Rédigé par 17 h 46 min Concerts, Critiques

Une famille en or (Bach en Famille, Les Surprises, Mauillon, Bestion de Camboulas – Théâtre des Bouffes du Nord, 6 octobre 2024)

Marc-Mauillon © Inanis / Agence Management

“Bach en Famille”

Concerto pour clavecin :
Allegro, Carl Philipp Emmanuel Bach,
Andante, Wilhelm Friedmann Bach,
Allegro, Johann Sebastian Bach,

Cantate :
Bist du bei mir”
Sinfonia, Georg Bohm,
Aria Bist du bei mir, Georg Stölzel,
Récitatif, Johann Sebastian Bach,
Aria Lyda Carl Philipp Emmanuel Bach,
Aria Philys Carl Philipp Emmanuel Bach,

Sonate :
Adagio, JS Bach,
Allegro, CPE Bach,
Andante, CPE Bach,
Allegro, JS Bach,

Cantate :
Herr, lehre mich,
Sinfonia, Johann-Bernard Bach
Aria Herr, lehre mich, CPE Bach,
Récitatif Mein Gott, Georg Philipp Telemann
Aria et choral Ob bei uns ist der Sünden viel, JS Bach,
Aria Gleich wie die wilden, JS Bach
Choral Was Gott tut, das ist wohlgetan, JS Bach,

Symphonie :
Allegro, CPE Bach,
Adagio, Johann Ludwig Krebs,
Allegro, Wilhelm Friedemann Bach


Marc Mauillon, baryton

Ensemble Les Surprises :
Gabriel Grosbard, Marie Rouquié, violons
Tiphaine Coquempot, alto
Juliette Guignard, viole de Gambe
Julien Hainsworth, violoncelle
Marie-Amélie Clément, contrebasse

Louis-Noël Bestion de Camboulas, clavecin & direction,

Théâtre des Bouffes du Nord, Paris, 6 octobre 2024.

Bach en Famille[1] ! Voilà un titre pour le moins explicite pour un programme au final bien plus original que nous ne le pensions. Car s’il est connu que la famille Bach compta nombre de compositeurs, au point que l’on se perde parfois sur la véritable filiation entre ces musiciens, la discographie récente insiste davantage sur l’influence de Bach auprès des compositeurs de sa génération, que sur les liens familiaux entre compositeurs de la même famille. Pour ne citer que deux exemples hautement recommandables, signalons le Bach & Entourage de Johannes Pramsohler et Philippe Grisvard (Audax Record, 2015) et Bach and Friends de… Louis Noël Bestion de Camboulas (Ambronay Editions, 2017) bien que les publications consacrées à la famille Bach ne manquent guère : on se perdrait à énumérer la pléthore de références à savourer, du Ricercar Consort (Ricercar) à la Dynastie Bach (avec l’Akademie für alte Musik Berlin chez Harmonia Mundi), sans compter l’exhumation des ancêtres thuringiens depuis longtemps par Reinhardt Goebel (Alt-Bachisches Archiv chez Archiv) puis Konrad Junghanel (Harmonia Mundi). Mais ce soir, les Surprises sont allées plus loin…

Le concert était tout entier centré autour de la famille Bach, à l’occasion de la sortie prochaine (le 25 octobre, chez Harmonia Mundi) de The experts : Bach & Silbermann Families, qui se proposera avec un programme proche de celui présenté ce soir d’explorer les liens d’émulation entre la grande famille de facteurs d’instruments[2] (pianoforte et orgues principalement) et celle toute aussi illustre de compositeurs. C’est une nouvelle fois après Nuit à Venise le décor à l’austérité toute eschatologique du Théâtre des Bouffes du Nord qui accueille ce véritable dîner de famille, servi avec art de la direction et humour de la présentation par Louis-Noël Bestion de Camboulas et ses pairs, visiblement ravis de leurs circonvolutions autour de la figure centrale de Jean-Sébastien Bach. Et quitte à jouer avec des formes musicales qui évoluent avec le temps et verra le concert débuter par un concerto pour s’achever avec une symphonie, jouons aussi avec les compositeurs en compilant pour une même pièce des mouvements composés… par différents membres de la famille.

C’est le cas dès l’entame du concert avec ce concerto pour clavecin, dont l’allegro initial, composé par Carl Philipp Bach (1714-1788), dont il n’est pas besoin de rappeler (mais faisons-le quand même…) qu’il est fils de Jean-Sébastien Bach et de Maria-Barbara, est assez caractéristique du style de celui qui est sans doute le plus illustre enfant du compositeur de Leipzig, offrant là une partition tendant largement vers le classicisme, conjuguant efficacement sentiment et vitalité, Louis-Noël Bestion de Camboulas servant de son côté très bien cette partition, réunissant au clavecin à la fois le toucher subtilement martelé sur le clavier et le délié expressif permettant l’expression de toutes les subtilités de cette œuvre tardive pour clavecin. Changement de registre avec l’Andante intermédiaire, signé de Wilhelm Friedmann Bach (1710-1784), dit le « Bach de Halle », frère aîné de Carl Philipp et celui dont la carrière fut la plus discrète, malgré des dispositions initiales qui faisaient de lui le plus à même de perpétuer l’illustre héritage paternel. La faute peut-être, non à un talent moindre, qu’à une évolution des goûts musicaux dans le mi-temps du XVIIIème siècle, dont cet andante est à bien des égards l’illustration. Le mouvement, plus introverti, plus ténébreux, à la fois plus grave et moins mélodieux apparaît d’une beauté un peu austère, d’un sérieux non déplaisant mais un peu fané, contrastant d’autant avec la partition initiale de son jeune frère. Doit-on réunir ces deux figures fraternelles sous l’égide du père, Jean-Sébastien Bach, auteur du superbe allegro conclusif ? Assurément tant s’exprime dans ce final l’indépassable talent du giron paternel, délivrant là une partition où se retrouve son art consommé de la structure musicale, de l’harmonie entre les voix des différents instruments, la richesse de sa palette et son sens de la tension et de la fugue. Un mouvement comme une démonstration, qui ravira autant les admirateurs du père qu’elle viendra jeter un voile d’ombrage, léger mais certain, sur les deux fils l’ayant pour cette œuvre précédé.

Une dichotomie entre les membres de la famille Bach que l’on retrouve un peu plus tard au cours du programme lors de l’exécution de cette sonate en quatre mouvements dans laquelle un adagio et allegro de Jean-Sébastien Bach embrassent un allegro et un andante de Carl Philipp Emmanuel Bach. Au père la majesté, l’étendue de la palette expressive et la belle structuration de l’entrée du violon sur l’adagio initial, au fils le jeu tout en sentiments aériens sur l’allegro, tout en distillant quelques accents albinoniens sur son andante. Là une alliance comme un équilibre renouvelé, une œuvre où s’exprime plus que dans la première œuvre, un véritable esprit de parenté.

Le nom de Bach est indissociable de celui de la cantate, forme que l’on retrouve à deux reprises au cours de ce programme, occasion également de faire quelques détours, souvent succins et pas toujours indispensables vers quelques amis, maîtres ou élèves de Jean-Sébastien Bach. C’est sur la cantate Bist du bei mir, une courte sinfonia introductive par trop classique pour être marquante signée Georg Bohm (1661-1733, qui fut l’un des maîtres de Jean-Sébastien Bach à Lunebourg) auquel on préfèrera la très belle ferveur exprimée par la voix de Marc Mauillon sur l’aria Bist du bei mir de Georg Stölzel (1690-1749) à qui il faut réattribuer la paternité d’une œuvre fameuse que l’on attribua longtemps à Jean-Sébastien Bach du fait de sa présence dans le Petit livre pour clavier de Anna-Magdalena Bach, et cela avant que les aria Lyda et Philys, enlevés, rythmés et que nous devons à Carl Philipp Emmanuel Bach ne viennent finir d’emporter l’adhésion.

La seconde cantate du programme, Herr lehre mich, cantate sacrée et donc non jouée au célèbre Café Zimmerman au contraire très probablement de nombre des autres partitions de cette soirée, offre l’occasion de croiser pour une Sinfonia introductive au classicisme assez dispensable le nom de Johann Bernard Bach (1676-1749), membre de la famille en ascendant de Jean-Sébastien, dont il est un cousin au deuxième degrés (pour faire simple, son père, Johann Aegidus Bach, connu comme musicien de viole, est un cousin germain du père de Jean-Sébastien Bach). Là encore, dans cette cantate quelque peu ramifiée, nous préférerons le bel aria Gleich wie die wilden, composé par Jean-Sébastien, comportant une très belle envolée vocale, le non moins émouvant Herr, lehre mich de Carl Philipp Emmanuel et l’intéressant récitatif Mein Gott de Telemann, dont il est utile de rappeler que son amitié avec Jean-Sébastien Bach lui valu d’être le parrain de Carl Philipp Emmanuel, qui reprend une partie de son prénom.

Evolution des formes musicales disions-nous précédemment, dont la Symphonie finale est un bel exemple, l’allegro initial à la belle ligne de violon, là aussi d’une composition plus classique dans le style est dû à Carl Philipp Emmanuel Bach, alors que l’on admirera à sa juste mesure la très belle expressivité d’un violon langoureux à souhait dans un superbe adagio composé par Johann Ludwig Krebs (1713-1780), élève de Jean-Sébastien Bach, avant que les notes virtuoses et le son grainé du violon de l’allegro final, dû à Wilhelm Friedmann Bach ne nous donne après ce concert érudit et stimulant l’envie de réécouter Schmelzer.

 

                                                           Pierre-Damien HOUVILLE

[1] Soulignons, car en matière de promotion à la création musicale, ceci à son importance, que le programme Bach en Famille de l’Ensemble Les Surprises a bénéficié du soutien de la Cité de la Voix, le centre national d’art vocal de Vézelay.

[2] Comme nous l’évoquions à l’occasion d’un précédent article, un lien de parenté existe bien entre la branche germanique de la famille, essentiellement centrée autour de la figure de Gottfried Silbermann (1683-1753), facteur notamment de l’orgue de la cathédrale de Freiberg utilisée pour l’enregistrement à venir des Surprises, et la branche alsacienne dont subsiste de nombreux instruments dans la région, surtout centrée autour de André Silbermann (1678-1734), frère du précédent et père de Jean-André Silbermann (1712-1783), facteur notamment de l’instrument de l’église Saint-Thomas de Strasbourg.

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