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Retrouvailles (Vivaldi Incognito, Ensemble Hexaton, Rebinguet Sudre – L’Encelade)

“Vivaldi Incognito”

Sonata II en Ré mineur (RV 12). Preludio Largo / Corrente Allegro / Giga Allegro / Gavotta Presto
Toccata pour clavecin en Sol Majeur, (Guillaume Rebinguet Sudre)
Sonata en Ré Majeur (RV 10). Preludio a Capriccio / Allegro / Adagio / Allegro
Concerto pour violoncelle en Sol mineur (RV 416), Adagio
Sonata VII en Do mineur (RV6). Preludio Andante / Corrente Allegro / Grace / Allemanda Allegro
Preludio pour théorbe en Sib Majeur, (Guillaume Rebinguet Sudre)
Sonata XI en Mib Majeur (RV 756). Preludio Largo / Allemanda Allegro / Sarabanda Andante / Giga Allegro

Ensemble Hexaton :
Guillaume REBINGUET SUDRE, violon Andrea Frandsen et Christian Rault, 2023, d’après Niccolo Amati, Crémone, vers 1650
Etienne MANGOT, violoncelle Gérard Sambot, 2016, d’après Domenico Montagnana, Venise, vers 1720
Simon WADDELL, théorbe Lourdes Uncilla, 2019, d’après anonyme du XVIIème siècle
Clément GEOFFROY, clavecin Guillaume Rebinguet Sudre, 2022, d’après un modèle italien anonyme, Naples, vers 1650

1 CD digipack, L’Encelade, 2024, 60′

Ne vous fiez pas au bon goût pour le moins approximatif dont font preuve les photos de pochette et de livret. Voici un disque qui vaut bien mieux que le décorum un brin aléatoire dans lequel il se pare.  De Guillaume Rebinguet Sudre nous avions émis des réserves sur son interprétation, très (trop) personnelle au risque d’être clivante du premier livre des Sonates & Partitas de Jean-Sébastien Bach (L’Encelade, 2022). Le revoici aujourd’hui en compagnie de l’Ensemble Hexaton, dont il est par ailleurs le fondateur, pour un programme tout entier dédié (ou presque) à Antonio Vivaldi, retrouvant là une proximité avec le répertoire vénitien du dix-huitième siècle l’ayant amené à s’intéresser aux Sonates pour violon de Tomaso Albinoni pour un premier disque très hautement recommandable (L’Encelade, 2012).

Dans l’œuvre pour le moins luxuriante d’Antonio Vivaldi (pas moins de 750 œuvres répertoriées par Peter Ryom en 1973 dans le catalogue éponyme, qui fait référence), Guillaume Rebinguet Sudre délaisse les classiques par trop attendus, et notamment les concerti, pour se concentrer sur quelques-unes des sonates pour violon et basse continue du compositeur, sur lesquelles éclatent l’inventivité et le brio du compositeur, sa recherche perpétuelle de nouveaux effets, mais aussi, et cela intéressera d’autant plus, une influence d’un très large spectre, dévoilant un Vivaldi érudit, sans doute encore plus perméable aux influences musicales extérieures que nous ne pouvions le penser.

Les quatre sonates proposées dans cet enregistrement sont, à l’exception de la Sonate en Ré Majeur (RV 10) issues du manuscrit dit « de Manchester » dont la redécouverte en 1973 marqua un jalon essentiel de la connaissance de la musique pour violon de Vivaldi et ont déjà été intégralement enregistrées dans de superbes versions de référence tour à tour lyriques (Biondi), ou écartelées (Manze) qui demeurent indépassées. Les partitions contenues dans cet ensemble, probablement collectées autour de 1724 nous montrent un Vivaldi, qui depuis longtemps virtuose tant du violon que de la composition, expérimente, essaye et suggère avec un art consommé de l’expressivité de l’instrument, n’hésitant pas à reprendre des passages de ces œuvres fondatrices ou du moins à très fortement s’en inspirer dans nombre de ses partitions ultérieures.

Et quel meilleur exemple de cet art de Vivaldi pour se jouer des codes et s’abreuver des influences les plus diverses que l’introductive Sonate II en Ré mineur (RV 12) sur laquelle le compositeur, s’il garde une structure corellienne en quatre mouvements, conserve le mouvement lent en début d’œuvre, avec un Preludio Largo à l’expressivité affirmée, quasi vocale, qui mérite de figurer parmi les grandes pages composées pour violon dans ce qu’il a de plus majestueux en matière de sentiments, pour ensuite enchainer avec trois mouvements rapides successifs, une Corrente, suivie d’une Gigue et d’une Gavotte, comme l’affirmation par Vivaldi de sa parfaite maîtrise de formes musicales aux origines pour le moins diverses. Et si sa Gavotte apparaît pour le moins classique, on s’attardera plus sur les deux mouvements centraux, sa Corrente, forme italienne de la Courante éclatant comme une démonstration des capacités solistes et d’affirmation de l’instrument (avec une belle ligne mélodique sur le devant et un continuo affirmé sur l’arrière) alors que sa Gigue, aérienne et tendue, agit comme une ritournelle envoutante tout en exprimant une profondeur d’une grande pureté.

Ce goût du faste se retrouve dans la Sonata XI en Mib Majeur (RV 756) qui là aussi après un Largo initial, tout en majesté, en attente et en retenue, fait succéder immédiatement une Allemanda toute en force et en puissance que Guillaume Rebinguet Sudre embrasse avec un archet fougueux, accentuant les graves pour une interprétation qui pour être très personnelle s’avère aussi très appropriée. Et après la Sarabande, c’est la Gigue finale qui séduit, avec ces notes pointues, comme des œillades et la belle présence de la basse au clavecin, pour une partition sur laquelle s’exprime à la fois toute la personnalité du compositeur et de l’interprète.

Et si nous voulions une preuve que l’atmosphère de Venise, carrefour de l’Europe et pont entre Orient et Occident irrigue les compositions vivaldiennes, la Sonate VII en Do mineur (RV 6) terminerait de nous convaincre. Dédiée à Pisendel, le deuxième mouvement, Corrente allegro, distille une nostalgie de Bohême avant que le Grave ne laisse une place essentielle à l’ornementation, quand l’Allemande allegro conclusive ne soit, elle, propice à une démonstration de virtuosité technique.

Un goût pour la virtuosité du violon que Vivaldi puise dans des pièces antérieurs pour l’instrument (chez Schmelzer notamment) et dont la tonalité éminemment baroque se retrouve dans la Sonata en Ré Majeur RV 10, en particulier dans son deuxième mouvement, un Allegro à l’allant débridé, mais évitant tout emballement déstructuré, auquel après un Adagio gracieux mais plus conventionnel semble répondre l’Allegro final, éclatant de brio et de tension dramatique et sur lequel le grain du violon de Guillaume Rebinguet Sudre, un instrument contemporain de Andrea Frandsen et Christian Rault (2023) d’après un instrument de Niccolo Amati (vers 1650) fait particulièrement merveille.

Et que ces sonates pour violon ne nous fassent pas oublier un détour par l’Adagio du Concerto pour violoncelle en Sol Mineur (RV 416), permettant à l’archet naturel d’Etienne Mangot de délivrer une partition charmante de profondeur et de mélancolie, du plus bel effet. Nous pouvons par contre trouver plus anecdotiques les deux courtes compositions signées de Guillaume Rebinguet Sudre, une Toccata pour clavecin en Sol Majeur permettant à Clément Geoffroy, décidément de bien des parutions ces derniers mois, d’exprimer son doigté sur un clavecin signé lui aussi Guillaume Rebinguet Sudre et enchâssé entre deux sonates, un Preludio pour théorbe en Sib Majeur, charmant, émouvant, mais aux accents trop romantiques pour ne pas friser l’anachronisme, malgré le talent de Simon Waddell.

Guillaume Rebinguet Sudre, qui sur ce disque tempère plus qu’il n’étouffe une personnalité que l’on pressent pouvant être débordante, nous propose avec ces Sonates une plongée par bien des aspects séduisante auprès d’un Vivaldi qui dans la pleine maturité de son art, délivre des partitions pleines d’inventivité, d’expérimentation, d’audace, nourries des influences des genres musicaux européens les plus larges. Une réussite pour le jeune ensemble Hexaton que nous espérons retrouver sur d’autres projets tout aussi ambitieux et aboutis.

 

                                                                       Pierre-Damien HOUVILLE

Technique : enregistrement clair, un peu sec. Violon fortement mis en avant.

Étiquettes : , , , , , , , Dernière modification: 27 mars 2025
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