Rédigé par 12 h 18 min Concerts, Critiques

L’esprit plus que la lettre (Bach, Ensemble D!ssonanti – Temple du Foyer de l’Âme, 18 septembre 2024)

L’Ensemble D!ssonanti © site officiel de l’orchestre

« Bach D!ssonanti »

Praeludium et Fuga, BWV 885 (Das Wohltemperierte, Clavier II)
Nun komm, der Heiden Heiland, BWV 659 (Achtzehn Choräle von verschiedener Art ; Chorals de Leipzig)
Aria Stein der über alle Schätze (Cantate BWV 152)
Pedal Exercitium BWV 598
Christ, unser Herr, zum Jordan kam BWV 684 (Clavier-Übung III)
Ciaccona-Partita II BWV 1004 (Sei Solo à Violino senza Basso accompagnato)
Fantaisie und Fugue BWV 904
Schmücke dich o liebe Seele BWV 759
Wo soll ich fliehen hin BWV 646 (6 Choräle von verschiedener Art ; Schübler-Chorales)
Wir Christenleut’ BWV 710
Allein Gott in der Höh sei Ehr BWV 676 (Clavier-Übung III)
Passaglia & Thema fugatum BWV 582

Ensemble D!ssonanti :
Armelle Marq, soprano
Tami Troman, violon
Sébastien Marq, flûte à bec
Antoine Torunczyk, hautbois
Javier Zafra, basson,
Simon Torunczyk, contrebasse
Chiaopin Kuo, clavecin

Mercredi 18 septembre 2024, Temple du Foyer de l’Âme, Paris.

Quelque deux-cent soixante-quinze ans après sa mort, Bach jouit d’une vitalité créatrice que peuvent lui envier nombre de compositeurs. Une vitalité qui prend racine non seulement dans la parution d’enregistrements d’œuvre du maître de Leipzig (avouons que le flot ne s’est jamais vraiment tari depuis maintenant une soixantaine d’années), mais aussi, et peut-être surtout, dans le nombre à bien des égards impressionnant de transcriptions dont ses œuvres font l’objet, indéniable signe de l’intérêt que les musiciens et le public continuent à vouer au grand Bach et posant un regard nouveau sur des œuvres, qui, reconnues ou plus confidentielles, continuent d’irriguer de manière féconde notre référentiel musical.

C’est le cas ce soir avec le concert donné par l’ensemble D!ssonanti (formation auparavant connue sous le nom d’Accademia dei Dissonanti) au Temple du Foyer de l’Âme à l’occasion de la parution d’un album tout entier consacré à Jean-Sébastien Bach au compositeur, plus précisément à des transcriptions de certaines de ses œuvres pour clavier (notamment pour orgue), même si l’on notera aussi quelques incursions vers des œuvres originales pour d’autres instruments. Ce Bach est ainsi adapté pour une formation chambriste (1 flutiste, 1 hautboïste, 1 violoniste, mais aussi 1 basson, 1 clavecin et 1 contrebasse) typoque de celles que l’époque a pu rassembler.  D!ssonanti, c’est un ensemble de musiciens complices : au-delà de quelques liens familiaux, nos lecteurs retrouveront des instrumentistes collaborateurs réguliers d’autres orchestres fameux (a l’exemple de Sebastien Marcq, habitué de la Rêveuse, des Arts Flo ou du Concert de la Loge, ou encore de Tami Troman, dont le violon s’est fait entendre chez Les Arts Flo, Les Surprises, l’ensemble Artaserse ou encore la Cappella Mediterranea). Cette revisitation des œuvres de Bach sonne comme une pause dans leurs carrières respectives, une tout à fait sérieuse récréation provoquée par l’envie et le plaisir de jouer un Bach proteiforme, et qui lui même transcrivit nombre de ses œuvres dont il nous reste parfois uniquement les versions remaniées, comme pour certains concertos.

Tami Troman © Juliette le Mahour (recadrée)

Si la proposition est séduisante, la réalisation ne l’est pas moins : d’entrée de jeu, la transcription du Praeludieum et Fuga BWV 885, initialement composé pour clavecin (deuxième livre du Clavier Bien Tempéré), voit les artistes diffracter les quatre voix originales vers chacun de ses solistes, offrant en particulier à la flûte et au hautbois une belle harmonie, même si l’on pourra quelque peu regretter que l’ensemble hésite quelque peu entre le tempo modéré dicté par Bach et un entrain naturel porté par l’arrangement plus orchestral et extraverti. Au rang des pièces initialement composées pour clavecin et réinterprétées pour ce programme, nous avouons préférer la Fantaisie und Fugue BWV 904 présentée en seconde partie de concert où la souple flûte de Sébastien Marq et le hautbois boisé d’Antoine Torunczyk s’accordent à merveille, le violon de Tami Troman servant de liaison élégante et subtile à leur dialogue.

Sébastien Marq (avec l’ensemble La Rêveuse) @ Robin Davies

Autre œuvre ayant fait l’objet de multiples transcriptions antérieures, l’incontournable Ciaccona de la Partita n°2 pour violon BWV 1004, transcrite pour le hautboiste l’occasion de démontrer toute la subtilité de son instrument, offrant une partition soliste de toute beauté, aux inflexions instrumentales savamment et pudiquement contenues lors d’un moment de grâce, comme suspendu.

Au registre des œuvre à l’origine purement instrumentale de Jean-Sébastien Bach, nous relèverons les transcriptions de morceaux initialement composé pour orgue, à l’exemple de la Passacaglia & Thema fugatum BWV 582 (elle-même largement inspirée du compositeur français André Raison) dont la déconstruction, tout en conservant la répétition tonale de l’œuvre originale offre à la flûte et au hautbois l’occasion d’un éloquent échange, pour ce qui s’avère, l’une des propositions les plus originales par rapport à la partition initiale.

La mezzo-soprano Armelle Marq, au timbre d’une belle personnalité vient apporter une touche vocale à quelques propositions, à l’instar de l’aria Stein der über alle Schätze, quatrième mouvement de la cantate Tritt auf die Glaubensbahn (BWV152), où sa belle amplitude, associée à la flûte fait de cette imploration de ferveur luthérienne un moment de sereine intériorité, dont nous retrouvons de similaires connotations sur le Schmücke dich o liebe Seele (BWV 759).  Nous nous devrions dans un souci d’exhaustivité mentionner d’autres propositions intéressantes, séduisantes, à l’exemple d’un réjouissant Allein Gott in der Höh sei Ehr, mais n’en dévoilons pas trop et laissons aux curieux qui se procureront le disque sorti dernièrement (dont nous nous ferons prochainement l’écho) le plaisir de quelques découvertes.

Avec ce nouveau programme, D!ssonanti démontre avec brio et modestie les infinies métamorphoses de Bach, comme un prolongement de sa vitalité, en une invitation à la redécouverte et au pas de côté.

 

                                                                       Pierre-Damien HOUVILLE 

 

 

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