« Que l’on chante, que l’on danse »
Alexis Kossenko © Anne-Elise Grosbois
Jean-Baptiste LULLY (1632-1687)
Atys
Tragédie en musique, en un prologue et cinq actes,
créée dans la Salle des Ballets du château de Saint-Germain en Laye, le 10 janvier 1676
sur un livret de Philippe Quinault (1635-1688)
Atys : Mathias Vidal
Cybèle : Véronique Gens
Cœlénus : Tassis Christoyannis
Sangaride : Gwendoline Blondeel
Flore / une divinité de Fontaine : Virginie Thomas
Doris : Hasnaa Bennani
Melpomène, Mélisse : Éléonore Pancrazi
Le Temps, un Songe funeste, Le Fleuve Sangar : David Witczak
Idas, Phobétor : Adrien Fournaison
Un Zéphyr, Morphée, un Dieu de Fleuve : Antonin Rondepierre
Le Sommeil : Carlos Rafael Porto
Iris, une divinité de Fontaine : Marine Lafdal-Franc
Phantase : François-Olivier Jean
Les Ambassadeurs ~ La Grande Écurie
Les Pages et les Chantres du CMBV (Fabien Armengaud, direction artistique)
Version de concert du 26 mars 2024, Théâtre des Champs-Elysées, Paris.
Coproduction Centre de musique baroque de Versailles | Les Ambassadeurs ~ La Grande Écurie | Opéra Grand Avignon | Atelier lyrique de Tourcoing | Théâtre des Champs-Elysées
Après Avignon, puis Tourcoing, voici hélas déjà la dernière des trois représentation de cet Atys tant travaillé. L’on s’étonne que vu l’investissement majeur du CMBV, pour se rapprocher le plus possible de la création de 1676, aucune représentation à l’Opéra Royal n’ait été envisagée. En outre, cette 3ème et dernière se fera sans les chorégraphies des Ballets de l’Opéra Grand Avignon, qui s’inséraient avec naturel et élégance à la mise en espace, et permettaient de recréer le hiatus entre musiciens de scène (les vents) et de fosse. Nous renvoyons nos lecteurs à notre compte-rendu de la
représentation de Tourcoing pour les aspects historiques et musicologiques de cette création, et profiteront de cette chronique pour souligner les différences interprétatives de cette soirée au TCE, chaque représentation étant unique.
© Anne-Elise Grosbois
Et elles sont de taille ! L’orchestre était toujours disposé dans la fosse, avec les violons tournant le dos à la salle, conformément à la pratique du temps. Etonnamment, cela n’a pas tant d’incidence que cela sur l’acoustique, et alors que la salle était nettement plus vaste, les sonorités furent plus claires, plus directes, plus détaillées. Les deux théorbes que l’on entendait quasiment pas à Tourcoing sont désormais bien présents, et scandent régulièrement les récitatifs, ou se laissent aller à la rêverie de la grande scène de Sommeil. Clavecin et voiles sont toujours aussi remarquables. Mais les deux grands changements de ce jeu des 7 erreurs furent le remplacement de Sandrine Piau par Gwendoline Blondeel (que l’on vient de voir en
Jonathas sur cette même scène) en Sangaride. L’aimable nymphe y gagne en juvénile innocence, en candeur et en charme pudique, et ses duos avec Mathias Vidal en ressortent dramatiquement renforcés. Surtout, débarrassé du ballet, ou exubérant pour cette dernière, ou encore trop éclairé sur la scène du TCE (là où Tourcoing n’était que pénombres) Alexis Kossenko, qui nous avait surpris par sa retenue lancinante, troque l’hypnose et le poison insidieux pour une lecture décapante, à l’énergie fière et cuivrée.
Notez les violons en demi cercle tournés vers la scène © Anne-Elise Grosbois
Baste les attaques amollies, revoici Alexis Kossenko dans son humeur plus habituelle : un chef sanguin, dirigeant au centre de son orchestre Les Ambassadeurs ~ La Grande Écurie avec une gourmandise jouissive (il a failli éborgner une gambiste à plusieurs reprises) : les ritournelles sont italianisantes, le noyau des cordes des 24 Violons du Roi reconstitués par le CMBV dense et minéral, les rythmes pointés moins gracieux mais plus emportés, les danses sont presque expédiées comme une formalité bouillonnante, comme autant d’importuns retardant l’action. Les graves projettent davantage et l’orchestre paraît plus présent, plus fourni, plus acteur et moteur du drame. Les hautbois et cromornes (traités en musiciens de scène) et leur sonorités rugueuses apportent une verdeur rutilante presque archaïque; le hiatus entre les cordes et les vents est plus prononcé qu’à Tourcoing, car le tactus plus serré les conduit au pépiement champêtre ou à la sonnerie martiale.
Mathias Vidal © Anne-Elise Grosbois
Sur scène, Mathias Vidal s’est mis au diapason, et son Atys crève l’écran, pardon, la scène : agité, révolté, hypersensible et hyperactif, il domine largement le reste de ses partenaires par une implication forcenée, et n’a guère besoin des sortilèges d’Alecton pour être damné. La douce Sangaride de Gwendoline Blondeel est remarquable de simplicité et de sincérité, avec un soin apporté à la prosodie à louer, et qui se rapproche de la délicieuse Agnès Mellon d’autrefois. Véronique Gens confirme son incarnation d’une Cybèle humaine, davantage rivale vexée que déesse outragée. Le reste des seconds rôles est pareillement proche de ce que nous avions commenté précédemment, avec l’Idas d’Adrien Fournaison plus précis et mieux timbré, une Doris d’Hasnaa Bennani plus naturelle dans ses récitatifs, mais un Tassis Christoyannis fatigué et à la stabilité comme la justesse troublées. Les chœurs sont toujours aussi superlatifs, mais les tempi trop enlevés enlèvent de la lisibilité aux pupitres. Cette battue à la fois rapide et régulière est un peu dommageable pour les grands divertissements : la scène de Sommeil, et la grande déploration finale souffrent d’un climat onirique ou funèbre qui peine à s’installer.
Cet Atys se révèle toujours aussi heureux, mais infiniment moins noble et moins poétique, davantage jubilatoire que contemplatif. Rodé par ses deux représentations précédentes, débarrassé des danseurs, Alexis Kossenko s’est jeté corps et âme dans une course à l’abîme tumultueuse. Reste à savoir quelle vision entre le sang et la lune a été captée dans le disque à paraître chez Alpha.
Viet-Linh Nguyen
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Witczak David Dernière modification: 29 mars 2024