Rédigé par 12 h 53 min Musicologie, Regards

Le Couronnement de Poppée : Venise ou Naples, les manuscrits ennemis ?

Façade de la Bibliothèque Marciana à Venise, piazzetta dei Leoncini (c’est-à-dire un rebord de la place Saint-Marc) construite par Jacopo Sansovino et terminée parès sa mort par Vincenzo Scamozzi – Source : Wikimedia Commons

 

Les amateurs d’opéra le savent bien, chaque version du Couronnement de Poppée est un choix cornélien. Cette partition polymorphe nous est parvenue sous la forme de deux copies manuscrites postérieures à la création de l’opus. L’une, datée de 1646, a été exhumée à la Biblioteca Marcinia de Venise ; l’autre, portant le même titre mais le millésime 1651, a été découverte à la bibliothèque du conservatoire San Pietro a Majella de Naples. Leur étude a permis d’identifier plusieurs différences suggérant des adaptations ultérieures apportées à la partition d’origine (perdue). De toute évidence, un indicateur de succès remporté au moment de la création de cet opéra. Chaque Couronnement constitue ainsi un nouvel assemblage et même la version pionnière d’Harnoncourt soi-disant exhaustive ne l’est pas malgré ses 4 CDs (Teldec, 1974) et davantage de récitatifs conservés. Jean-Claude Malgoire (CBS, 1984) ou Claudio Cavina (Glossa, 2010) ont ainsi retenu le manuscrit napolitain (mais avec quelques coupes tout de même, cf. infra), William Christie a opté majoritairement pour la copie vénitienne, mais complétée car elle n’est pas autosuffisante.

Représentations

La première aurait eu lieu au Theatro de SS. Giovanni & Paolo (Teatro Grimano) lors de la saison du Carnaval de l’hiver 1642-1643. Il était situé Calle della Testa, construit par la famille Grimani d’où il tire son nom. L’autre appellation de Teatro de Santi Giovanni a Paolo vient de sa proximité avec la Basilica Santi Giovanni e Paolo. Inauguré le 20 janvier 1639, il fut utilisé jusqu’en 1748 et pouvait contenir environ 900 personnes grâce à 5 niveaux de 29 loges chacun. La scène avait une profondeur de 22 mètres, l’arche du proscenium faisait environ 10 mètres, 5 paires de ferme permettaient les changements de décors en perspective. C’était donc une salle relativement compacte qui mesurait environ 12,80 mètres de côté seulement, ce qui explique qu’un continuo chambriste peu étoffé y suffisait, tout comme dans les autres petits théâtres du temps de Venise : le San Cassiano ou le Novissimo. La seule source se rapportant à la création est un scenario de 1643. Carlo Fontana remania considérablement la salle en 1654 (cf. supra) en la transformant en salle destinée exclusivement à l’opéra et en innovant avec la forme dite en fer à cheval. C’est également dans cette salle que fu.t créé Il ritorno d’Ulisse in patria en 1640, le Xerse de Cavalli (1654) ou encore la Zenobia, regina d’Albinoni (1694).

Le Couronnement fut repris à Naples en 1651, par la compagnie I Febi Armonici par le comte d’Oñate dans une salle du Parco Reale, dite Comedor de la Pelota face à l’Arsenal, habituellement utilisée pour le jeu de paume. On dispose d’un Avissos de Napoles, 18 de Febrero 1651, évoquant une « Comedia de Musica Italiana nel Comedor de la Pelota » qui pourrait bien être notre Poppée.

A noter également, une représentation parisienne  en 1647, qui était passée sous le radar jusqu’à récemment, donnée par une troupe de chanteurs vénitiens venus à Paris à la demande du Cardinal Mazarin pour y donner l’Orfeo de Luigi Rossi, et qui, en retard, présentèrent en guise d’attente, dans un petit théâtre sans machine, « à l’improviste » Il Nerone, c’est-à-dire là encore le Couronnement de Poppée

Plan de salle du Teatro Grimano en 1654 dessiné par Carlo Fontana, dessin conservé au Sir Joah Soane’s Museum de Londres – Source : Wikimedia Commons

Paternité

La notion d’œuvre d’atelier doit ici prévaloir, plutôt que le génial chant du cygne d’un compositeur de 74-75 ans, même si Monteverdi fut sans doute le grand instigateur de l’opéra. Son nom n’est d’ailleurs pas présent sur le scenario de 1643, ni le texte de la reprise napolitaine de 1651 et Alan Curtis a très tôt questionné une paternité douteuse, présente dès la Minerva Al Tavolino, Lettere diuerse di Proposta, e Risposta a varij Personaggi, sparse d’alcuni componimenti in Prosa, et in Verso: Con Memori Teatrali Di Venezia de Cristoforo Ivanovitch (1681). Or cette source retraçant l’activité musicale vénitienne est parfois fautive, y compris sur le Couronnement dont elle mentionne une reprise en 1646 non attestée. Certes sur le dos du manuscrit vénitien, il y a une mention – « Monteverde » – rayée, mais elle a été ajoutée postérieurement, et cette inscription est reprise sur la première page de la partition. 

La pratique de la composition en atelier n’est guère nouvelle, ni surprenante pour Monteverdi dans le contexte vénitien : par exemple, il avait déjà composé l’Arianna sans doute avec Peri, la Maddalena avec S. Rossi et M. Effrem, l’Adone avec Manelli…Et les musicologues continuent de deviser sans fin sur des bases stylistiques sur les passages qui pourraient être dus à des confrères ou disciples plus jeunes tels Filiberto Laurenzi (c. 1620 – c. 1650) (peut-être la basse de « Chi professa virtù »), mais aussi Pier Francesco Cavalli (1602-1676), Benedetto Ferrari (1603/1604-1681) et Francesco Sacrati (1605-1650) notamment pour le duo final. 

Livret

Le scénario daté de 1643 est la seule source imprimée se rapportant à la première. En revanche, il existe une dizaine de copies manuscrites ou imprimées du livret, dont l’une ancienne de 1640. Une édition imprimée a également été publiée à Venise en 1656 dans le recueil Delle ore ociose, mais a été remaniée pour en faire un ouvrage littéraire autonome, puisque ces Fruits de l’oisiveté reprennent la totalité des drames en musique représentés de Busenello (cf. la superbe réédition bilingue de J-F Lattarico aux Classiques Garnier, coll. Bibliothèque du XVIIe siècle, 2016)b. On dispose également du livret de la reprise à Naples en 1651 intitulé II Nerone.

 

Entrée du Conservatoire de Musique di San Pietro a Majella à Naples – Source : Wikimedia Commons

Les deux manuscrits.

Nous voici au cœur des ténèbres. Aucun d’entre eux n’est de la main de Monteverdi. Selon les usages du temps, la plus grande partie des partitions est écrite sur deux portées: l’une pour le chant et l’autre pour la basse continue. L’instrumentation des sinfonie et ritournelles n’est nulle part précisée, bien que l’étroitesse de la salle et l’équilibre financier penchent pour un nombre d’instrumentiste resserré, loin des fastes princiers de l’Orfeo trente-cinq ans plus tôt à Mantoue

Manuscrit de Venise, Bibliothèque Marciana (Ms 9963)

Taddeo Wiel révèle l’existence d’une partition à la Bibliothèque Marciana de Venise en 1888.  Propriété de Pier Francesco Cavalli, élève et concurrent de Monteverdi, il s’agit d’un instrument de travail, à l’écriture rapide, un brouillon portant des traces de coupures, retouches, ajouts autographes de Cavalli. Il y a de multiples erreurs, des signes de transposition pour s’adapter aux chanteurs. Les ritournelles sont notées à 3 voix, pour autant que la basse figure.  Les actes I et III seraient de la main de l’épouse de Cavalli, Maria, l’acte II d’une autre main non identifiée. Elle comprend de nombreuses incohérences, et des réécritures / transpositions, notamment autour du rôle d’Othon, vraisemblablement de ténor à contralto.

Manuscrit de Naples, Bibliothèque du Conservatoire San Pietro a Maiella (Rari 6.4.1)

Cette partition manuscrite est découverte à la fin des années 20 par le professeur Guido Gasperini dans les locaux de service de la Bibliothèque du Conservatoire San Pietro a Maiella à Naples. Ce manuscrit est plus complet et cohérent que le manuscrit de Venise (10 scènes supplémentaires), et  s’avère plus proche du livret. Cependant des sections sont écrites dans un style postérieur, et le finale a été (encore plus) retravaillé. La calligraphie en est soignée, et il s’agit sans doute d’une copie destinée à une bibliothèque mais qui ne porte aucune trace d’avoir été utilisé pour une représentation : aucune coupure, transposition, aucune annotation pour des interprétations ultérieures, peu d’usure. En outre, bien que léchée, la copie n’en est pas moins quelquefois fautive qui rendent l’exécution impossible : erreurs de sauts de lignes dus à la distraction du copiste, excès de syllabes par rapport aux notes de la mesure… Hors, le manuscrit n’affiche pas les corrections nécessaires à une bonne exécution musicale. Les ritournelles sont notées à 4 voix. Il est à noter que la basse est identique dans les 2 manuscrits, ce qui laisse entendre à Harnoncourt que seule celle-ci au style « incontestablement montéverdien » selon lui aurait été écrite par Monteverdi-même.

A notre connaissance, mis à part le live d’Alberto Zedda (version lourde et monotone chez Nuova Era, sur instuments modernes et avec l’ajout incongru d’un hautbois) une scène extrêmement rare, que même Harnoncourt n’avait pas enregistrée n’est présente que dans ce manuscrit : il s’agit d’un autre monologue d’Octavie (Acte II, scène 7 selon le manuscrit de Naples) venant immédiatement ou légèrement en décalé après le dialogue Néron-Lucain. Ce monologue « Eccomi quasi priva », assez redondant avec d’autres de l’Impératrice d’où son amputation habituelle, voit l’impératrice bafouée se lamenter de son abandon, puis se décider de mûrir sa vengeance, ce qui la rend plus humaine et crédible dans son cheminement psychologique, mais atténue le choc du spectateur à voir la souveraine faire chanter Othon en le menaçant de l’accuser injustement de lèse-majesté ensuite si il ne se conforme pas à son projet de meurtre de Poppée. Nous vous en livrons le texte ci-dessous mais il ne figure pas non plus dans le livret imprimé de 1656 :

SCENA VII (1a versione)
Ottavia sola.

OTTAVIA
Eccomi quasi priva
Dell’ Impero e’l consorte,
Ma, lassa me, non priva
Del ripudio, e di morte.
Martiri, o m’ uccidete,
O speranze alla fin non m’affliggete.
Neron, Nerone mio
Chi mi ti toglie, oh dio,
Come, come ti perdo, ohimè,
Cade l’affetto tuo, mancò la fé.
Poppea crudel,
Poppea, cruda Poppea,
Se lo stato mi togli,
Se de’ miei regni, e d’ogni ben mi spogli
Non me ne curo, no, no, prendil’in pace,
Ch’io cedendoli a te, credi, che sono
Fuor d’ogni strazio rio, priva di lutto,
Nulla pretendo, e ti concedo il tutto.
Ma non mi negar, no,
Il mio sposo gradito,
Rendimi, rendimi il mio marito.
Lasciami questo sol, soffri a ragione,
Se mi togli l’imper, dammi Nerone.
Speranze, e che chiedete,
Se disperata son, no, non m’affliggete.
Disumanato cor, barbaro seno;
Neron, Poppea tiranni,
Cagioni de’ miei danni,
Farò che’l ferro giunghi
A recider lo stame
D’un affetto impudico, un petto infame,
Così, così fia, che riposi, e non deliri,
Che vendicata offesa
A chi d’oprarla o di trattarla è vaga,
Disacerba la piaga,
Mitiga il duol, e fuor d’ingiuria ascosa,
Rende la cicatrice piu gloriosa:
Ma, ma che parlo ? che parlo ? che tento ?
Uccidemi tormento;
Laceratemi o pene;
Straziatemi martiri;
Soffocatemi voi, caldi sospiri.
Memorie, memorie, e che volete ?
O lasciate i pensieri o m’uccidete.

 

La comparaison détaillée des deux manuscrits avec le livret imprimé de 1656

Ce tableau comparatif synthétise les divergences entre les manuscrits de Naples (Np), Venise (Vn) et le livret imprimé de 1656 (Lb pour libretto), dont 2 scènes ne figurent dans aucun des deux manuscrits. La division en actes et scènes suit la numérotation du livret, même si les airs, duos et récitatifs sont d’une telle souplesse que musicalement les sections sont souvent poreuses. Pour compliquer les choses, rappelons qu’il existe de nombreuses sources textuelles : le scénario de 1643, celui de trévise (1642 ?), Udine (1643 ?), Naples (1651), Venise (1656) et 3 non datés : Florence, Rovigo et Venise encore (Museo Correr).

D’après Tim CARTER, Monteverdi’s Musical Theatre. New Haven: Yale University Press, 2022. Parmi les disques, la traduction française la plus complète est celle de Malgoire, qui suit le livret imprimé calé sur le manuscrit de Naples, mais omet les deux scènes manquantes musicalement, qu’on trouvera uniquement chez Garnier dans le recueil édité par J-F Lattarico, Delle ore ociose (Les Fruits de l’oisiveté) où Busenello compila l’intégralité de ses drames musicaux. 

 

Protagonistes

Titre

Commentaires

Prologue

Fortuna, Virtù, Amore

Deh, nasconditi, o Virtù

L’opéra est précédé en guise d’ouverture par une brève sinfonia instrumentale

Acte I
Scène 1

Ottone

E pur’ io torno qui

 

Scène 2

Due soldati, Ottone

Chi parla? chi parla?

 

Scène 3

Poppea, Nerone

Signor, deh, non partire!

 

Scène 4

Poppea, Arnalta

Speranza, tu mi vai il cor accarezzando;

Vn ; plus courte ouverture de Poppea’s « Speranza, tu mi vai » que Np et Lb.

Scène 5

Ottavia, Nutrice

Disprezzata Regina, Regina Disprezzata!

 

Scène 6

Seneca, Ottavia, Valletto

Ecco la sconsolata donna

 

Scène 7

Seneca

Le porpore regali e le grandezze

 

Scène 8

Pallade, Seneca

Seneca, io miro in cielo infausti rai

 

Scène 9

Nerone, Seneca

Son risoluto alfine, o Seneca, o maestro,

 

Scène 10

Poppea, Nerone

Come dolci, Signor, come soavi

 

Scène 11

Ottone, Poppea

Ad altri tocca in sorte

Vn omet le récitatif final d’Ottone, et une expression de compassion d’Arnalta

Scène 12

Ottone

Otton, torna in te stesso

 

Scène 13
Fin de l’Acte I

Drusilla, Ottone

Pur sempre di Poppea, hor con la lingua,

 

Acte II
Scène 1

Seneca, Mercurio

Solitudine amata, eremo della mente

 

Scène 2

Liberto, Seneca

Il comando tiranno esclude ogni ragione

Vn omet des vers de Liberto, et la répétition de « More felice! »

Scène 3

Seneca, tre famigliari

Amici, è giunta l’hora

Vn omet des vers de Sénèque après le Coro di Famigliari

Scène 4

Seneca, coro di Virtú

Liete e ridente

Scène du livret absente de Np comme Vn où un coro di Virtú accueille Sénèque au ciel.

Scène 5

Valletto, Damigella

Sento un certo non so che

Vn abrège le duo final entre Valletto et Damigella

Scène 6

Nerone, Lucano

Hor che Seneca è morto, cantiam

Lb attribute à deux courtisans Petronio et Tigellino certains vers realloués à Nerone/Lucano dans Vn et Np. 

Vn : duo abrégé Nerone–Lucano duet et une strophe omise de l’air de Nerone

Scène 7

Nerone, Poppea

O come, O come a tempo

Scène du livret absente des deux manuscrits où Poppea redit son amour. Np transpose cette scène lors d’un solo d’Ottavia.

Scène 7a

Ottavia

Eccomi quasi priva

Monologue d’Ottavia présent uniquement dans Np et ni dans Lb ni Vn. Redondant avec le monologue de l’acte III « Addio, Roma! Addio, patria! amici, addio! »

Scène 8

Ottone

I miei subiti sdegni

Lb comprend 5 vers additionnel où Ottavia déverse sa rage vengeresse contre Poppea. Np étend cette scène de 18 vers.

Scène 9

Ottavia, Ottone

Tu che dagli avi miei havesti le grandezze

 

Scène 10

Drusilla, Valletto, Nutrice

Felice cor mio

 

Scène 11

Ottone, Drusilla

Io non so dov’io vada

 

Scène 12

Poppea, Arnalta

Hor che Seneca è morto, Amor, ricorro a te

 

Scène 13

Amore

Dorme l’incauta dorme

 

Scène 14
Fin de l’Acte II

Ottone, Amore, Poppea, Arnalta

Eccomi transformato

Lb comprend des vers supplémentaires non repris dans Vn ou Np

Acte III
Scène 1

Drusilla

O felice Drusilla, o che sper’io?

 

Scène 2

Arnalta, Littore, Drusilla

Ecco la scelerata

 

Scène 3

Arnalta, Nerone, Drusilla, Littore

Signor, ecco la rea

Dans Np, 4 vers de Drusilla de la scène 4 suivante figurent ici avec une musique différente. Ils demeurent dans la scène 4 dans les 2 manuscrits, avec une musique différente. Lb ne les fait figurer qu’à la scène 4.

Scène 4

Ottone, Drusilla, Nerone

No, no, questa sentenza cada sopra di me

Littore pronounce un vers dans Np et Lb, absent de Vn.

Scène 5

Poppea, Nerone

Signor, hoggi rinasco

 

Scène 6

Arnalta

Hoggi sarà Poppea di Roma imperatrice

Lb inverse les Scènes 6 et 7 par rapport à Np et Vn, afin que le Lamento d’Ottavio précède la joie d’Arnalta.

Scène 7

Ottavia

Addio, Roma! Addio, patria! amici, addio!

 

Scène 8(a)

Nerone, Poppea,

Ascendi, o mia diletta

 

Scène 8(b)

Consoli, tribuni

A te, sovrano augusta

 

Scène 8(c)

Amore, Venere, coro di Amori

Madre, madre, sia con tua pace

Lb et Np contiennent une version plus longue de cette scène. Le Coro di Amori n’apparaît pas dans Vn.

Scène 8(d)

Fin de l’Opéra

Nerone, Poppea

Pur ti miro, pur ti godo

Le texte du célèbre duo d’amour conclusif présent dans Vn et Np, n’apparaît pas dans le livret, mais on les retrouve dans le livret d’Il Pastor regio 1641) de Benedetto Ferrari (cf. infra).

Pour approfondir la comparaison, l’on trouvera également le livret en italien, avec des notes comparatives éclairantes, y compris de subtiles variantes, d’après le projet Opera Glass de l’Université de Stanford.

 

Le finale et le fameux duo « Pur ti miro »

Dans les 2 manuscrits, l’œuvre se conclut par le fameux et superbe duo final « Pur ti miro » non présent au livret et dont les paroles proviennent de l’opéra Il Pastor regio de Benedetto Ferrari (1641) dont la musique a été perdue. Un temps pressenti comme le compositeur de cette pièce, certains musicologues penchent parfois désormais vers une paternité de Francesco Sacrati (1605-1650) même si stylistiquement Ferrari demeure à nos yeux le candidat le plus probable. Son « Queste pungenti spine » y ressemble d’ailleurs beaucoup. Enfin, notons que « Pur ti miro » se retrouve également dans le finale du Trionfo della fatica de Filiberto Laurenzi, divertissement représenté lors du carnaval de Rome de 1647, à la musique perdue.

 

Conclusion : réconcilier Naples & Venise ?

 Le musicologue et chef d’orchestre Stefano Aresi conclut assez catégoriquement à l’impossibilité de réconcilier les deux partitions, à l’inverse de la tentative pionnière – pourtant plutôt musicalement convaincante à nos yeux, quoique trop opulente, d’Harnoncourt de 1973-74 :

« Depuis longtemps déjà, il est clair que les deux sources de la musique sont des versions distinctes et autonomes d’un texte, qui depuis le début de son histoire, devait avoir une transmission et une genèse plutôt difficile. Les précieux exemplaires vénitien et napolitain témoignent de la réalité historique du Couronnement de Poppée à des niveaux différents, irréconciliables, éloignés, qui nous indiquent bien l’existence de bien d’autres niveaux de stratification impossible à reconstruire. Quelle que soit l’interprétation qu’on veuille faire de ces musiques, elle ne pourra jamais consister en un mélange ou en une union arbitraire de passages des deux versions, à moins de vouloir créer un monstre qui, d’un point de vue historique, n’aurait ni queue ni tête. » (S. Aresi, « Quand le Néron napolitain parle vénitien » in livre-disque du Couronnement de Poppée, La Venexiana, C. Cavina, Glossa)

En réalité, ce que la musicologie dédaigne, les Muses le plébiscite. 

 

Viet-Linh Nguyen

 

Étiquettes : , , Dernière modification: 30 mai 2023
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