Rédigé par 11 h 35 min CDs & DVDs, Critiques

Franchissant la Bidassoa… (Les Noces Royales de Louis XIV, Le Poème Harmonique, Dumestre – Château de Versailles Spectacles)

Les Noces Royales de Louis XIV

AUX PORTES DU TEMPLE
Jean-Baptiste Lully (1632-1687)
Sonneries pour les trompettes du Roi

 ENTREE DES DELEGATIONS
Louis Couperin (vers 1626-1661)
Prélude

Jean-Baptiste Lully
Entrée pour la Maison de France
Les Espagnols
Les Basques

 CELEBRATION DE LA PAIX
Jean Veillot (vers 1600-1662)
O filii e filiae

Jean-Baptiste Luly
Motet pour la Paix, Jubilate Deo.

MARIAGE
Guillaume-Gabriel Nivers (vers 1632-1714)
Livre d’Orgue contenant Cent Pièces de tous les Tons de l’Eglise.
Plein jeu du troisième ton
Récit de cromorne du troisième ton

Salomone Rossi (1570-1630)
Sinfonia Grave

Francesco Cavalli (1602-1676)
Magnificat

REJOUISSANCES ET BALLET DES NATIONS
Francesco Cavalli,
Xerse (Lasciatemi morire)

André de Rosiers (actif de 1634 à 1672)
Après une si longue guerre

Nicolas Métru (vers 1605, vers 1663)
Ô France

Juan Hidalgo (1614-1685)
Celos aun del aire matan

Ana Quintans, soprano,
Victoire Bunel, mezzo-soprano,
David Tricou, haute-contre,
Serge Goubioud, ténor,
Virgile Ancely, baryton

Chœur de la Compagnie La Tempête, dir. Simon-Pierre Bestion
Le Poème Harmonique
Direction Vincent Dumestre
1 CD Château de Versailles Spectacles, enr. du 11 au 14 novembre 2021 en la Chapelle royale du Château de Versailles, 65’18

Reconnaissons que nous n’étions pas à la noce. Il s’en fallut de peu, un léger décalage temporel d’à peine plus de trois siècles et demi nous empêchant d’être, en ce 9 juin 1660, parmi la cohorte des invités aux fastueuses noces célébrées en l’église Saint Jean Baptiste de Saint Jean de Luz. L’impressionnant retable que nous pouvons aujourd’hui y admirer n’est pas encore en place (il ne le sera que neuf ans plus tard, en 1669) et c’est donc dans un édifice à l’apparence plus austère qu’aujourd’hui que s’épousent la jeune Marie-Thérèse d’Autriche et Louis XIV. Mais quand résonnent en tout début de cet enregistrement les trompettes, accompagnées de roulements de tambours et sur fond d’orgue (Sonneries pour les trompettes du Roi, Jean-Baptiste Lully), c’est bien tout la pompe et la majesté royale qui rejaillit sous la baguette de Vincent Dumestre et de son Poème Harmonique.

D’emblée l’évidence de la clarté de la prise de son, du relief et de la richesse des effectifs auxquels nous ont habitués les enregistrements de Château de Versailles Spectacles, dans ce qui n’est pas, au contraire des apparences, une restitution des œuvres jouées au cours de la cérémonie royale, mais une évocation de l’évènement, la liste précise des œuvres exécutées ce jour-là n’étant pas parvenue jusqu’à nous. L’évènement, pourtant loin d’être anodin et ne manquant pas de sources, n’a en effet pas laissé de trace des œuvres jouées au cours des différentes cérémonies, même pour un évènement aussi central que la messe des épousailles. Tout juste signale-t-on que « la Messe fut chantée par la musique italienne ». Suivons donc Vincent Dumestre et des musiciens dans ce disque, qui s’écoute comme une relation d’un évènement historique et séduit comme le témoignage d’une époque de la création musicale.

Car s’il est bien une chose de certaine, c’est que le chef d’orchestre de cette cérémonie, plus omniscient qu’un Karajan aux grandes heures, fut le Cardinal Mazarin. Toujours à ourdir quelques complots ou alliances, grand protecteur des arts, ce mariage est un peu le sien…ou du moins disons qu’il faut bien lui en attribuer la paternité. Glissons sur les enjeux diplomatiques de cette alliance charnelle, qui permet d’ancrer un processus de rapprochement entre les couronnes de France et d’Espagne déjà largement entamé lors des traités de Westphalie (1648, mettant fin à la guerre de Trente Ans) et de la Paix des Pyrénées (7 novembre 1659), signé symboliquement sur l’Île des Faisans et dont le mariage entre Louis XIV et l’Infante constitue l’une des clauses sécrètes. Si nous étions Dumas, nous placerions là une digression narrant une rumeur de serment entre le Roi et Margueritte de Savoie, mais soyons modestes et contentons-nous de mentionner qu’à partir de l’été 1659 c’est toute la cour qui est en branle et que débute un périple à travers le royaume de France qui se conclura le 8 mai 1660 par l’arrivée du Roi à St-Jean de Luz. Ces longs mois de périples et la perspective des évènements à venir sont l’occasion d’un grand nombre de festivités, représentations de ballets, offices religieux, création de Te Deum et autres bals, et nombre de musiciens et compositeurs font partie du cortège, à l’exemple de Nicolas Hotman, virtuose de la viole ou de Jean-Baptiste Lully. Matthieu de Montreuil (1620-1691) et François Colletet (1628-vers 1680) se sont fait les mémorialistes de ces évènements fournissent quelques indications permettant de puiser dans la matière musicale de l’époque.

Jeton en laiton en l’honneur des noces de Louis XIV et de Marie-Thérèse d’Autriche (1671) – Source : Wikimedia Commons

Autant d’indications, tantôt précises ou au contraire lacunaires, permettant à Vincent Dumestre de composer une programmation riche en curiosité et très diverses dans les styles abordés, ce qui constitue indéniablement une limite de l’exercice, le disque gagnant à s’écouter comme la partition de l’évènement, à l’instar d’une musique de film, mais souffrant un peu d’une écoute complètement déconnectée de l’évènement. Aux sonneries pour les trompettes du Roi de Lully (extrait des Airs pour le carrousel de Monseigneur, LWV 72) déjà évoquées et sur lesquelles nous soulignerons que bassons et hautbois bataillent fort agréablement et sans étouffement face aux trompettes et à l’orgue, répond pour marquer l’entrée des délégations un prélude à l’orgue de Louis Couperin (vers 1626-1661) dont on sait qu’il accompagna le Roi dans son déplacement, trois de ces œuvres nous étant parvenues signées de Toulouse en l’année 1659. Une pièce toute en solennité mesurée enregistrée sur l’orgue de la Chapelle Royale du Château de Versailles par Justin Taylor, parfait moment suspendu avant la majesté un peu pompeuse de l’Entrée pour la Maison de France de Lully, très caractéristique de la musique de ballets, et qui fut dansée par le Roi lui-même, après le mariage, à sa création en 1662. Composé pour accompagner un opéra de Cavalli, ce ballet Hercule Amoureux (LWV 17) avec ces rythmes très pointés est en lui-même une métaphore limpide.  S’en suivent en évocation des différentes délégations ces deux entrées des Espagnols et des Basques tirées du Ballet des Muses de Lully, avec ses castagnettes (Imanol Iraola) et flutes évocatrices.

Un Lully que nous retrouvons un peu plus loin pour le Motet pour la Paix, le Jubilate Deo, première de ses œuvres religieuses créée le 29 août 1660, composition de belle facture au ton guilleret, filant la métaphore de l’alliance du Soleil avec la Lune (Marie Thérèse) pour la préservation de la paix. Fort apprécié de Mazarin à l’époque, son classicisme enlevé est ici l’occasion d’apprécier la symbiose vocale entre les solistes, aux voix aussi appropriées que mises à la bonne distance et la qualité d’ensemble du chœur de la compagnie La Tempête dirigée par Simon-Pierre Bestion, dont nous ne pouvons que louer la capacité à développer un chœur homogène et ample, à la direction sachant se fondre avec l’orchestre et d’autant plus louable que nous l’avions moins suivi dans ses choix artistiques des dernières années, dont les expérimentations et le déploiement d’une geste artistique aussi personnelle qu’absconse nous ont laissé de glace. Soulignons donc une féconde collaboration qui nous l’espérons saura s’épanouir dans d’autres projets. On regrettera toutefois la préciosité de la direction de Dumestre dans ce grand motet, les fréquents changements de battue, les jeux de textures et de phrasés parfois excessifs, et qui apportent une sophistication un peu maniérée par rapport à d’autres renditions telles la noble mais un peu plate lecture d’Hugo Reyne (dans son chaleureux Musiques pour le mariage de Louis XIV complémentaire paru chez Accord en 2007 mais aux solistes limités) et l’excellent enregistrement très équilibré d’Olivier Schneebeli avec Musica Florea (K617).

A ce motet lulliste, nous préférons quand Vincent Dumestre et son ensemble s’aventurent vers des œuvres moins connues et fort appréciables, à l’exemple de Jean Veillot (1600-1662), compositeur un peu délaissé de nos jours, mais qui depuis 1643 était sous-maître de la Chapelle royale et qui pour célébrer la paix avec nos voisins ibériques avait le 20 avril 1660 fait exécuter à Paris un Te Deum qui longtemps resta dans les mémoires. Hélas, la mémoire s’étiole et comme la partition ne parvint jusqu’à nous, c’est le motet O filii et filiae qui est ici donné, d’un minimalisme touchant à l’épure dans un sublime jeu de réponses entre soliste et chœur donnant ici encore l’occasion d’apprécier la qualité des choristes.

Dans toute célébration vient l’acmé et donc le temps de l’échange des consentements. L’occasion d’un autre détour vers les œuvres pour orgue de Guillaume-Gabriel Nivers (1632-1714) qui compta dans ses fonctions les titres d’organiste de Louis XIV et de maître de musique de la Reine. Deux courtes partitions tirées de son Livre d’Orgue contenant Cent pièces de tous les Tons de l’Eglise et d’où nous retiendrons surtout, après un Plein jeu de troisième ton, surtout un intimiste et pénétrant Récit de cromorne du troisième ton, assez représentatif de l’appétence esthétique qui allait se développer pour l’orgue sous le règne de Louis XIV.

Si Mazarin règle au cordeau la diplomatie entre la France et l’Espagne, il n’est pas moins actif sur lr front transalpin, notamment en introduisant auprès de la cour royale nombre d’artistes issus de la péninsule italienne. Le fait est connu et il y a fort à parier que cette influence italienne sur le paysage musical se fasse ressentir dès cette messe de mariage royal du printemps 1660. Le Poème Harmonique s’aventure dans ces terres italiennes tout d’abord le temps d’une courte Sinfonia grave de Salomone Rossi (1570-1630) tirée de Il primo libro delle sinfonie e gagliarde (1607) ample et mélancolique, avant de nous offrir un Magnificat de Francesco Cavalli (1602-1676) dont on ne sait si il fut effectivement joué durant le mariage mais dont le brio s’avère fort approprié à ce type de cérémonie, notamment palpable dans les magnifique passages solistes masculins du Qui respirit  (David Tricou, Serge Goubioud et Virgile Anceny) ou d’un émouvant Quia Fecit subtilement réhaussé à la flute, contribuant à faire de cette œuvre solaire un louage de tous les instants culminant dans un Esurientes imlevit bonis fugué à huit voix soutenu au cornet, des plus gracieux.

Maison dite Lohobiague Enea ou maison Louis XIV à Saint-Jean-de-Luz – carte postale avant 1890. ohannis de Lohobiague, maire de Saint-Jean-de-Luz, héritier d’une grande famille de notables tout à la fois armateurs, marchands et corsaires, fit construire à partir de 1643 une demeure si somptueuse qu’elle suscita la jalousie de l’un de ses successeurs qui fit dix ans plus tard édifier la nouvelle Maison de Ville contre la précédente. Dans cette maison, du 8 mai au 16 juin 1660, fut hébergé le jeune Louis XIV après son mariage, puis, en janvier 1701, Philippe V d’Espagne, petit fils du roi de France. Source : site officiel du monument.

Marie-Thérèse venant à Paris ne vint pas seule et s’entoura notamment d’une troupe de musiciens qui ne restèrent pas moins d’une décennie dans la Capitale, contribuant à tisser des liens et jeter des influences musicales entre les habitudes musicales des deux nations. Montreuil lui-même, dans sa relation du séjour à Saint Jean de Luz s’étonne du peu de goût des musiciens espagnols pour les violons, mais du nombre important de harpes et de guitares de toutes sortes présentes dans leur musique. C’est à un hommage à ses ponts culturels que nous convie Vincent Dumestre en fin de programme, et si nous y retrouvons le superbe Lasciatemi morire (Xerse) de Francesco Cavalli (à ne pas confondre avec celui de Monteverdi), on s’attachera plutôt au champêtre, voire folklorique air Après une si longue guerre de André de Rosiers (actif de 1634 à 1672) tiré de son Livre des Libertés (publié par Ballard, 1660), bel exemple d’hommage révérencieux à la politique de Mazarin, ainsi qu’au très hispanisant extrait du  Celos aun del aire matan, opéra composé en 1660 par Juan Hidalgo (1614-1685) sur un livret de Calderon de la Barca et qui, commandé pour célébrer la mariage de l’infante se trouve être aussi le premier opéra entièrement chanté en espagnol, témoignage d’un art en pleine ébullition, qui franchit les Pyrénées après avoir gravit les Alpes.

Alors bien sûr, l’on pourra penser que tout ceci est un peu ébouriffant et marqué par une trop grande diversité d’œuvres et de compositeurs pour offrir une homogénéité d’écoute. Mais pourquoi bouder notre plaisir à l’écoute d’un disque qui au-delà des œuvres présentées nous invite à nous replonger dans l’histoire d’un évènement majeur des relations européennes de cette époque et marqueur aussi d’une influence culturelle majeur dans le domaine des arts. En cela, Vincent Dumestre et le Poème Harmonique nous plongent dans un climat d’émulation musicale dont nous sortons comblés.

 

                                                                                   Pierre-Damien HOUVILLE

Technique : excellente captation en la Chapelle Royale, aérée et colorée.

Étiquettes : , , , , , , Dernière modification: 2 juin 2023
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