Henri Testelin, Louis XIV, Protecteur des Arts (en costume de sacre), œuvre commandée par l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture pour orner sa salle d’assemblée, apporté par l’artiste le 7 janvier 1668 – Dépôt du Louvre au Château de Versailles. Cliché : Wikimedia Commons.
Alors que nos rivaux Britons célèbrent avec faste un vieux prince devenu jeune monarque, que les éperons et épées sont remis, la couronne posée, les sceptres et orbes saisis, que le vieux carrosse doré bringuebale, tandis que défilent Horse et Life Guards en une tonitruante procession, on frissonne d’aise en vibrant d’un Zadok the Priest handélien, qui scande de manière incontournable les couronnements d’Outre-Manche depuis George III. Mais alors, en le Très Chrétien Royaume, quelle messe du sacre retentissait-elle ? Oui, certes, l’on se souvient que c’était du Giroust (pas mal du tout) pour celui de Louis XVI, du Le Sueur pour le Buonaparte, du Cherubini pour Louis XVIII et Charles X. Mais quid d’avant ?
En fait, la pratique de la composition d’une messe spécifique pour l’occasion du sacre n’existait tout simplement pas. Bien entendu, il y avait un rituel liturgique extrêmement long et pointilleux, mais lorsqu’après les troubles et la guerre civile, le 7 juin 1654, en la cathédrale de Reims, Louis Dieudonné fut sacré roi de France à seize ans, on joua tout simplement… la messe prévue, mais non une composition élaborée uniquement pour l’évènement. C’est ce qu’expliquent le musicologue Thomas Leconte et Sébastien Daucé, qui avaient tenté une très intéressante évocation musicale de ce sacre (excellent DVD chez Château de Versailles Spectacle au livret un peu maigrichon cependant).
Jean Lepautre, gravure représentant le sacre de Louis XIV à Reims le 7 juin 1654. Il s’agit de l’une des 3 gravures de Lepautre publiée dans la relation officielle du sacre parue chez Edme Martin en 1655 sous le titre de La pompeuse et magnifique cérémonie du sacre du Roy Louis XIV © CMBV
L’enquête s’est avérée bien ardue, car malgré les nombreux documents relatifs à la cérémonie ou les témoignages des contemporains, rien n’indique quelles furent les musiques précisément jouées à cette occasion. Partant du déroulement de la cérémonie (mais s’en écartant parfois puisque le projet est celui d’une évocation musicale qui ne suit dont pas strictement ce qu’en dit l’Archevêque de Soissons Mgr Le Gras qui sacra le roi, le siège de Reims étant alors vacant), des textes chantés, des différents corps de musique présents, des instruments mobilisés, du nombre des interprètes, de leur emplacement dans la cathédrale et des types de musique et en les croisant avec des sources musicales de ce temps (notamment le Manuscrit Deslauriers et le Manuscrit de Tours), nos chercheurs ont fixé leur dévolu sur une messe de Charles d’Helfer (1598-1661), chanoine et maître de musique de la cathédrale de Soissons, connu notamment pour son requiem à quatre voix de 1656 joué pour les obsèques de Delalande en 1726 et qui a inspiré la messe de requiem de Louis XV en 1775. Et comme le sacre date de 1654, l’on ne s’étonnera pas dans la reconstitution hypothétique de l’Ensemble Correspondances de voir beaucoup de compositeurs que l’on associe au(x) règne(s) précédent : Boësset, Moulinié, Veillot, des estrangers (Lassus, Cavalli) aux côtés de la nouvelle garde (Du Mont). Et les Lully, Charpentier, Delalande, Couperin, Lorenzani ne sont pas encore là… [V.L.N]
Peintre anonyme, portrait du sacre de Louis XIV, collection Morritt, Rokeby Park, comté de Durham, Royaume-Uni (détail) op. cit. in Rogister John. « Le sacre de Louis XIV ». À propos d’une nouvelle image. In: Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 160e année, N. 4, 2016. pp. 1423-1441.
ANNEXE : Liste des plages du DVD du Sacre de Louis XIV, évocation musicale par l’Ensemble Correspondances, dirigé par Sébastien Daucé (Château de Versailles Spectacles)
Le roi entre à Reims !
Anonyme, Pavane pour le mariage de Louis XIII
Processions pour la Reine, mère de sa Majesté, en l’honneur de la Vierge
Antoine Boësset, Anna Mater matris
Étienne Moulinié, Beata dei genitrix
Anonyme (manuscrit Deslauriers), Virgo dei genitrix
Anonyme (manuscrit Deslauriers), Tota pulchra es
Le roi entre en la cathédrale !
Anonyme, Pavane pour le mariage de Monsieur de Vandome
Jean Veillot, Sacris solemniis
Plain Chant, Ecce ego mitto Angelum eum
Psaume, Domine in virtute tua
Anonyme (manuscrit de Tours), Jubilate Deo
Arrivée de la Sainte Ampoule avant le serment du roi et la bénédiction de l’épée
Anonyme (manuscrit Philidor), Pavane pour le mariage de Henry le Grand
Antienne, O pretiosum munus
Anonyme (manuscrit Deslauriers), Benedicite omnia opera
Antienne, Confortare et esto vir
Anonyme (manuscrit de Tours), Omnes gentes plaudite manibus
On présente au roi la couronne, le sceptre et la main de justice
Roland de Lassus, O rex vivat !
Henry Du Mont, In lectulo meo
Antienne, Gentem francorum
Francesco Cavalli, Dixit Dominus
Lâcher de colombes et Te Deum pour le Couronnement
Anonyme, Pavane pour le sacre de Louis XIII
Antienne, Unxerunt Salomonem Sadoch
Étienne Moulinié, Cantate Domino
Thomas Gobert (manuscrit Deslauriers), Domine Salvum fac regem
Anonyme (manuscrit Philidor), Pavane La petite Guerre
Anonyme (manuscrit de Tours), Te Deum à deux chœurs
Messe du Sacre : vivat rex !
Plain-Chant, Factus est Dominus protector
Charles d’Helfer, Kyrie (messe d’Helfer)
Charles d’Helfer, Gloria (messe d’Helfer)
Francesco Cavalli, Offertoire : Sonate à douze
Charles d’Helfer, Sanctus (messe d’Helfer)
Anonyme, Élévation : O vere digna Hostia
Anonyme (manuscrit de Tours), O salutaris Hostia
Étienne Moulinié, Agnus Dei
Plain-Chant, Pax Domini
Étienne Moulinié, Post communion : Flores Apparuerunt
Ouvrez les portes pour Louis le XIVe, roi de France et de Navarre !
Plain-Chant, Ite missa est
Anonyme (manuscrit Deslauriers), Gaudete et exultate
