Rédigé par 23 h 32 min CDs & DVDs, Critiques

Loud & clear (Bach, Variations Goldberg, Jean-Luc Ho – L’Encelade)

“Il faut un sacré clavecin pour une telle pièce. Un vieux compagnon qui fait envie, qui répond à la gourmandise et alimente le jeu.” (Jean-Luc Ho)

Jean-Sébastien BACH (1685-1750)
Les Variations Goldberg BWV 988

Jean-Luc Ho, clavecin français à deux claviers Emile Jobin, 1983, d’après Jean-Claude Goujon (1749) conservé au Musée de la Cité de la Musique

2 CDs, enr. en janvier 2022 à l’Abbaye de Royaumont, L’Encelade, 42’17 + 44’24.

Ah les Goldberg. Encore et toujours. Car les diamants sont éternels. Ne revenons pas une énième fois sur la génèse mystérieuse de cet Aria mit verschiedenen veränderungen vors Clavicembal mit 2 Manualen (aria avec différentes variations pour un clavecin à deux claviers), et à ce qu’en rapporta Forkel, avec cette histoire d’insomnie à dormir debout du mécène Comte de Keyserling que son protégé et musicien Johann Gottlieb Goldberg soignait à coup de claviers. Jean-Luc Ho aborde ses Goldberg et les a mûrement réfléchies. Il les aborde tout autant en organiste qu’en claveciniste, insiste sur le clavier, et le langage entrelacé entre orgue, clavicorde, clavecin, la filiation avec les fantaisies de chorals des disciples de Sweelinck. Il avoue aussi son coup de cœur et ses affinités pour ce clavecin d’Emile Jobin, copie d’un Goujon on ne peut plus français, et bien éloigné par sa brillante clarté scintillante des instruments germaniques, mais l’interprète justifie son choix par le fait que “l’esthétique dépasse l’objet”. 

La lecture est personnelle, articulée, d’une densité polyphonique extrême. Ce sont des Goldberg serrées et colorées, à l’ampleur orchestrale. Les variations s’enchaînent comme dans un édifice altier, à la stéréotomie radieuse et millimétrée. Jean-Luc Ho, bien qu’il parle des Goldberg comme d’un “sourire esquissé”, l’opposant aux “black-outs contrapuntiques” de l’Offrande Musicale et l’Art de la Fugue, n’esquisse guère. Son trait est celui d’un architecte ou d’un géomètre, à la pureté rigoureuse, à la virtuosité vive mais froide, au classicisme orné mais dont les ressauts et volutes n’apprécient guère les reliefs et refusent les ombres. Il y a du Leonhardt et du Hantaï première manière (celui du premier enregistrement chez Opus 111) dans ces Goldberg d’une richesse éloquente, à la fluidité sérieuse et droite, très démonstratives (variation 9 ironiquement pédagogique, mais quid de la 13 interprétée de même et sans second degré ?) et l’on s’étonne de ne pas percevoir davantage la patte plus génialement imprévisible de Blandine Verlet, dont il fut l’élève. 

L’ouverture de la Variation 16 est grande et belle, à l’image de ces Goldberg magnifiques de complexité, qui sculptent le matériau et en dévoilent toute l’épaisseur, mais il y a dans ses trilles si carrés un refus de l’abandon et du dévoilement de soi qui laissera parfois l’auditeur sur sa faim : la Variation 17 n’ose pas la tendresse ; la 19 ne bouillonne pas ; la 22 ne se permet nulle espièglerie, en dépit du spectre sonore. L’armure se fend parfois un peu : la variation 2 gracieuse voire galante, la 4 claudicante et un brin burlesque, joliment ornée,  longue Variation 25, avec ses chromatismes, ses hésitations, sa mélancolie hivernale, laisse entrevoir une sensibilité plus personnelle qu’on aurait aimé que le claveciniste exprime davantage. Voici une version à écouter et à approfondir, mais qui ne supplantera pas à nos oreilles les emballements énergiques et les graves sonores de Scott Ross (le live de 1985 paru chez Erato), les fulgurances inspirées et capricieuses de Blandine Verlet (2nde version si personnelle chez Astrée), l’élégante rêverie entrecoupée de jubilation de Blandine Rannou (ZZT), ou la noblesse souriante de Frédéric Haas (La Dolce Volta). Mais il faut savoir varier les Variations, et celles de Jean-Luc Ho méritent assurément qu’on se couche parfois un peu tard pour profiter de leur baume.

Viet-Linh Nguyen

Technique : enregistrement clair et précis, équilibre et proche de l’instrument sans toutefois qu’on entendent les bruits mécaniques.

 

 

Étiquettes : , , , , Dernière modification: 11 juin 2023
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