Rédigé par 23 h 59 min CDs & DVDs, Critiques

Poum poum et tralala (Charpentier, Desmarest, Te Deum, Les Surprises – Alpha)

Marc-Antoine CHARPENTIER (1643-1704)
Te Deum H. 146

Henri DESMAREST (1661-1741)
Te Deum dit “de Lyon”

Jehanne Amzal, soprano
Eugénie Lefebvre, soprano
Clément Debieuvre, haute-contre
François-Olivier Jean, haute-contre
François Joron, taille
Jean-Christophe Lanièce, basse-taille
David Witczak, basse-taille

Ensemble Les Surprises
Direction Louis-Noël Bestion de Camboulas

1 CD digipack, enregistré en décembre 2022 à l’Arsenal de Metz, Alpha / Outhere, 51’17.

Jamais deux sans trois ! Deux Te Deum, et leur 3ème critique sur ces pages après les concerts de l’Auditorium du Louvre et de Saint-Louis des Invalides. En effet, pour la plus grande gloire de Dieu, et de la Musique, cette réalisation mémorable des Surprises est désormais pressée en galette, et nous nous abstiendrons de revenir sur le contexte de création d’une oeuvre bien trop célèbre, le Te Deum H146 de Charpentier (le plus célèbre de ceux qui nous sont parvenus, notamment par l’indicatif de l’Eurovision, les trois autres étant destinés à des effectifs bien moins fastueux pour la Chapelle des Ducs de Guise, comme le H147 enregistré par Hervé Niquet chez Naxos). La concurrence est pléthorique est rude au disque et l’on avoue une relative déception à ce Prélude tonitruant mais pressé, si enlevé et dansant qu’il en oublie la pompe et la solennité. C’est en mousquetaire que Louis Bestion de Camboulas aborde son grand motet, imprimant un allant martial irrésistible, avec de subtiles accélérations et une générosité jouissive. Cela commence assez mal : le récit du “Te deum laudamus” s’avère trop cursif, peu déclamatoire, presque badin. Le “Te aeternam Patrem” fortement contrasté entre petit et grand chœur, est pris à trop vive allure, et insiste davantage sur les petites flûtes et les mélismes que sur l’intensité du texte sacré : on se croirait presque dans une pastorale, même lors d’un “Domine Deus sabbaoth” qui se promène dans les colchiques. Ibidem pour la grande page chorale du “Pleni sunt caeli”, d’une robustesse poussive. Et puis, soudain, un déclic se fait, et l’enregistrement décolle à compter du “Te martyrum” malgré des trompettes et timbales grasses. Très beau récit du “Te per orbem terrarum”, enfin recueilli et concentré, avec un continuo subtil, et le haute-contre aérien de Clément Debieuvre, la noble taille de François Joron, la basse taille équilibrée et chaleureuse de Jean-Christophe Lanièce. Le crayon s’arrête, on lève un sourcil, on savoure ce latin à la française ciselé, les effusions du contrepoint en trio. De ce moment, les Surprises déroulent les mouvements avec une fluidité remarquable, l’œuvre gagnant en contrastes et en relief, malgré une tendance à (com)presser les motifs en fanfare et à étirer longuement certains récits comme le eTe ergo quaesumus familis tuis subvenie qui laisse admirer la pureté claire du dessus de Jehanne Amzal, son art de l’ornement, sa tenue mélodique. Lorsque survient l’ “In Te Domine Speravi”, d’une spontanéité dense, à la jubilation éclatante et communicative, l’on se dit “déjà ?”. Pourtant, cette vision brillante et rapide, malgré sa fulgurance optimiste, ne saurait faire oublier la lecture nuancée et d’une transparence incroyablement équilibrée de Martin Gester (Opus 111), l’onctuosité fervente d’un Louis Devos (Erato) ou encore la version relativement proche en termes de tempi d’Hervé Niquet (Glossa) aux chœurs plus détaillés et davantage scandée.

Changement de compositeur avec le 2ème Te Deum de Desmarest (le premier dit “de Paris”, d’une modestie surprenante, ayant été enregistré chez Glossa par le précité Niquet qui en semblait tout penaud), en première mondiale. L’oeuvre est diablement intéressante, car l’oeuvre semble avoir été composée lors de l’exil lorrain de Desmarest avec une écriture à quatre parties. Elle aurait même été exécutée en août 1725 en l’honneur de Marie Leszynska, à Verdun, en route pour épouser le Bien-Aimé. Si c’est le cas, l’on s’étonne d’un style quelquefois archaïsant à très courtes sections qui s’enchaînent plutôt que des mouvements clairement délimités. En outre, des pans entiers sont autant d’allusions patentes au Te Deum de Lully (1677), fondateur du genre (oublions celui de Bouzignac trop ancien et inclassable) : qu’il s’agisse de la fanfare et du mouvement introductif, de l’orchestration et des textures instrumentales, du dialogue fondu entre petit et grand chœur, de la scansion même du texte (par exemple dans le “Te deum laudamus”, le “Patrem immensae majestatis”, le “Dignare Domine”), l’on songe immédiatement à l’ombre tutélaire du Surintendant. Malheureusement, l’inventivité de Desmarest pâtit de la comparaison, son Te Deum “de Lyon” faisant office de respectueux hommage sans dénoter l’originalité de composition de certains de ses meilleurs grands motets lorrains, à l’instar du Domine in re furore, ou de l’Usquequo Domine. Les Surprises se lancent corps et âme dans une rendition colorée et vivante, très souple, énergique et cuivrée, qui sierait plus la cour ou au Concert Spirituel qu’à la chapelle fût-elle lorraine. On admirera justement les passages plus personnels et plus modernes où le compositeur se dévoile davantage comme le “Te pe orbem terrarum” réminiscent de Campra ou Lalande (superbe Jean-François Joron), un “Tu Rex gloriae” virtuose et italianisant où Eugénie Lefebvre fait montre d’un art consommé digne de l’opéra, suivi par le dramatique et poignant “Tu ad liberandum” de Jehanne Amzal, qui compte sans nul doute parmi les plus beaux moments de cette oeuvre inégale et mystérieuse. Le “Miserere nostri” souffre de l’émission trop large de David Witczak, l’élégant “Fiat misericordia” interprété par Clément Debieuvre, accomagné de motifs arpégés à la viole n’est pas sans rappeler certaines Leçons de Ténèbres de Joseph Fiocco. Dommage que le chef n’ait pas couplé justement le Te Deum de Lully à celui-ci, plutôt que celui de Charpentier, la mise en regard en aurait été  autrement plus fascinante, mais tout amateur de grand motet louis-quatorzien ne saurait faire l’impasse sur ce Te Deum de Lyon, sorte de synthèse des ancien et moderne mondes du grand motet versaillais.

 

Viet-Linh Nguyen

Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , Dernière modification: 26 février 2024
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