Colasse (1649 – 1709) : Achille & Polyxène, Thétis & Pélée
Henry Desmarest (1661 – 1741): Circé, la Diane de Fontainebleau
Marc-Antoine Charpentier (1643 – 1704) : Médée
Véronique Gens, dessus
Les Chantres du CMBV (dir. Olivier Schneebeli)
Ensemble Les Surprises
Dir. Louis Bestion de Camboulas
1 CD, Alpha, enr. en novembre 2020, 57’12.
Qu’écrire lorsque tout est dit… ou presque. Après notre chronique de la superbe représentation en concert de ce programme quasi identique lors du Festival de Saint-Denis, voici l’enregistrement de cette passion pour la tragédie lyrique lulliste. Alors, on ne se paraphrasera pas complaisamment à redire les incroyables qualités de tragédienne de Véronique Gens, l’intensité fière du soprano irisé, l’art déclamatoire, la grandeur noble qui se dégage de ces saynètes certes recomposées mais où l’intelligence de Louis Bestion de Camboulas à construire un cheminement dramatique et tonal convainc et émeut. Exit les quelques choristes du concert qui faisaient pourtant merveille, cette fois-ci, le disque s’offre de luxe de disposer des Chantres du CMBV, le chœur se révèle ainsi plus ample, plus massif, tout aussi précis, très théâtral dans son incarnation des différents protagonistes (peuples assemblés, démons, etc…), même si il est toujours difficile et peu pertinent de comparer un live à sa captation. Les Surprises paraissent encore plus survitaminées que dans le souvenir de la représentation, dans une forme triomphante et corsée, au relents de baroque ça et là italianisant. L’attention aux couleurs, aux combinaisons de textures, la fermeté puissante des attaques, les danses robustes et carrées, les percussions fermes contribuent à une image martiale et chatoyante, d’une opulence digne des plafonds des Grands Appartements versaillais. Nous ne rentrerons volontairement pas dans le détail des extraits si ce n’est pour saluer la sélection des morceaux choisis alternant « tubes » et airs plus confidentiels, et pour s’étonner de la facilité de Louis Bestion de Camboulas à dépeindre un climat, brossé en quelques secondes de ritournelles, évitant toute fragmentation du programme. Cependant subsistent quelques regrets : d’abord l’ambition du propos tient difficilement en un disque, et l’on comprend les cornéliens dilemmes qui ont présidé à ces choix parfois un peu arbitraires et qui obligent à juxtaposer des écarts stylistiques. L’on aurait souhaité davantage de ritournelles ou d’airs instrumentaux (et pas seulement des danses) pour pré-conditionner l’auditeur aux sublimes surprises des grands airs de déploration, si concentrés, si magnifiques mais si brefs. Davantage de chœurs aussi, pour ne pas se jeter si vite dans la grande scène de déploration d’Alceste, ou dans les esprits infernaux remuants de Médée. Plus de respirations, plus de récitatifs secs, plus d’intrigue que ces tableaux successifs… Et puis au fur et à mesure que l’on écrit, la vérité apparaît, évidente : l’on aurait simplement souhaité que les Surprises nous gratifient d’une intégrale de tragédie lyrique lullyste ou post-lullyste !!! Et dans cette attente, la Passion selon Lully continue de nous dévorer.
Viet-Linh NGUYEN
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