Ceci un billet d’humeur. Pas bien sérieux, juste agaçant, de ceux que l’on classe dans les réflexion poils-à-gratter ronchonnes des matinées pluvieuses. « Thus comes the English with full power upon us; And more than carefully it us concerns. To answer royally in our defences. » Alors, les Anglais nous ont dépêché au large de Bordeaux le HMS Iron Duke, navire nommé en l’honneur du Duc de Wellington qui écrabouilla dans la banlieue de Bruxelles l’envol de l’Aigle… Belle élégance. Côté français, le dîner d’Etat versaillais a été l’occasion de dresser une immense table dans la Galerie des Glaces. L’Opéra Royal eut sans doute mieux convenu en termes de disposition des 160 élus, mais la mythique Grande Galerie, avec ses relents des vainqueurs de 1919 et des fastes diplomatiques précédents, marque durablement les esprits qui souhaitent raviver cette Entente Cordiale. Assiettes en porcelaine de Sèvres, verres Baccarat, l’art de la table est à l’honneur, mais on s’étonne du faible nombre de couverts, et de l’absence de ceux destinés aux fromages et au dessert. Un zeste démocratique a conduit à une table droite unique qui artificiellement regonfle les égos (tous sont à la table d’honneur, mais plus ou moins loin de l’épicentre), d’ailleurs les convives se sont servis eux-mêmes. Bien sûr, il faut composer avec les fautes de goût de technocrates et le déclin du protocole officiel : d’immonde pancartes de réunion « Reine consort Camilla », « Roi Charles III », « Emmanuel Macron » & « Brigitte Macron » plutôt que les élégantes cartes de bristol aux armes de France calligraphiées (« S.M. Charles III », « M. le Président de la République »), une nappe grisâtre taupe d’hôtel international (couleur neutre affectionnée par la présidence comme on l’a vu de le relifting malheureux de la Salle des Fêtes de l’Elysée), un pupitre et fond uni du même gris pour les discours (encore le souci des caméras ou la peur que les flashes se réfléchissent trop sur les miroirs ?), jurant avec les ors et les marbres de cet écrin Grand Siècle avec ses pilastres uniques d’un ordre français créé par Le Brun à la demande de Colbert où figure le coq et les lys. Eh oui, n’est pas à la hauteur du Roi-Soleil qui veut.
Pour parvenir à la Grande Galerie, les invités, en simple smoking et sans porter l’habit, démocratie oblige ? – passèrent sur un tapis rouge étrangement disposé parallèlement aux marches de la Cour de Marbre. l’on avait parqué la fanfare de la garde républicaine dans ce saint des saints, cérémonial dénotant un singulier manque de majesté et d’étiquette et de gradation des espaces : il suffisait d’aligner le tapis rouge dans l’axe, avec la revue des troupes, selon l’ancestrale disposition ; l’on voit encore les pavés de placement des rangs des gardes-françaises et suisses comme sur le tableau célèbre de Pierre-Denis Martin. L’entorse a toutefois aidé les caméras, c’était peut-être le seul but. On protestera surtout contre l’occasion musicale manquée avec cette obscure « animation musicale » donnée dans la Chapelle Royale par le violoniste suédois Daniel Lozakovich. Qu’importe, les invités étaient pressés de s’enfiler les Grands Appartements, d’obliquer dans le Salon de la Guerre, et de se retrouver au centre du pouvoir.
Si l’Elysée s’est répandu sur le menu et les vins, rien n’a filtré du programme de ce petit concert relégué au rang de « pitch » d’accueil, décrit comme « animation musicale » ce qui en dit long sur le respect de l’art violonistique et de l’artiste ravalé au rang de gentil animateur. Pourtant l’on aurait pu souper en grande pompe, en compagnie des simphonies adéquates de Michel-Richard Delalande dirigées par Vincent Dumestre (chatoyant enregistrement chez Château de Versailles Spectacles suite à un concert annulé pendant l’épidémie). L’on aurait pu accueillir les invités aux sons des marches et fanfares rutilantes de la Grande Ecurie si bien restituées par Syntagma Amici & Giourdina (Ricercar), Hervé Niquet, lui qui a joué il y a peu les Coronation Anthems devant le Roi, aurait également pu le régaler de quelques Ballets de Village de Boismortier pour célébrer sa fibre environnementale, assaisonnés du God Save the King qu’il donne habituellement en bis après les hymnes handéliens. On aurait pu. Heureusement que la gastronomie et la magie des lieux ont compensé l’indigence musicale, du moins en termes de répertoire, car nous ne nous prononçons naturellement pas sur la prestation de Daniel Lozakovich dont on se demande tout de même un peu ce qu’il faisait là-bas ce soir-là, avec l’un de ses Stradiviarius (l’ « ex-Baron Rotschild » de 1713 ou « Le Reynier » de 1727 tous deux gracieusement prêtés à ce jeune virtuose de 22 ans.
Viet-Linh NGUYEN
Étiquettes : Versailles Dernière modification: 24 septembre 2023