Rédigé par 18 h 40 min CDs & DVDs, Critiques

Tonitruant (Fastes de la Grande Ecurie, Lully, Philidor, Syntagma Amici, Giourdina – Ricercar)

“Fastes de la Grande Ecurie”
Œuvres de Philidor, Lully, Du Caurroy, Louis Couperin, Roberday, Desmazures, Degrinis…

Concert des grands hautbois pour les chevaliers faits par Henry III
Pavane La Petitte Guaire faite pour les cornets en 1601
Primo ballo della Notte d’Amore
Pavane faite pour le mariage de Henry le Grand en 1600
Bourée d’Avignon & La bourrée
Dixiesme Fantasie sur Requiem æternam à 4
Pavane pour les hautbois faite au sacre du Roy le 17e Octobre 1610
Pavane du mariage du Roy
Ballet à cheval fait pour le grand Carouselle fait à la Place Royale
Les pleurs d’Orfée ayant perdu sa femme
Fantaisie à 5 sur le jeu des hautbois
Autre suitte faite pour Mr le Compte sic Darcours
8e Caprice
Bruit de guerre
Marche liégeoise
Marche du régiment du Prince Charles de Brandebourg
La retraitte
Carrousel de Monseigneur en 1686
Marche de timbales
Les Folies d’Espagne
 Pièces de symphonie à quatre parties
La marche royalle
Marche des fusilliez, LWV 75/13
Pièce à double trompette et de différent ton et le gros basson
Marche du régiment du Roy
Marche Royalle à 3 dessus de hautbois pour la marche françoise
Menuet pour les trompettes
Marche des pompes funèbres
Chaconne à 4

Syntagma Amici & Giourdina
Direction Jérémie Papasergio
1 Cd digipack, Ricercar, 2022, 69’20.

Que ceux qui s’attendent aux fastes purement martiaux et cuivrés du Roi-Soleil se tournent plutôt vers les Marches, Fêtes et Chasses Royales sous Louis XIV d’Hugo Reyne (Virgin Veritas) puis pour ses successeurs vers la Musique de la Grande Ecurie & des Gardes Suisses sous Louis XV et Louis XVI de l’Ensemble Arcimboldo & de l’Ensemble de trompettes de la Schola Cantorum Basiliensis aux instruments naturels plus rigoureux historiquement que Reyne (label Musiques Suisses). Car il sera ici principalement traité non de la Grande Ecurie mais des Grands Hautbois, placés sous l’autorité du Grand Ecuyer. Jérôme Lejeune &  Jérémie Papasergio (qu’on ne présente plus mais qui outre la direction joue du basson Renaissance, basson baroque, gros basson à la quarte, serpent, basse de cromorne, et encore flageolet, excusez du peu) ont pour ce projet un peu insensé rassemblé les forces des Ensembles Giourdina et Syntagma Amici. Il n’en fallait pas moins pour ressusciter le répertoire martial, cérémoniel et curial de cette ensemble depuis la Renaissance au Grand Siècle. Pavanes, gaillardes, fantaisies, chaconnes et ballets, sérénades, carrousels. Il en résulte un kaléidoscope tantôt martial, tantôt rabelaisien, goûtu et pétaradant, dont le principal défaut est de devoir souffrir l’étroitesse de la restitution sonore de la chaine de votre salon, quand ce répertoire appelle le plein air et les évolutions en quadriges de quelques cavaliers émérites ou régiments de gardes. Pour sûr, l’intérêt de cette musique n’est pas celle de la complexité contrapuntique ou de la subtilité d’œuvres de la Chambre ou de la Chapelle. Cette musique de circonstance, éphémère et contextualisée, rythmée et fonctionnelle, est avant tout une splendide toile de fond dont l’écoute continue peut paraître lassante et l’on se prend parfois à regretter que les musiciens n’aient pas panaché quelques danses instrumentales plus étoffées pour sortir un peu les oreilles de la Grande Ecurie…

Mais passé cette réserve compréhensible, on goûtera avec jubilation les sonorités puissantes et râpeuses des instruments à anche-double, rehaussés par l’emploi des cuivres et des percussions, et les innombrables combinaisons de textures qui changent à la fois pour varier l’écoute et au fil du Grand Siècle. Ainsi, aux cornets, hautbois, basson Renaissance, flûtes à becs succèdent insensiblement trompettes, hautbois et bassons en une version plus cuivrée et franche moins nasale mais moins boisée tandis. Dans ce bouquet curial truculent, remuant et martial, jamais aride, presque bonhomme, parfois étonnamment poétique (les Pleurs d’Orphée de Rossi, le 8ème Caprice au contrepoint délicat de Roberday), l’on appréciera tout particulièrement la bombance de la Pavane anonyme de 1601 “La petite Guaire fait pour les Cornets”, l’incongruité sensuelle du Primo Ballo della Notte d’Amore de Lorenzo Allegri pour 6 flûtes à bec qui offre un répit coulant bienvenu avant la grandiose imprécation de la Pavane pour le mariage de Henry le Grand en 1600 à la verdeur majestueuse des Grands Hautbois aux timbres très reconnaissables qu’on retrouve avec délectation dans le Ballet à Cheval fait pour le carrousel du mariage de Louis XIII.

Avouons toutefois que nous sommes moins sensibles aux innombrables, brèves et répétitives marches, contre-marches de Philidor ou Lully du fait des timbres plus ingrats de cette 2nde moitié du siècle et de l’inventivité musicale limitée de ces pièces roboratives et martiales : si la rondeur cuivrée des trompettes fait merveille, les hautbois aigus et perçants, la perte des trombones et cromornes, des chalemies et bombardes appauvrit l’univers sonores (c’est là un avis tout à fait personnel). Exception savoureuse : une version des variations sur les Folies d’Espagne “fait en trio par M. de Lully” en 1672 où la bande de hautbois dialogue avec ductilité et virtuosité avec une guitare baroque énergique ou encore la Chaconne à 4 de Desmazures (toujours par la bande de hautbois) qui conclut le disque et dont l’écriture plus soignée permet aux musiciens de davantage dévoiler leurs talents. Voilà donc un enregistrement passionnant historiquement et musicologiquement, quasi visuel, dont le principal défaut est qu’il donne furieusement envie de reconstituer un carrousel royal dans son jardin pour accompagner cette musique…

 

Viet-Linh Nguyen

Étiquettes : , , , , , , , , Dernière modification: 25 mars 2024
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