Rédigé par 22 h 43 min Littérature & Beaux-arts

« Rien ne pourra faire que je ne me sois amusé » – Hommage à Philippe Sollers (1936-2023)

« J’aimais à apprendre que pour mettre la raison sur le chemin de la vérité il fallait commencer par la tromper. Les ténèbres durent précéder la lumière. » (Casanova, citation relevée par Philippe Sollers dans son Casanova l’Admirable)

Philippe Sollers en 2014 – Wikimedia Commons (retravaillée)

C’est lors d’un jour de couronnement royal fastueux et pluvieux chez nos voisins britanniques que fut annoncée la mort de l’écrivain Philippe Sollers, décédé à l’âge de 86 ans. Les hommages, souvent hélas trop brefs et convenus, reflètent à la fois une indifférence polie pour la république des lettres et une méfiance de la part de nombreux journaux à encenser un écrivain marqué du double sceau de l’élitisme germanopratin et un goût avoué pour la séduction, deux comportements que le moralisme actuel tend à réprouver.

Libre dans ses choix et leur affirmation, considéré comme gravitant trop entre la rue Gaston Gallimard et la Closerie des Lilas, il n’arrivera pas, au contraire d’un Jean d’Ormesson, à concilier aspirations intellectuelles et popularité pour s’élever comme ce dernier au rang de figure incontournable de la culture française.

Son œuvre, riche de plusieurs dizaines de titres en essais comme en romans, auxquels il faudrait ajouter nombre d’articles et d’interventions médiatiques, s’avère foisonnante et diverse, et avouons que nous sommes très loin d’avoir tout lu d’une production dont le spectre des sujets dépasse très largement les thématiques que nous développons.

Mais nous retenons que Philippe Sollers fut aussi, et peut-être avant tout, un amoureux du dix-huitième siècle et du souffle de liberté, parfois à son image un peu iconoclaste, qui y règne. Ce siècle des Lumières irrigue son œuvre (La Guerre du goût, 1994) et si comme nombre d’écrivains de sa génération il construit ses références dans un monde où la connaissance de la musique baroque est un peu terne, il est possible de glaner dans ses écrits de belles lignes consacrées à Jean-Sébastien Bach ou Wolfgang Amadeus Mozart (Mystérieux Mozart, 2001). Du côté des peintres de cette période, il consacre une monographie à Antoine Watteau (Watteau et les Femmes, 1992) et une autre à Fragonard (Les Surprises de Fragonard, 1987), ou s’intéresse à Dominique Vivant-Denon (Le Cavalier du Louvre, 1995).

En amoureux qu’il fut de l’excès, Philippe Sollers aima aussi avec une forme d’absolu les personnages dont l’esprit embrasse l’époque, la provoque et la pousse à se dépasser. Ce goût des autres et de leur création, de Dante à Willy Ronis, n’est que plus ardent quand en miroir il peut y retrouver son goût de l’irrévérence. Un esprit libre et libertin qui pousse Philippe Sollers à devenir fin connaisseur de l’œuvre du Marquis de Sade et peut-être encore plus de celle de Giacomo Casanova, indissociable de l’admiration que Philippe Sollers porte pour Venise (La Fête à Venise, roman,1991, Dictionnaire Amoureux de Venise, 2004).

A Casanova il consacre un ouvrage à son image, subjectif, passionné, un peu déstructuré mais percutant et érudit, Casanova l’admirable (1998). Souvent présenté comme une biographie, mais finalement plus une suite de réflexions et de notes de lectures démontrant la culture et l’acuité de Philippe Sollers quand il évoque Casanova. Un écrivain qu’il renomme le plus souvent « Casa » dans l’ouvrage, un usage du diminutif un peu frondeur, faussement irrévérencieux et réellement touchant, comme on peut se le permettre envers un ami, autrement dit un pote. Sollers a lu Casanova, l’a relu aussi, et nous rappelle qu’un soir Villa Bertramka, il n’est pas question de musique entre Mozart et Casanova, mais du récit fort romanesque de l’évasion de la prison des Plombs de ce dernier. Philippe Sollers capte tout l’aspect jouisseur du personnage, capable au passage de quelques fulgurances définitives et remarquables comme celle consistant à affirmer, parlant de Casanova « Il est comme Freud, au fond, mais en plus comique. Freud, c’est le bilan d’un siècle de refoulement ; Casanova, le récit d’un siècle de libération. ». C’est envoyé, peut-être discutable, et ferait assurément un bon sujet de dissertation pour étudiants en session de printemps. La liberté qui coule dans les veines de Casanova est rapprochée de celle insufflée par la musique de Vivaldi dont Sollers nous recommande l’Orlando Furioso avec Marilyn Horne (nous ne sommes pas certains de totalement le suivre sur cet enregistrement daté à plusieurs égards).

Philippe Sollers a l’œil pétillant quand il parle de Casanova, en éclairant le texte, les non-dits, les évocations plus ou moins limpides (notamment sur quelques métaphores charnelles utilisées par le vénitien). Au passage, il évoque aussi le rapport de quelques-uns de ses contemporains avec Casanova, comme cette soirée, maintenant vieille de trente-cinq ans où se tissent autour de Casanova des affinités littéraires avec un François Mitterrand déjà malade, qui du vénitien a retenu l’essentiel, le sens de l’instant, la frénésie de vivre, et cela en compagnie d’Octavio Paz, moins conquis, et d’une Marguerite Duras…moins présente. Philippe Sollers a retenu aussi cela du dix-huitième siècle, l’art d’égratigner quelques confrères.

Un livre d’une grande érudition et remarquable par ses jaillissements qui peut-être une fort belle introduction aux écrits de Philippe Sollers, et un complément savoureux à la lecture de Casanova. En exergue de l’ouvrage trône une citation du chevalier de Seingalt « Rien ne pourra faire que je ne me sois amusé ». Espérons qu’il en fut de même pour Philippe Sollers.

 

                                                                                              Pierre-Damien HOUVILLE 

Étiquettes : , , Dernière modification: 14 juin 2023
Fermer