“Bach”
Praeludium et Fuga, BWV 885,
Nun komn, der Heiden Heiland, BWV 659,
Christ, unser Herr, zum Jordan kam, BWV 684,
Fantaisie und Fuge, BWV 904,
Ciaccona, Partita II BWV 1004,
Wo soll ich flieben bin, BWV 646,
Pedal Exercitium, BWV 598,
Schmücke dich o liebe Seele, BWV 759,
Wir Christenleut’, BWV 710,
Allein Gott in der Höh sei Ehr, BWV 676,
Passacaglia & Thema fugatum, BWV 582,
Ensemble D!ssonanti
Armelle Marq : chant
Sébastien Marq : flûte à bec alto, flûte de voix
Antoine Torunczyk : hautbois, oboe d’amore, oboe da caccia
Tami Troman : violon
Javier Zafra : basson
Simon Torunczyk : contrebasse
Chiaopin Kuo : clavecin
1 CD digipack, enregistré à l’Église Notre Dame de la Merci à Trémel en août 2023, INC / SES, 55′
Voici un disque dont nous avions laissé les notes s’échapper par les fenêtres de l’appartement lors d’une journée ensoleillée de fin d’automne. Croisée quelques jours plus tard dans la cour de la résidence, une voisine m’interpelle, demandant quelle était cette si jolie musique que j’écoutais fenêtres ouvertes, soulignant qu’il lui semblait reconnaître à la structure du Bach. Pensant un instant avoir pu l’importuner par un volume sonore un peu trop volatil, elle me rassure en me disant tout le plaisir qu’elle a eu à suivre le disque en même temps que moi. Je m’empresse alors de lui prêter le présent enregistrement, qui m’est rendu quelques jours plus tard, avec force considérations sur la dextérité chantante de la flûte et la présence quasi charnelle du hautbois, ma voisine ne tarissant d’aucun éloge notamment sur ces deux instruments, séduite que leurs sonorités soient mises si en avant dans l’enregistrement.
Sauf que pour le coup, ces caractéristiques de l’enregistrement qui ont tant plu à ma voisine, nous laissent davantage sur la réserve, ne pouvant nous empêcher de trouver qu’une telle mise en relief, surlignant presque à outrance les aspects colorés et boisés des deux instruments, finit assez rapidement par nuire à l’écoute du programme et d’un ensemble dont nous avions pu apprécier tout le plaisir de jouer ensemble dégagé lors de leur concert de sortie de disque en septembre dernier au Temple du Foyer de l’Âme. Une flûte et un hautbois, virtuoses et agiles mais dont la présence ainsi mise si constamment en avant s’avère à la longue un peu trop aguicheuse, là où nous aurions préféré qu’elle ne se départisse pas de son élégance initiale.
Cette réserve, fût-elle de taille, faite, qu’elle ne nous empêche de souligner tout le plaisir que nous avons cependant à retrouver sur ce disque quelques vieux briscards comme ils se qualifient eux-mêmes de la musique baroque, à l’exemple de Sébastien Marq (flûtes), collaborateur régulier notamment des Arts Florissants ou des Accents, et dont on retient encore le travail avec Jean-Christophe Spinosi sur Vivaldi au début des années 2000. Autre pilier de l’Ensemble D!ssonanti, Antoine Torunczyk (hautbois) ayant aussi une solide carrière de chambriste, notamment avec Amandine Beyer. La violoniste Tami Troman, croisée avec Les Surprises ou Les Arts Florissants vient compléter un noyau dur de la formation qui compte aussi Chiaopin Kuo au clavecin, Javier Zafra au basson et Simon Torunczyk, Armelle Marq venant tant qu’à elle poser sa voix sur quelques morceaux.
Car là réside la spécificité de D!ssonanti, l’art de savoir, au-delà des pérégrinations de leurs carrières respectives, se retrouver pour jouer ensemble et comme c’est le cas avec ce disque pour proposer un programme entièrement consacré à des transcriptions de Jean-Sébastien Bach, dont la variété des compositions, la solidité de leurs structures, offrent aux musiciens un terrain de jeu qui semble aussi inépuisable que fécond si l’on en croit la multitude de parutions consacrées à des transcriptions du grand Bach, à l’exemple aussi récent que séduisant du Bach sous les Tilleuls de Loris Barrucand et Clément Geoffroy (L’Encelade), audacieuses transcriptions pour clavecins d’œuvres le plus souvent initialement composées pour orgue.
C’est en partie de la même matière première que partent les musiciens de D!ssonanti, et à cet égard il ne sera pas inintéressant pour le mélomane aventureux d’explorer tous les ponts entre les deux enregistrements, qui s’approprient avec à la fois amusement et sérieux des partitions musicales dont Bach lui-même ne rechignait jamais à faire subir des métamorphoses, composant une œuvre par bien des aspects protéiforme et évolutive. Et si le Maître a initié le mouvement, pourquoi ne pas poursuivre et à l’immuabilité préférons le mouvement et la régénération. Soulignons toutefois que cette volonté chez l’Ensemble D!ssonanti de désacralisation de l’œuvre de Bach ne rime pas avec blasphème, les musiciens de l’ensemble conservant dans leur effectif une proximité cohérente avec les usages initiaux et chacun ayant de par sa carrière une proximité certaine et respectueuse avec l’œuvre du Maître de Leipzig. Et puis, concernant Bach, Vivaldi, ou Mozart, tellement d’autres ont déjà versé dans cette pratique, qu’il ne convient pas d’en rajouter dans un créneau qui fut hélas lui aussi fécond.
Et si les transcriptions présentées sont toutes signées ou de Sébastien Marq, ou d’Antoine Torunczyk, l’ensemble tient à préciser en cours de livret que ces transcriptions se son enrichies des échanges entre les musiciens, notamment au cours des séances de répétitions et de conception du programme, aboutissant à un vrai travail d’ensemble. Un travail dont les partitions initiales sont essentiellement à rechercher dans le répertoire pour grand orgue de Jean-Sébastien Bach, un répertoire pour orgue dont la solennité, l’ampleur, l’accointance avec la forme fuguée se retrouve dans nombre de morceaux du présent disque, à l’exemple du morceau final, transcription de la Passacaglia & Thema fugatum (BWV 582), morceau dont l’ampleur initiale se métamorphose joliment dans cette transcription en une épure qui conserve sa saveur, soulignant la mélodie, gagnant en simplicité, en évidence, pour ce qui s’avère l’une des plus belle réussite de l’enregistrement. Comme en écho au Praeludium et Fuga (BWV 885) initial du disque, œuvre initialement composée pour clavecin avec une caractéristique ouverture à la française, sur laquelle flûte et hautbois sont particulièrement mis en majesté, légers et envoutants, enlevés et joyeux, et si nous nous réitérons notre réserve initiale sur la prédominance donnée à ces deux instruments au moment de l’enregistrement, soulignons le beau relief présent entre les différents instruments de l’ensemble dans la partie fuguée du morceau.
L’une des grandes originalités du programme réside sans doute dans le choix, aussi assumé que judicieux de transcrire en des versions purement instrumentales certains chorals pour orgue, à l’exemple du Nun komm, der Heiden Heiland (BWV 659) – on en connaît également une belle transcription par Bruno Cocset au violoncelle (Alpha) – dont la solennité toute en mélismes s’avère parfaitement appropriée au hautbois d’Antoine Torunczyk qui en signe donc une lecture revisitée à la fois sublime et respectueuse, procédé repris, cette fois pour flûte et hautbois et dans une transcription de Sébastien Marq pour le Christ, unser Herr, zum Jordan kam (BWV 684), à la fois enlevé et évident, comme une ligne claire musicale du plus bel effet.
Au-delà d’exercice de style brillants, soulignons encore la belle place réservée au basson (Javier Zafra) sur deux morceaux en particulier qui permettent à cet instrument d’œuvrer en soliste et en dessus, place qui ne lui est que rarement concédée dans la musique de cette période. C’est le cas dans l’extraordinaire Ciaccona (BWV 1004), écrite à l’origine pour violon seul et sur laquelle l’instrument trouve parfaitement à s’exprimer aux côtés de la flûte de Sébastien Marq, et sur le Pedal Exercitium (BWV 598) où l’instrument s’impose avec des sonorités des plus originales, vivante et charnue, mais sans jamais égaler la finalité racée et expressive du violon.
Voici un disque de passionnés, qui ont très audiblement pris un plaisir non feint à relever tous les défis de transcriptions par bien des aspects audacieuses et présentant les œuvres de Bach sous un angle renouvelé, et le plus souvent séduisant voire galant. Reste des choix interprétatifs que nous trouvons souvent un peu flatteurs, touchant à la flagornerie instrumentale, voulant faire de Bach un moderne souriant, là où nous aurions aimé plus de tempérance et de discrétion. Mais, au final, ce n’est qu’un avis, et en la matière vous avez aussi le droit de vous ranger à celui de ma voisine.
Pierre-Damien HOUVILLE
Technique : enregistrement très clair et parties très lisibles.
Étiquettes : Ensemble Dissonanti, Jean-Sébastien Bach, Marq Sébastien, Muse : airain, Pierre-Damien Houville, Torunczyk Antoine, Troman Tami Dernière modification: 31 mars 2025