Claudio MONTEVERDI et allii
Il Nerone, ossia L’incoronazione di Poppea, SV 308 (Néron, ou Le Couronnement de Poppée),
opéra en un prologue et trois actes créé en 1642 à Venise sur un livret de Giovanni Francesco Busenello d’après les Annales de Tacite
David Hansen | Nerone
Mari Eriksmoen | Poppea
Alix Le Saux | Ottavia
Emiliano Gonzalez Toro | Lucano / Soldato / Liberto / Famigliare / Tribuno
Lauranne Oliva | Drusilla / Virtù
Kacper Szelazek | Ottone
Anders Dahlin | Nutrice / Soldato / Famigliare
Nicolas Brooymans | Seneca
Mathias Vidal | Arnalta
Natalie Pérez | Valetto / Amore
Mathilde Etienne | Damigella / Fortuna
Eugenio di Lieto | Littore / Famigliare / Consulo
Pauline Sabatier | Venere
I Gemelli
Emiliano Gonzalez Toro | direction
Mathilde Etienne | mise en espace
Version mise en espace, Théâtre des Champs-Elysées, Paris, 24 mai 2023
Dernier volet du triptyque montéverdien d’I Gemelli, ce Couronnement de Poppée parvient à la scène parisienne dans une mise en espace très théâtrale autour d’un fauteuil, clin d’œil à ce Game of Thrones antique. Sans gloser sur l’ambiguïté de la partition et les difficultés de la restitution, sur lesquelles nous renvoyons nos lecteur à notre article détaillé sur les divergences entre les manuscrits de Venise et de Naples, sans même rouvrir l’éternel débat sur la paternité collective de l’œuvre, allons droit au but : voilà un Couronnement personnel et de haute tenue, à l’urgence dramatique, à la théâtralité incisive. Pourtant, adhérera t-on corps et âme à la vision très ironique de Mathilde Etienne, qui use souvent du second degré et emporte les personnages vers l’abîme du cartoonesque ou de la caricature ? Le superbe livret à tiroir permet une telle relecture, mais celle-ci ôte aussi grandeur et tragédie aux protagonistes : un Néron adolescent, une Poppée allumeuse ambitieuse, un Othon assez rustre, une Octavie superficielle, une Drusilla écervelée… Mathilde Etienne n’a guère d’empathie pour cette galerie qu’elle dépeint avec une cruauté souriante. Même le prétorien d’Emiliano Gonzalez Toro, messager de malheur, semble moins admirer le noble sacrifice de Sénèque que s’en moquer.
Vocalement, on applaudit le Néron erratique et impatient de David Hansen. Certes les aigus sont tirés, et le timbre pas toujours très mélodieux. Certes on a connu plus subtil dans les ornements (le duo avec Lucain), plus doux dans les effusions. Mais la projection fière, l’énergie d’adolescent impulsif plus qu’impérieux rendent l’incarnation crédible et jouissive. La Poppea de la norvégienne Mari Eriksmoen est parfois un peu trop vocale pour les récitatifs, et ne surjoue pas la femme fatale de velours, et son noble timbre, équilibré et lumineux ennoblit l’ambitieuse maîtresse, ce que contredit son jeu de vamp. Déception en revanche que ce geignard Kacper Szelazek aux aigus malhabiles et au timbre rocailleux qui a sans nul doute été sélectionné à contre-emploi pour ravaler le fidèle amoureux déçu au rang de trouble-fête un peu idiot, dont on se demande ce que la nymphette de Lauranne Oliva, à la pétillance de soubrette et à la fraîcheur de rosée, lui trouve pour s’offrir à la torture pour le protéger lors de l’attentat manqué. La scène du jardin puis du jugement compte d’ailleurs parmi les plus faibles de cette mise en espace : Othon s’affuble d’un déguisement risible qui provoque l’hilarité du public, et le revirement brutal vers la séquence intense de jugement inique puis de pardon est traitée avec une désinvolture burlesque digne d’une série américaine. Il faut dire aussi que le chef n’a pas hésité à multiplier les coupes. Si il n’introduit pas d’innombrables ritournelles, et demeure assez sobre dans l’orchestration (remarquables cordes pincées, violons à la justesse hasardeuse, adjonction discutable de cornets dont l’aigreur rappelle des débuts héroïques, et probablement joués par des musiciens plutôt flûtistes), c’est une version très condensée qui est offerte, où divers récitatifs ou des strophes disparaissent. Les interventions divines sont conservés dans le finale, on ne trouvera pas par exemple l’avertissement de Mercure à Sénèque juste avant sa confrontation avec Néron, qui rend le houleux débat d’autant plus poignant que le philosophe sait qu’il y joue peut-être sa vie, mais ne concède rien.
Episode qui résume cette vision, Poppée s’emmêle dans son duo d’amour final et devra le reprendre. Tout cela est superbement chanté, mais peu convaincu. Voilà en définitive un Couronnement ironique et moqueur, très distancié, et où l’ambition, le sexe, le pouvoir et l’amour sont autant de dés jetés au hasard au profit d’une relecture amusée et décalée, rafraichissante et pétillante, mais qui ôte une certaine profondeur amorale à l’œuvre.
Viet-Linh Nguyen