© Muse Baroque, 2023
Antonio Vivaldi
Orlando Furioso
Drame musical, opéra héroïco-magique, en trois actes (RV 728), créé au Teatro Sant’Angelo de Venise, à l’automne 1727.
Carlo Vistoli | Orlando
Marie-Nicole Lemieux | Alcina
Filippo Mineccia | Ruggiero
Margherita Maria Sala | Bradamante
Adèle Charvet | Medoro
Ana Maria Labin | Angelica
Luigi De Donato | Astolfo
Jean-Christophe Spinosi | direction
Ensemble Matheus
Ensemble Vocal Lili Boulanger
Version de concert, Théâtre des Champs-Elysées, Paris, 25 mai 2023.
Dernier concert baroque de la saison, et non des moindres, le lendemain d’un Couronnement de Poppée de haut vol, le TCE nous offre les retrouvailles, près de 20 ans après du tandem Christophe Spinosi – Marie-Nicole Lemieux pour leur oeuvre fétiche de l’Orlando Furioso de Vivaldi dont l’enregistrement enregistré en juin 2004 chez Naïve trône dans toute discothèque qui se respecte (de même que le DVD de 2011 si l’on aime la mise en scène de Pierre Audi très symbolique dans son noir et blanc, toujours chez Naïve).
Première surprise, la soprano canadienne délaisse le paladin, pour se saisir du personnage de la magicienne (autrefois incarnée par Jennifer Larmore). Deuxième surprise qui n’en est pas une, le chef se glisse dans ses chaussons vivaldiens avec une boulimie revigorante, délaisse son estrade trop étroite (et qui sera escamotée après l’entracte), imprime une vision vive et énergique, mais sans rugosité ni violence. Sa direction très particulière, notamment dans sa manière sautillante de faire rebondir les crescendos de cordes, ou encore de mettre en avant telle ou telle ligne instrumentale, retisse le matériau orchestral de manière joueuse et surprenante. Bien sûr, cet engouement jouissif est parfois espiègle, un brin excessif, toujours amusé. Dans un Orlando handélien, ce serait un désastre, l’oeuvre appelant une intensité noble et une cohérence dramatique sans faille. Mais chez le sémillant Vivaldi, affublé d’un livret alambiqué et médiocre du Ferrarais Grazio Braccioli, l’on goûte avant tout avec hédonisme l’inventivité des airs et le beauté des timbres et des textures.
Mais il ne faut pas réduire cette œuvre à un catalogue d’airs, et si le premier acte est longuet, la scène finale du II et ses apparitions à l’acte III sont magnifiques et permettent à Marie-Nicole Lemieux de sculpter son portrait de tragédienne blessée. Dominant très largement le reste de la distribution par sa projection, sa présence scénique comme son chant nuancé, la furieuse magicienne, impérieuse et volage, charme et terrorise, avant de se révéler femme. Le casting de 2004 était idéal. Celui de cette soirée ne démérite pas, mais n’atteint pas les mêmes cimes, où les chanteurs subliment le matériau, et apportent une humanité à fleur de peau à des personnages parfois trop falots. L’équipe reste soudée, complice, impliquée et sagace, l’Orlando de Carlo Vistoli n’a pas le timbre le plus flatteur, mais s’avère homme de théâtre (excellent “Nel profondo cieco mondo”), et c’est tout à son honneur car la représentation en version de concert n’aide guère à démêler ces intrigues à travestissements et rebondissements multiples. La partition ne recule ni devant les vocalises, ni les intervalles difficiles, et la houle permanente de Spinosi accentue l’impression de clapotis des sentiments, semé au gré des vents et des passions que l’Ensemble Matheus épouse avec une précision scintillante. On se fera discrets quant à la prestation plus approximative du chœur de l’Ensemble Vocal Lili Boulanger, pour lequel davantage de répétitions n’auraient pas été de refus.
A l’issue du concert, le chef et la soprane, ravis, se sont répandus en anecdotes sur leur rencontre initiale, avec une bonhomie amicale et sincère, sous un déluge d’applaudissements bien mérités pour cette pierre angulaire de la redécouverte de l’œuvre opératique du Prete Rosso.
Viet-Linh Nguyen
Étiquettes : Ensemble Matheus, Lemieux, opéra, Spinosi, Théâtre des Champs-Élysées Dernière modification: 22 septembre 2023
