« Destinées »
Anne-Madeleine Guesdon de Presles (1687-17..)
Ariette dans le goût nouveau
Elisabeth-Louise Papavoine (vers 1720-1793)
Tempête, tirée de la cantatille Le Cabriolet
Françoise-Charlotte de Menetou (1679-1745)
Airs sérieux à deux (gavotte)
Elisabeth Jacquet de La Guerre
Sonate en La mineur
Madame La Chaussée (active en 1712)
Menuet, tiré de Suite des dances pour les violons et hautbois qui se jouent ordinairement à tous les bals chez le roy, receuillis par Philidor l’Ainé en l’an 1712.
Elisabeth Jacquet de La Guerre
Pièces de Clavecin, Livre 2, Prélude en La mineur
Sonate en La mineur, pour le violon et le clavecin (1707)
Mademoiselle Duval (vers 1718-1775)
Les Génies ou les Caractères de l’Amour, Rondeau
Marie-Christine Fumeron (1720-1756)
Rondeau, tiré de Le Triomphe de l’Amour et de l’Hymen Idille, parodiée en musique, janvier 1747
Mademoiselle Laurant (active en 1690)
Ouverture et Gigue tirés de Concert de Mlle Laurant donné à Madame la Dauphine, dans les grands appartements de Versailles, recueilly par Philidor l’Aîné en 1690.
Madame Talon (active en 1695)
Menuet tiré de Recueil de plusieurs belles pièces de symphonies copiées choies et mises en musique par Philidor l’Aîné en 1695.
Mademoiselle Duval
Les Génies ou les Caractères de l’Amour,
Sarabande
Passacaille
Sophie de Bardonnèche, violon
Louise Ayrton, violon
Marta Paramo, alto
Clément Batrel-Genin, alto
Hanna Salzenstein, violoncelle
Lucile Boulanger, viole de gambe
Justin Taylor, clavecin & orgue
1 CD digipack, Alpha / Outhere, 2024, 68′
C’est le disque d’une éclosion ! La violoniste Sophie de Bardonnèche – qui est également membre des Arts FLo – restait jusqu’à cette parution la seule des membres fondateurs du Consort, dont nous avons à plusieurs reprises salué en ces pages la pertinence des choix et la qualité des enregistrements, à n’avoir pas sauté le pas d’un projet individuel. C’est dorénavant chose faite avec ce disque dans lequel la jeune soliste plonge avec une délectation audible et une curiosité non feinte dans le répertoire de dix compositrices françaises ayant en leur temps magnifié l’instrument.
Dix femmes, dix compositrices dont les œuvres sont pour le mieux confidentielles, quand elles ne sont pas totalement oubliées, permettant à Sophie de Bardonnèche de révéler à nos oreilles pas moins de sept morceaux enregistrés pour la première fois, explorant ainsi des pages méconnues du répertoire français pour violon, accompagnée pour cela de ses complices habituels du Consort (nous noterons en effet la présence remarquée de Justin Taylor au clavecin et à l’orgue, ainsi que celle de la violoncelliste Hanna Salzenstein sur plusieurs des pièces de l’album) ou de musiciens croisés à l’occasion de précédents projets, telle la gambiste Lucile Boulanger, venant poser son jeu souple et lumineux, en basse sur la plupart des morceaux.
Mais il serait par trop réducteur d’assimiler ce disque à une compilation opportune de pièces composées par des femmes, à l’heure d’une réévaluation de la place des compositrices dans le champ musical baroque. Car si nombre des compositrices présentes sur ce disque sont confidentielles au point de n’avoir laissé à la postérité que très peu d’éléments biographiques, c’est à la découverte de tout un pan de la musique pour violon que nous invite Sophie de Bardonnèche, l’interprète tissant entre des pièces judicieusement choisies et disposées des liens révélant tout la richesse des compositions pour l’instrument, au fil d’œuvres admirables composées pour certaines d’entre elles dès la toute fin du dix-septième siècle, et plus majoritairement dans la première moitié du dix-huitième siècle, fort brèves pour certaines (à l’exemple de cette virtuose et très visuelle Tempête d’Elisabeth-Louise Papavoine, tirée de sa cantatille Le Cabriolet), plus conséquente pour d’autres.
Sophie de Bardonnèche nous fait ainsi découvrir l’éclosion du répertoire féminin pour violon, indissociable de la figure d’Elisabeth Jacquet de la Guerre, assurément la plus connue des compositrices présentes sur cet enregistrement, le nom de cette dernière restant associé à la première tragédie lyrique représentée à l’Académie royale de musique et composée par une femme, Céphale & Pocris (en mars 1694, sur un livret de Joseph-François Duché de Vancy et à ses pièces de clavecin rivalisant avec celles d’un Chambonnières). Sophie de Bardonnèche explore sur cet enregistrement d’autres aspects de l’œuvre de la compositrice, telle cette Sonate en Ré mineur pour violon et clavecin, datée de 1707, véritable chef d’œuvre d’expressivité du violon, dont le premier mouvement, ne comportant aucune indication de tempo, traduit une mélancolie profonde, l’expression d’une perte sans retour, juste avant que le presto qui lui fait suite ne nous entraîne d’une ligne mélodique claire et d’une belle structuration au clavecin, vers un réveil de l’espérance, une joie fortifiée et entraînante. Mille et une métamorphoses du violon dont les sensibilités semblent se confondre dans les trois brefs presto présents en fin d’œuvre, tantôt champêtres et évoquant une ancillaire fraîcheur (et aux accents rappelant certaines compositions de François Couperin pour clavecin), tantôt d’une virtuosité virevoltante, haletante, démontrant à la fois la maîtrise technique de la compositrice et de son interprète.
Sophie de Bardonnèche nous gratifie aussi d’une Sonate en La mineur de la même (issue d’un manuscrit de la BnF) dont on apprécie en premier lieu le Grave initial, hivernal et duquel se dégage une enveloppante atmosphère brouillardeuse, ainsi qu’une sarabande originale, au tempo très lent, tout comme la gavotte qui lui fait suite, solennelle autant qu’émouvante, avant là encore que l’œuvre ne se termine sur un presto, celui-ci virtuose mais plus classique dans sa composition. Après un Prélude en là mineur, extrait du Livre 2 des pièces pour clavecin et permettant à Justin Taylor d’offrir un intermède en soliste au jeu dense et délié, la violoniste revient une dernière fois à Elisabeth Jacquet de la Guerre avec la Sonate en la mineur pour violon et clavecin (datée de 1707) au mouvement initial langoureux et à l’aria conclusif d’une rare beauté mélancolique, nous permettant de souligner au-delà des qualités interprétatives de Sophie de Bardonnèche, le son somptueusement grainé et aux vibrations extatiques de son instrument, un violon du luthier Andrea Guarneri, sorti de l’atelier de ce dernier vers 1690 et dont le moins que l’on puisse dire est qu’il magnifie les œuvres de ce répertoire.
Mais si ce disque est un hommage avoué à la figure centrale d’Elisabeth Jacquet de la Guerre, il ne faut pas oublier les autres compositrices choisies par Sophie de Bardonnèche, dont les œuvres souvent éparses ainsi que le peu d’éléments biographiques ne permettent souvent pas d’apprécier à leur juste valeur leur apport respectif au domaine de la composition et à celui de l’interprétation, les deux activités se révélant souvent intimement liées. Quelques curiosités surgissent, à l’exemple des compositions de Mademoiselle Duval, elle aussi connue pour être la deuxième femme après Elisabeth Jacquet de la Guerre à voir son opéra joué à l’Académie royale de musique, pour Les Génies ou les caractères de l’Amour (1736) – récemment enregistré (Château de Versailles Spectacles), et œuvre de laquelle sont extraits dans une version de chambre outre une jolie sarabande et une non moins réjouissante passacaille en fin de programme, un rondeau absolument charmant et d’une efficacité rythmique indéniable, même si Rameau pourrait s’avérer courroucé d’être de manière si transparente l’inspirateur de compositions postérieures à ses Indes Galantes. Autre révérence plus ou moins avouée, cette Tempête d’Elisabeth-Louise Papavoine, épouse du violoniste Jean-François Papavoine et qui sur cette courte et séduisante pièce nous révèle une inspiration très vivaldienne.
A ces curiosités aimables, préférons cependant d’autres pièces plus à même d’exprimer la singularité de leurs compositrices, à l’exemple de cette Ariette dans le goût nouveau d’Anne-Madeleine Guesdon de Presles (née en 1687), dont le charme prégnant vient d’une mélancolie suave, la compositrice n’ignorant rien des capacités expressives de l’instrument pour lequel elle compose.
Si nous devions caractériser les œuvres de ces compositrices, au risque cependant de masquer leurs personnalités, nous évoquerions néanmoins comme dénominateur quasi commun leur capacité à user de l’âme du violon pour en exprimer une profonde mélancolie, et cela de manière assez précoce au regard de nombre de compositeurs leur étant contemporains. Pour exemple supplémentaire ce rondeau de Marie-Christine Fumeron (1720-1756), oscillant subtilement entre envie d’envol et retenue mélancolique, comme un pas suspendu, une nécessité de l’attente.
Au final un album dont nous oublions vite que l’intégralité des œuvres rassemblées après un patient travail de recherche par Sophie de Bardonnèche furent écrites par des femmes, tant cette particularité, bien secondaire au regard de la musique, est éclipsée par la beauté de cette plongée dans quelques-unes des pages essentielles et oubliées du répertoire ancien pour violon dans la musique française. Une plongée aussi exaltante pour nos oreilles que ravissante pour notre curiosité. Une réussite complète pour ce premier projet individuel de la jeune violoniste, qui n’en doutons pas, saura transformer ce brillant essai.
Pierre-Damien HOUVILLE
Technique : captation chaleureuse et équilibrée, avec une belle attention aux timbres et des cordes fortement mises en valeur.
Étiquettes : Alpha, Anne-Madeleine Guesdon de Presles, Ayrton Louise, Batrel-Genin Clément, Boulanger Lucile, Elisabeth Jacquet de la Guerre, Elisabeth-Louise Papavoine, Françoise-Charlotte de Menetou, Madame La Chaussée, Madame Talon, Mademoiselle Duval, Mademoiselle Laurant, Marie-Christine Fumeron, Muse : or, musique de chambre, Outhere, Paramo Marta, Pierre-Damien Houville, Salzenstein Hanna, Sophie de Bardonnèche, Taylor Justin Dernière modification: 18 novembre 2024