Rédigé par 11 h 53 min Concerts, Critiques

Songe d’une nuit d’été ! (Midsummer Festival, Château d’Hardelot, 28 et 29 juin 2024)

Carnet de Festival :
Midsummer Festival 2024
Château d’Hardelot, Centre culturel de l’Entente Cordiale, Condette (Pas-de Calais)
Vendredi 28 et samedi 29 juin 2024

Midsummer Festival ! Un nom dont les consonnances évoquent l’habitude, plus anglo-saxonne que française, de fêter les changements de saisons et le passage du temps. Cela tombe bien, nous sommes aux abords du solstice et le château d’Hardelot se pare, le temps de deux week-ends de ses plus verdoyants atours pour nous offrir un programme qui cette année encore s’avère riche en découvertes.  Le Centre Culturel de l’Entente Cordiale, dont la vocation première est de tisser des liens entre les deux nations séparées par la Manche, longtemps rivales, mais qui chaque année marquent d’un trait supplémentaires une entente diplomatique maintenant bien plus que centenaire (120 ans cette année pour être précis, la signature de la seconde Entente Cordiale en 1904 venant mettre un terme aux tensions de Fachoda). Le Kent au nord de la Manche, le Pas-de-Calais au sud, l’occasion de célébrer en musiques les liens entre les deux régions.

Deux week-ends de musiques et de rencontres autour de la musique, essentiellement baroque, qui s’intègrent plus largement au sein de la saison culturelle du château, qui sous l’égide du Conseil Départemental du Pas-de-Calais s’impose d’années en années comme un phare de la vie culturelle du nord de la France, un évènement attirant au-delà des strictes frontières de notre républiques, les sujets des royautés anglaise et belge se croisant en nombre dans l’enceinte du château ou dans les travées du théâtre élisabéthain. Et comme le programme, vaste, radieux et accueillant comme une plage de la côte d’Opale au soleil, plongeons-nous sans tarder dans celui-ci, pour quelques plaisirs d’outre-manche qui se satisferont aussi de quelques digressions.

Lauranne Oliva & Christophe Dumaux © Conseil départemental du Pas-de-Calais / Midsummer Festival 2024

« Chevaliers et Enchanteresses »

George Frederic Haendel
Sinfonia (Rinaldo)
« Fammi combattere » (Orlando)
« Ama e sospira » (Alcina)
« Io t’abraccio » (Rodelinda)

Antonio Vivaldi
Concerto pour violon RV 275

George Frederic Haendel
« Se in fiorito prato » (Giulio Cesare)
« Tornami a vagghegiar » (Alcina)
« Mio Cor che mi sai dir ? » (Rinaldo)

Antonio Vivaldi
Concerto pour violon RV 326

George Frederic Haendel,
« Vadoro Pupille » (Giulio Cesare)

Nicola Porpora
« Tu spietato non farai » (Iphigenia in Aulide)

George Frederic Haendel
« Caro, Bella » (Giulio Cesare)

Lauranne Oliva, soprano
Christophe Dumaux, contre-ténor
Ensemble Les Accents
Thibault Noally, direction
Théâtre élisabéthain du château d’Hardelot, vendredi 28 juin 2024

On ne présente plus ni Thibault Noally, le violoniste et directeur des Accents, ni le contre-ténor Christophe Dumaux. C’est assurément moins le cas de la jeune soprane Lauranne Oliva, qui a tout juste vingt-quatre ans (la jeunesse de son âge permettra sans doute qu’il ne soit pas vu comme inélégant de le citer) se fait depuis peu un nom dans le paysage musical, enchaînant les récompenses dans les concours les plus prestigieux (dont notamment Voix Nouvelles en 2023) et les rôles remarqués, notamment dans les œuvres du répertoire monteverdien (Euridice et La Musica dans l’Orfeo, La Fortuna et Junon dans Le Retour d’Ulysse, Drusilla dans Le Couronnement de Poppée).

Voir réunis Thibault Noally, Lauranne Oliva et Christophe Dumaux pour un récital (presque) consacré aux grands airs solistes ou en duo de Georg Friedrich Haendel (1685-1759) est donc en soit une promesse du crépuscule, tardif en cette saison. Le théâtre élisabéthain du Château est parfaitement adapté à ce type de représentation, à la fois convivial, chaleureux, lui la structure en bois offre une exquise sonorité.

Ce récital comme une occasion de repasser en revue quelques-uns des (très) nombreux airs d’opéras connus du compositeur ; les deux interprètes y rivalisent d’expressivité et de justesse des sentiments, séparément ou en duo. Christophe Dumaux sublime le galant Se in fiorito prato (extrait de Giulio Cesare), d’une voix parfaitement tendue, posée et à la diction aérienne, tout comme Lauranne Oliva fera démonstration de son art de la vocalise sur le Tornami a vagghegiar (Alcina), déployant toute la souplesse d’une voix parfois encore un peu ancillaire et qui gagnera à acquérir un peu plus de complexité dans l’expressivité, dotée d’une belle projection, à la diction souple et harmonieuse. Des duos entre les deux chanteurs, nous retiendrons finalement moins le très célèbre Caro, Bella (Giulio Cesare) clôturant le récital, parfaitement exécuté mais qui nous a paru sage et manquant de passion. Le Io t’abraccio (Rodelinda), doloriste et tragique, permet quant à lui aux deux interprètes de démontrer une parfaite fusion dans l’expression d’une large palette vocale pleine d’émotion. Notons encore au chapitre des digressions savoureuses, la présence d’un unique air de Porpora égaré au milieu de cet océan haendélien, le Tu spietato non farai (Iphigénie en Aulide), nerveux et sec, dans lequel Christophe Dumaux fait une fois encore étalage de sa virtuosité.

A la tête des Accents Thibault Noally sert très justement les chanteurs, réhaussant les partitions par des attaques de cordes franches, même si l’on peut déplorer une ligne mélodique de cordes parfois un peu trop devant, là où la voix plus en majesté aurait tout aussi utilement servit le propos du compositeur.

François Lazarevitch © Conseil départemental du Pas-de-Calais / Midsummer Festival 2024

 « Voix Humaines »
Pièces inédites pour flûte traversière et basse de Marin Marais (1656-1728)

Les Musiciens de Saint-Julien :
Lucile Boulanger, viole de gambe
Eric Bellocq, archiluth et guitare
François Lazarevitch, traverso, musette et direction

Jardin d’hiver du château d’Hardelot, samedi 29 juin 2024

Le temps de l’admiration de la nuit étoilée au-dessus du château d’Hardelot, d’un peu de repos et d’une promenade très chabadabada sur la plage à marée basse, les pieds dans l’eau, et nous voilà revenus dans le cadre intimiste du jardin d’hiver du château pour « Voix Humaines », la dernière création de François Lazarevitch, accompagné par deux de ses fidèles compagnons Lucile Boulanger à la viole de gambe et Eric Bellocq à l’archiluth et à la guitare baroque. La genèse de ce programme touche au romanesque : les suites inédites de Marin Marais, dont certaines sont d’ailleurs jouées à Hardelot pour la première fois, ayant été retrouvées par hasard en 2023. Un château bourguignon en vente, des enchères pour disperser une partie de ce qu’il contient et l’achat par un collectionneur américain d’un volume de manuscrits contenant, ô surprise, au milieu de quelques partitions d’œuvres connues, des pages signées de l’illustre musiciens contenant des œuvres jusqu’alors inconnues. Fallait-il encore que l’histoire arrivât aux oreilles de François Lazarevitch qui, entrant en contact avec le propriétaire des œuvres, s’en fait fournir une copie et l’autorisation de les exécuter. Un petit trésor, comme en recèlent encore les greniers des vieilles demeures de province, aux combles inexplorés.

Passé le frisson de l’inédit, il faut avouer que les premières pièces données s’avèrent très sages et ne se départissent pas d’un certain académisme, à l’exemple de cette Suite initiale de pièces en sol majeur, de laquelle nous retiendrons une allemande très structurée dans sa composition et une gigue finale, forcement plus enlevée et dansante, charmante. Marin Marais sait y faire et dans la suite suivante, en sol mineur cette fois, nous gratifie d’une sarabande d’une belle solennité, de deux charmants menuets, d’une gavotte assez caractéristique et une fois encore d’une entraînante gigue. Le programme gagne en originalité dans la seconde partie, la Suite en la pour musette et basse permettant à François Lazarevitch, outre de nous offrir l’occasion d’entendre le son nasal d’une très belle musette en ivoire, d’exécuter La Sautillante, bel exemple de thème aux accents populaires mais dont  la maîtrise de composition révèle qu’elle est le fruit de la composition d’un musicien affirmé, tout comme l’est la belle plainte en ré mineur de la suite en ré issue des pièces du manuscrit de Panmure (Ecosse), languissante et mélancolique. Une partie de ces pièces sont des transcriptions par François Lazarevicth pour flûte de morceaux initialement composées pour la viole, et l’on se prend souvent à regretter les sonorités originelles, plus mélancoliques, plus rugueuses, plus grainées. Le traverso coulant et sensuel, même excellement joué par l’artiste confère une toute autre atmosphère à ces oeuvres, et les tirent vers un sérénité néfaste, même si tant de rondeur souple procure un plaisir non feint. La suite en sol majeur recèle encore quelques belles surprises, à l’exemple de cette Muzette (sic) de Monsieur Marais, des très évocatrices Voix Humaines. Enfin, dans la conclusive suite en la, on louera un beau solo de guitare (La Guitare) et un très virtuose caprice.

Ces pièces inédites feront l’objet d’un enregistrement à paraître, chez Alpha, label habituel de l’ensemble, chez qui vient de paraître Doux Silence, consacré aux airs de cours et danses des compositeurs français de la seconde moitié du XVIIème et où nous avons aussi le plaisir de retrouver Lucille Richardot et Julie Roset, deux voix dont nous avons récemment parlé en ces pages.

© Conseil départemental du Pas-de-Calais / Midsummer Festival 2024

« God Save the King »

George Frederic Haendel
Te Deum de Dettingen, HW 283

4 Coronation Anthems
Zadok the priest, HW 258
My Heart is Inditing, HW 261
Let Thy Hand Be Strengthened HW 259
The King Shall Rejoice, HW 260

Le Concert Spirituel
Direction Hervé Niquet

Théâtre élisabéthain du château d’Hardelot, samedi 29 juin 2024

Risquions-nous de nous endormir, bercés par le doux souvenir des notes rondes et boisées de la flûte de François Lazarevitch ? Assurément non, car Hervé Niquet et son Concert Spirituel déploient trois rutilantes trompettes naturelles dans l’enceinte du théâtre élisabéthain pour un concert plein de bruit et de grandeur. Hervé Niquet qui avec ce programme reprend le concert qu’il avait donné le 6 juin 2023 en l’église Saint James de Londres, un mois tout juste après le couronnement de Charles III et en présence de sa Majesté Très Britannique et redonné à Saint-Michel-en-Thiérache. L’occasion pour le chef un brin taquin de se gloser de la petite polémique ayant eu lieu outre-manche sur la venue du Roi au concert d’un ensemble français jouant ces pièces si typiques du répertoire officiel britannique et de nous narrer son explication au Roi du choix de conserver les choix des tempi haendéliens ramassés, différents de la pompe plus victorienne et ronronnant des exécutions officielles récentes.

Bref, Reines et Rois passent et restent les œuvres. En l’occurrence pour commencer ce magnifique Te Deum de Dettingen, composé par Haendel en 1743 pour célébrer la victoire – hélas – des troupes anglaises et de ses alliés hanovriens à Dettingen (celui du nord de la Bavière) sur les troupes françaises commandées par le Duc de Noailles lors de la Guerre de Succession d’Autriche. Pour la dernière fois de l’histoire un monarque anglais (en l’occurrence Georges II) combat lui-même à la tête de ses troupes. Ce Te Deum fut exécuté pour la première fois le 27 novembre 1743, cinq mois tout juste après la bataille. Trois trompettes donc, mais aussi dans l’effectif un basson à la partition très riche et deux hautbois pour une partition toute en majesté, solennelle et victorieuse, s’articulant autour d’un chœur auquel la direction d’Hervé Niquet, ample dans sa gestuelle, mais étonnement sobre, arrive à conserver tout son relief, l’ensemble séduisant par sa structure. Une très belle entrée en matière donc à laquelle succède les fameux Coronation Anthems, littéralement Hymes du Couronnement, ensemble de quatre pièces composées à l’occasion du couronnement de Georges II (et de la Reine Caroline) en 1727 mais non intégralement interprétées lors de la cérémonie. Nombreux furent ceux qui raillèrent chez Haendel la propension aux très larges effectifs dans ces œuvres, Berlioz notamment (voir à ce propos ses écrits sur la musique, dont les conceptions sur la musique baroque, à défaut d’être souvent sympathiques, sont intéressantes à relire de nos jours).

Le Concert Spirituel, dont les effectifs, riches, ne versent pas dans le superfétatoire, sublime le premier hymne, Zadok the Priest, et notamment son célèbre crescendo instrumental, superbe moment donnant à la composition toute sa majesté, sa solennité et son caractère cérémonial. Hervé Niquet et ses musiciens enchainent ensuite avec le doux  My Heart is Inditing, sommet de raffinement dans l’expression des sentiments, plus mesuré, une fois encore émouvant dans la symbiose crée par le compositeur entre le chœur et les musiciens et que Hervé Niquet sait parfaitement retranscrire. Une majesté, une maîtrise, qui après le Let Thy Hand Be Strengthened éclate dans le final de The King Shall Rejoice, en un mouvement de double fugue parfaitement maîtrisé où une fois de plus l’équilibre entre le chœur et l’orchestre fait merveille, faisant de ces quatre pièces un très grand moment de musique haendélienne très longuement applaudi par le public, poussant Hervé Niquet et son Concert Spirituel à conclure ce concert et par là même le festival d’un God Save the King, juste après que le chef eut rappelé l’origine lullyste du morceau, réactivant au passage une petite polémique qui fait tout le sel de la relation franco-anglaise. Une entente cordiale, et piquante.

 

                                                                       Pierre-Damien HOUVILLE

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