
Les Kapsber’ Girls© Olivier Feraud
Vox Feminae
Isabella Leonarda (1620-1704) – Ad Arma
Andrea Falconieri (1585-1656) – La mala spina, Corrente
Francesca Campana (1610/15-1665) – Amor se questa sera
Francesca Caccini (1587-1641) – Ch’amor sia nudo, canzonetta
Hieronymus Kapsberger (1580-1651) – Passacaglia
F. Campana – Voi luci altere
Barbara Strozzi (1619-1677) – Che si può fare
Ercole Pasquini (1560-1619) – Toccata
B. Strozzi – Sonetto Proemio Dell’Opera, Mercè di voi
H. Kapsberger – Corrente Quinta
Antonia Bembo (ca. 1643- Paris 1715) – Habbi pietà di mè
A. Bembo – In amor ci vuol ardir
F. Campana – Fanciulla Vezzosa
H. Kapsberger – Corrente Prima
H. Kapsberger – Gagliarda Quarta
B. Strozzi – Godere e tacere, Gioisca
Les Kapsber’ Girls :
Alice Duport-Percier : soprano
Axelle Verner : mezzo-soprano
Garance Boizot : basse de viole
Vincent Kibildis : harpe triple
Albane Imbs : théorbe, tiorbino, guitare baroque et direction
Salle Cortot, Paris, samedi 12 avril
Serait-ce la saison des anniversaires ? Après Le Caravansérail de Bertrand Cuiller, c’est au tour des Kapsber’Girls de fêter une décennie de formation. Une décennie marquée ces derniers mois par une double actualité, à la fois la parution de premier disque en soliste d’Albane Imbs, directrice artistique de l’ensemble (Capricci chez Alpha) et celle du troisième album de nos « Kaps » après un « Vous avez dit Brunettes ? » particulièrement remarqué (Alpha en 2021).
Et c’est donc autant un concert de sortie du disque Vox Feminae (Alpha) que d’anniversaire que nous offre ce soir dans le cadre de la Salle Cortot le quatuor, rejoint à la harpe triple par Vincent Kibildis. Et si au détour du programme, Hiéronymus Kapsberger (1580-1651) compositeur italien dont l’ensemble tire son nom par un détournement phonétique tout en révérence, et Ercole Pasquini s’invitent, ils apparaissent quelque peu égarés auprès de toutes ces dames. Car outre les dénommé Kapsberger et Pasquini pour de courtes incartades, toute les œuvres présentes dans le programme de ce soir ont en commun d’avoir été composées par des femmes, italiennes au demeurant. Et nous pourrions également ajouter que toutes sont représentatives du seicento italien, à entendre à la fois comme époque de composition et aire d’activité des compositrices.
Une affirmation à tempérer, au moins pour l’une d’entre elle. Antonia Bembo (vers 1643-vers 1715) est assurément l’un des noms les plus méconnus de ce programme, même s’il pourrait ne pas le rester, Leonardo Garcia Alarcon prévoyant la recréation de son Ercole Amante (1707) à l’Opera Bastille au cours de la saison 2025-2026 (du 28 mai au 14 juin pour être précis). Etonnante figure que celle de cette vénitienne, élève de Francesco Cavalli (1602-1676), qui au passage composa lui aussi un Ercole Amante (1662) sur le même livret de Francesco Buti (une commande du Cardinal Mazarin), et qui fuira Venise, sans doute pour cause de violences conjugales, se réfugiant à Paris sous la protection de Louis XIV. Une compositrice dont les deux courtes œuvres présentées ce soir, les sensibles Habbi pieta di me et In amor ci vuol ardir, révèlent la grandeur d’âme et l’expressivité des sentiments. Des compositions sensibles, qui loin de l’exégèse, donne l’envie d’en découvrir sur cette figure encore très rarement interprétée.
La sensibilité et l’expressivité semblent bien être le fil conducteur de cette soirée et des œuvres choisies par nos quatre Kapsber’Girls parmi lesquelles nous retrouvons avec plaisir l’harmonieuse voix de soprane d’Alice Duport-Percier, bien qu’avec les mêmes légères réserves que sur le disque. L’agilité d’interprétation, le choix des ornements et l’indéniable présence sur scène, quelque peu taquine et mutine, de la mezzo Axelle Verner révèlent et mettent en relief les pièces du programme avec une chaleur communicative.
Un programme qui met en exergue de la maintenant révélée Barbara Strozzi (1619-1676) pour trois courtes pièces, l’extatique Che si puo fare ou le plus enlevé Godere e tacere, Gioisca en final de concert, en passant par le Sonetto Proemio Dell’opere, Merci di voi dans lequel s’exprime une vivacité joyeuse et structurée très caractéristique du style de la compositrice.
Mais dans les méandres encore quelques peu brumeux reliant les compositrices italiennes du Seicento, l’on suit avec d’autant plus d’intérêt les Kapsber’Girls qu’elles empruntent des chemins encore peu défrichés. C’est le cas avec Francesca Campana (vers 1615-1665), qui dès l’âge de quatorze ans arrive à faire publier (chez Robletti) un premier recueil d’arias. Son Voi luci altere offre l’occasion à Alice Duport-Percier d’exprimer une très belle fougue et détermination vocale, une détermination enlevée comme une caractéristique de composition que l’on retrouve sur le Fanciulla Vezzosa, tandis que la troisième pièce de Francesca Campana, Amor se questa sera se révèle plus apaisée, distillant une sensibilité plus affirmée, mais une émotion intacte.
Si l’énergie et la virtuosité des deux chanteuses sont le reflet de pièces aussi expressives que déterminées, il est un peu dommage sur nombre de morceaux l’accompagnement apparaissent un peu en retrait, semblant confiné à un rôle second, ou même à celui d’interlude pour les pièces instrumentales. Pour le coup, le rebond d’Albane Imbs qui nous a tant enchanté sur son disque, apparaît ici un peu sage, presque timide, là où nous l’aurions souhaité élégiaque et porteur de plus d’affirmation. Une discrétion de jeu qui se ressent aussi dans la basse de viole de Garance Boizot, trop rarement exposée pour réellement marquer de son empreinte le jeu de notre trio instrumental
Mais ces quelques réserves n’empêchent pas d’apprécier les chemins de traverse empruntés par les Kapsber’Girls, qui musardent du côté de Isabella Leonarda (1620-1704) le temps d’un introductif Ad Arma très caractéristique de la joie et de l’espérance que la compositrice et religieuse originaire de Novare sut insuffler dans ses œuvres[1] ou du côté de Ercole Pasquini (1560-vers 1619) dont seules une trentaine de pièces nous sont parvenues, pour un évocateur Acor che co’l partire.
Alors certes, un tel panel d’œuvres et de compositrices souvent confidentielles pique notre curiosité et chacune aurait sans doute mérité une soirée entière. Mais ne soyons pas trop gourmands et réjouissons nous de ce programme, savoureux de part son homogénéité et son équilibre, qui explorant des rimes féminines et transalpines ravit de la vie et de l’envie que lui insufflent nos Kapsber’Girls, toujours aussi curieuses et audacieuses.
Pierre-Damien HOUVILLE
[1] Isabella Leonarda, encore peu jouée, a tout de même eu les faveurs ces dernières années de quelques belles incursions, de la part de la soprane Maria Cristina Kiehr et du Concerto Soave, sous la direction de Jean-Marc Aymes (Ambronay Editions, 2010), ou plus récemment sur le très beau Madonna della Gracia de l’Ensemble Il Caravaggio (Klarthe, 2021).
Étiquettes : Andrea Falconieri, Antonia Bembo, Barbara Strozzi, Boizot Garance, Ercole Pasquini, Francesca Caccini, Francesca Campana, Imbs Albane, Isabella Leonarda, Kapsber'Girls, Kapsberger, Kibildis Vincent, Pierre-Damien Houville, Salle Cortot, Verner Axelle Dernière modification: 21 avril 2025