Rédigé par 17 h 41 min CDs & DVDs, Critiques

Tout finit en chansons (“Vous avez dit brunettes?”, Les Kapsber’Girls – Alpha)

“Vous avez dit brunettes ?”

Brunetes ou petits airs tendres : “Colin disoit à sa bergere”, “Sur cette charmante rive”, “Je ne veux plus aimer rien”
1er recueil d’airs nouveaux sérieux et à boire : “Dans ce beau vallon”
Recueil d’airs sérieux et à boire : “Amis, laissons l’amour, saisissons la bouteille”
Brunetes ou petits airs tendres : “Où estes vous allé, mes belles (amourettes)”
Recueil d’airs françois dans le goût italien, sérieux et à boire à I, II et III voix : “Si je fais l’amour”
Nouveau recueil d’airs sérieux et à boire : “Boccages frais” 
Recueil d’airs sérieux et à boire : “Les rossignols, dès que le jour commence” 
Pièces de caractère pour la vielle : La Dupuits, sarabande
Brunetes ou petits airs tendres : “J’avois crû qu’en vous (aymant)”
Second livre de pièces pour le pardessus de viole : La Desmé, Rondeau
Airs sérieux et à boire : “En vérité sévère Margoton
Brunetes ou petits airs tendres: “Non non je n’iray”
Airs sérieux et à boire : “Aimables rossignols”
Brunetes ou petits airs tendres : “Vous qui sçavez si bien (plaire), Le beau berger Tircis”
Manuscrit Vaudry de Saizenay : Chaconne 
Brunetes ou petits airs tendres : “Nicolas va voir Jeanne”
La Villanelle
Nouveau recueil d’airs sérieux et à boire : “Pourquoy le berger qui m’engage”
Opera seconda, 2e recueil d’airs françois dans le goût italien, sérieux et à boire à I, II et III voix : “Quand je veux boire avec ma maitresse”
Brunetes ou petits airs tendres : “Je vous dis que je vous aime”
Manuscrit Vaudry de Saizenay : Contredanse 
Livre d’airs de différents auteurs, IX : “Rochers, vous êtes sourds”
Recueil d’airs sérieux et à boire : “Avec du vin”

Les Kapsber’Girls :
Alice Duport-Percier, soprano
Axelle Verner, mezzo
Garance Boizot, basse et dessus de viole
Albane Imbs, archiluth, théorbe, guitare baroque, tiorbino (petit théorbe) et direction
1 CD, Alpha, 2021, 63’05


Voici un disque aussi réjouissant que sans prétention, à l’image de son espiègle jaquette, où un quatuor de paisibles moutons (de Gunar Lislevand ?) fixent l’auditeur. L’un deux porte d’ailleurs le nom de “Ballard et Fils” en irrévérencieux hommages à cette auguste dynastie d’Imprimeurs du Roi pour la Musique. Mais revenons à nos moutons, et à ces brunettes. “Vous avez dit brunettes ?”. Là encore, nos Kapsber’Girls s’amusent, puisqu’on ne compte qu’une brunette sur ces quatre musiciennes, et qu’il s’agit en fait d’un clin d’œil à un sous-genre musical désignant des chansons strophiques très simples, tout en demeurant des “airs sérieux” (et non “à boire”). Que ceux qui espéraient la sophistication subtile d’un Guédron, Lambert ou Le Camus passent leur chemin : les brunettes (ou “brunetes” pour respecter l’orthographe fluctuante du temps) sont des airs simples, très mélodiques, juste strophiques (et souvent même sans refrain). Christophe Ballard en compila plus de 500 dans les trois tomes de ses Brunetes ou petits airs tendres (1703, 1704, 1711). Trois tomes qui montrent le succès de ces petits rien, faciles d’exécution, pouvant servir à l’apprentissage du chant ou d’un instrument ou récréer la bonne société. Ballard arrange un matériau parfois ancien remontant à la Renaissance, ajoute une basse continue, insère une voix supplémentaire à toute cette aimable bergerie arcadienne. Oserait-on le parallèle avec l’époque d’Isabelle d’Este et les cénacles de lettrés, ci-d’Urbino, ci-de Ferrare ou de Mantoue, délaissant la complexité madrigalesque pour se réjouir des canzonette, frottole et stambotti ? L’aristocratie à la recherche d’authenticité et d’abandon se délecte de ces mélodies simples, à une voix ou homophoniques, immédiatement jouissives et entêtantes…

Il faut l’élégance d’une moue argentine, et un zeste de naïveté pour se lancer dans ce florilège de brunettes. Il faut aussi le talent de conteur, et celui de coloriste pour éviter le grand ennui de tant de désarmantes amourettes, de Tircis, de Margot et de Suzon. Le pari est crânement remporté par nos Kapsber’Girls et leur grâce souriante. On goûte ainsi l’anonyme “Sur cette charmante rive” qui fait place aux deux voix sensuelles emmêlées d’Alice Duport-Percier (dessus) & d’Axelle Verner (bas-dessus) accompagnées par l’archiluth poétique d’Albane Ims, et la souplesse naturelle des ornements ajoute une pointe d’artifice à cette complainte amoureuse. Du Bousset nous gratifie d’un bien “Beau vallon” perlé et rond, “Où estes-vous allées mes belles” qui débute après quelques bêlements de moutons, détend le tempo avec un langoureux début a capella avant de reprendre un rythme plus sautillant. Là encore, la fusion des timbres des chanteuses, l’harmonie aimable du propos, la délicatesse un rien ironique et rusée des interprètes, la maîtrise de la ligne et des agréments (coulés, ports de voix, accents, tremblements, pincés, flattés, etc. Montéclair en listait 18, donc plusieurs assez similaires) emportent l’adhésion, désarment la critique. Certains airs dénotent toutefois une plus grande beauté d’écriture, tel notre favori, celui “Les Rossignols, dès que le jour commence” d’Elisabeth Jacquet de la Guerre : les Kapsber’Girls soignent les textures et l’accompagnement créant des ritournelles instrumentales (pardessus de viole et archiluth, cordes pincées seules), dilatent les mesures pour une atmosphère de nostalgie pudique (ajoutent même ça et là quelques cui-cui superflus) où l’on fricote sur les lisières de l’air de cour. Même ambiance plus grave et sombre pour le noble “Vous qui sçavez si bien” stylistiquement proche de Lambert. A l’inverse, “En vérité, sévère Margoton, vous le prenez sur un drôle de ton” enflé et drolatique, avec ses percussions (ou simples tapotements sur les caisses des instruments) constitue un intermède bref et gouailleur où l’on regrette qu’une voix d’homme n’assume pas les parties d’un certain Simon, Berger bien entreprenant. “Je vous dis que je vous aime” a la droiture touchante d’une ariette lullyste.

Des œuvres instrumentales ponctuent cet Arcadie, procurant une respiration bienvenue, et campant ce décor pastoral résolument pastel et aquarellé, sans mièvrerie ni sentimentalisme : accents plaintifs de la viole de Garance Boizot, superbes confidences des cordes d’Albane Imbs notamment dans le  languissant rondeau de Lendormy ou la chaconne rêveuse d’Hotman. Le voyage se termine avec les sourds rochers de Michel Lambert – décidément un grand compositeur que ce beau-père de Lully – et un contrapuntique “avec du vin” de Rameau, moins rieur que ces prédécesseurs mais aux chromatismes audacieux. C’est là une très belle ballade, moins rugueuse ou populaire que les entreprises des Witches ou des Musiciens de Saint-Julien, moelleusement lovée dans une alcôve cultivée de salons aux accents tour à tour tendre et moqueurs. N’y manque que quelques Kapsber’Boys, qui apporteraient davantage de contrastes et – qui sait – des débordements sanguins. Et puisque ce ne sont pas des airs à boire, consommons ces brunettes sans modération.

Viet-Linh Nguyen

Technique : prise de son d’une belle clarté, très transparente, et effets sonores (moutons, oiseaux) insérés avec naturel et bon goût.

 

Étiquettes : , , , , Dernière modification: 25 mars 2024
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