David POHLE (1624-1695),
Intégrale des sonates et de la musique de ballet
(Complete Sonatas & Ballet Music)
Sonate a 6 en fa mineur, G.24
Sonate a 6 en la mineur, G.14
Sonate a 5 en fa mineur, G.9
Sonate a 6 un sol mineur, G.25
Sonate a 6 en fa majeur, G.15
Sonate a 5 en do majeur, G.22
Sonate a 5 en do majeur, G.8
Sonate a 6 en fa majeur, G.11
Danses a 4 en fa majeur, G.28
Sonate a 4 en do majeur, G.30
Sonate a 4 en do majeur, G.30
Sonate a 3 en sol majeur, G.29
Sonate a 6 en sol majeur, G.16
Sonate a 6 en fa majeur, G.18
Sonate a 6 en sol majeur, G.17
Sonate a 6 en fa mineur, G.23
Sonate a 8 en la mineur, G.20
Sonate a 5 en mi mineur, G.1
Sonate a 6 en la mineur, G.13
Sonate a 4 en fa mineur, G.31
Sonate a 5 en fa mineur, G.7
Sonate a 4 en sol mineur, G.21
Sonate a 5 en sol mineur, G.6
Sonate a 6 en do mineur, G.12
Sonate a 5 en fa majeur, G.5
Sonate a 5 en fa majeur, G.3
Bransles a 4 en sol majeur, G.27
Sonate a 7 en sol majeur, G.19
Sonate a 5 en do majeur, G.4
Sonate a 6 en sol mineur, G.10
Sonate a 5 en sol mineur, G.2
Sonate a 8 en do majeur, G.26
Ensemble Clematis
Brice Sailly & Stéphanie de Failly, direction
2 CDs digipack, Ricercar / Outhere, 2024, 152′
Ne vous fiez pas à l’illustration de la pochette, où une sautillante et squelettique Mort joue du violon à un bourgeois apeuré. Danse macabre, allégorie de la futilité de la musique ou prise de conscience de la vanité, voici un violon qui charme comme pour mieux vous séduire et vous entrainer vers le trépas. Mais que ceux qui passeront outre cette illustration (La Mort jouant du Violon de Frans Francken II dit le Jeune (1581-1641)) se rassurent, les œuvres que renferment cet enregistrement de l’Ensemble Clematis sont moins macabres et mortifères que ne le laisse supposer cette entrée en matière.
Car si l’ensemble belge a souvent mis en lumière le répertoire baroque germanique dans sa discographie récente (à l’exemple de Vater Unser en 2018 (Ricercar), recueil très recommandable de cantates avec Paulin Bündgen), il s’est fait aussi une spécialité d’explorer des partitions souvent rares du répertoire italien, gravant souvent pour la première fois des œuvres rares. Cette discographie conçue comme une exploration qui se poursuit aujourd’hui avec la parution de cette intégrale des Sonates & Musique de Ballet de David Pohle (1624-1695), compositeur allemand pour le moins confidentiel que l’ensemble avait déjà croisé au cours de précédents enregistrements, à qui il consacre là un double album regroupant une large partie de la musique instrumentale connue du compositeur, à l’occasion d’un travail d’édition entrepris au cours de ces dernières années par les éditions Prima la musica.
Voici donc l’occasion de découvrir les œuvres de ce disciple de Schütz (1585-1672), ce dernier ayant principalement officié à Dresde, carrière entrecoupée par quelques parenthèses à Copenhague (pour cause de Guerre de Trente Ans) et à Venise (où il fut l’élève de Giovanni Gabrieli dans ses jeunes années et rencontra probablement Monteverdi lors d’un second séjour plus tardif). Un rappel des principaux éléments de la carrière de Schütz qui n’est pas anodin à l’écoute de la musique instrumentale de Pohle, tant celui-ci, tout en développant un style propre, s’inscrit dans la filiation de son maître, conjuguant la tradition germanique de la musique pré-bachienne et les influences italianisantes. Actif dans plusieurs villes du nord de l’Allemagne, il s’établi à Halle en 1660 en qualité de Maître de Chapelle à la cour, poste prestigieux lui laissant une relative liberté de composition et côtoie notamment George Händel, père de Georg Friedrich. Compositeur prolifique, seule une partie de son œuvre nous est parvenue, dont vingt-neuf sonates pour quatre à huit instruments et quelques autres œuvres instrumentales, dont le présent enregistrement propose l’exégèse. Non publiées à l’époque de leur composition, elles survivent par quelques copies, et le récent travail d’édition a dû se fonder sur des partitions souvent partielles, nécessitant notamment de reconstituer la voix du premier violon sur nombre d’entre elles (1,3,6,7,10,12 à 16 et 18 à 20, travail entrepris par le musicologue Gottfried Gille).
Une mise en lumière salutaire de l’œuvre instrumentale de David Pohle, qui éclaire la richesse des influences musicales des régions centrales de l’Allemagne durant le premier baroque, Pohle ayant composé ces sonates principalement lors de son séjour à Cassel (Kassel), où furent retrouvées la majorité des partitions présentées dans ce disque. Une influence musicale des régions non germaniques qui est à rechercher du côté de l’Italie, avec la forme même de la sonate (les premières partitions du mantouan Carlo Farina son publiées à Dresde en 1626), tout comme de la France, pour preuve les très nombreuses danses intégrées dans les compositions de Pohle et caractéristiques du style français de cette période.
Un corpus de sonates pour quatre à huit instruments et basse continue, pour ensemble de cordes (violons, altos, basses de violon), plus rarement avec introduction de la viole de gambe (G.14 et G.30) ou du basson, la partie pour basse continue, mentionnée « cembalo » dans le fascicule des partitions de Cassel étant assuré par divers claviers, du clavecin, en passant par le clavecin monté de cordes de boyaux, orgue positif et régale.
Et au-delà de la simple curiosité pour la redécouverte d’un compositeur délaissé, on trouve à l’écoute de ce corpus de sonates rendue avec élégance et couleurs par l’Ensemble Clematis un savoureux intérêt à relever les influences. Italiennes, comme nous l’avons rapidement souligné, où au-delà de la forme même de la sonate se distingue un goût prononcé chez David Pohle pour une ligne de violon enlevée, virtuose et très rythmée, particulièrement perceptible dans les mouvements rapides, allegro et assimilés, à l’exemple de celui, toute en verve et sautillant de la Sonata a 6 en ré mineur, G.24, deuxième mouvement de l’œuvre, auquel semble répondre le tout aussi virevoltant Allegro introductif de la Sonata a 6, G.14, aux accents champêtres et offrant à l’instrument une partition à l’expressivité rarement aussi affirmée à cette époque. Si cette utilisation d’un violon expressif et virtuose est un trait caractéristique de la personnalité de David Pohle (pour lequel nous pourrions également citer l’Allegro final, très français de la Sonata a 6 en fa majeur, G.15) dans lequel il excelle, il sait aussi tirer de ces mouvements rapides une expressivité plus sentimentale, touchante et mélancolique comme dans le mouvement initial de la Sonata a 6 en sol mineur, G.25. Convenons que si ces mouvements rapides souvent nous ravissent, nous restons nettement plus réservés sur nombre de ses adagios, qui relèvent souvent d’une inspiration plus routinière voire illustrative David Pohle s’approprie le violon avec brio, sans toutefois arriver à lui donner les sommets d’expressivité sentimentale que cet instrument trouvera sous la plume de Bach, tout juste âgé de dix ans au moment où David Pohle décède.
C’est l’influence française qui irrigue la musique de Pohle qui retiendra également l’attention, notamment sa capacité à s’approprier des rythmes de danses très français, à l’exemple de cet enchaînement caractéristique de Dances a 4 en fa majeur, G.28, nous gratifiant de deux courantes, deux sarabandes et une bourrée dont les lignes mélodiques jouent sur les variations de rythmes de manière assez réjouissante et prouvant la complète appropriation du style par le compositeur. Cette influence française mise en exergue sur ces courtes pièces, irrigue le caractère de nombre d’autres pièces présentées en cours de programme.
David Pohle fut au-delà de ses compositions instrumentales un compositeur de musique religieuse, aspect plus classique de la musique de son époque et des régions luthériennes où il compose, mais se retrouvant assez sensiblement dans la tonalité vocale et invocatrice de plusieurs de ses compositions, à l’exemple de cette Sonata a 6 G.18 dont la majesté, l’expressivité et l’amplitude instrumentale (peut-être amplifiée par l’utilisation de l’orgue) donnent à l’ensemble un caractère indubitablement invocatoire.
Révélant les partitions instrumentales de David Pohle après un important travail musicologique sur les fascicules originaux, l’ensemble Clematis nous offre avec ce double enregistrement exhaustif une très séduisante plongée dans les compositions d’un premier baroque germanique sensible aux influences musicales étrangères, notamment italiennes et françaises, dont le compositeur s’approprie les codes pour poser un jalon supplémentaire dans l’expressivité et la structure de la musique de son époque, qui rend cette parution du plus grand intérêt.
Pierre-Damien HOUVILLE
Étiquettes : Brice Sailly, David Pohle, Ensemble Clematis, Muse : argent, musique allemande, musique de chambre, Outhere, Pierre-Damien Houville, Ricercar, Stéphanie De Failly Dernière modification: 18 novembre 2024