Sublimation, Songs and Dances from 18th century Scandinavia
Pollonese N°74, collectée par Andreas Dahlgren, 1784
Bruredansen/Polsdans, collectée par Johannes Nielsen Schodsberg, 1822
Spelaren, Swedish song, texte de Johan Elers, Musiken till Glada Qväden, 1792
Polonesse, Anders Larsson, Sexdregasamlingen, fin XVIIIème
Konung Eric Och Spakvinnan, swedish song, Erik Gustaf Geijer (1783-1847)
Madame Trifes Liri e Dans, collectée par Otto Colett, 1798
2 Springdans, collectées par Ole Olsen Kruge, 1834
Huldra a’en Elland, Norvegian song, Essai sur la Musique Ancienne et Moderne, Jean-Benjamin de Laborde, 1780
Polsdans, collectée par Ole Olsen Kruge, 1934
Frieras a Ongkar’nte Gjente, Norvegian song, collectée par Ludvig Mathias Lindeman, 1840
Norsk Dands, collectée par Ebbe Carsten Henric von Coldevin, 1780
2 Posldans, collectées par Peder Pedersens, XVIIIème
Polsdans, collectée par Ludvig Olsson, 1772
2 March, Sexdregasamlingen, XVIIIème
Necken, Swedish song, collectée par Arvid Afzellus, début XIXème
Englis N°2, collectée par Ole Aamodts, 1750
2 Riil, Collectés par Johannes Nielsen Schodsberg, 1822
Signe Lita, chanson médiévale norvégienne
Vals, collectée par Ole Olsen Kruge, 1834
Pollonese N°9, collectée par Andreas Grevelius, vers 1780
Polonesse, collectée par Johan Eric Blomgren, 1785
Grannas Lassel ! Klang pa Lyran, swedish song, musique de Michael Bellman (1740-1795)
Engels, collectée par Jacob Mestmacher, vers 1760
The Curious Bards :
Alix Boivert, Violon baroque (Jean-Nicolas Lambert, 1760) et Hardingfele (Ottar Kasa, 2022)
Colin Heller, Violon baroque (Olivier Calmeille, 2014) et Kontrabasharpa (Jean-Claude Condi, 2023)
Jean-Christophe Morel, Cistre baroque (Frank Tate, 2016, d’après William Gibson, 1772)
Sarah Van Oudenhove, Viole de gambe -Arnaud Giral, 2014, d’après Michel Collichon, 1693)
Chant et direction Ilektra Platiopoulou
1 CD digopack, Harmonia Mundi, 2025, 64′
Ils sont revenus ! Nous avions tant aimé leur incursion aux frontières des rythmes populaires ou plus écrits dans l’Irlande et l’Ecosse du XVIIIème siècle lors de leur précédent album Indiscretion (Harmonia Mundi). Un disque à la fois érudit et joyeux, à déguster le monocle rivé sur un Baedeker, la lippe posée sous un verre d’une bière brune et amer. Bref, sous ses abords légers, ce disque nous avait transporté pour un voyage pas si fréquent dans les contrées musicales du nord de l’Europe.
Plus que jamais bardes et toujours aussi curieux, nos Curious Bards, dont le noyau dur reste inchangé (Alix Boivert, Jean-Christophe Morel et Sarah Van Oudenhove) partent cette fois-ci encore un peu plus au nord, et traversant la mer du même nom, explorent les rivages musicaux des terres suédoises et norvégiennes pour un nouvel album résonnant comme le chapitre supplémentaire d’un amour non tari pour les chemins de traverse de la musique baroque. Et si nous entendons d’ici les railleurs imaginant la musique scandinave composée de quelques morceaux intitulés Danse du grelottement sur lac gelé, ou Concerto pour dents qui claquent, que ces malotrus passent leur chemin, tant les œuvres présentées, issues de recueils signés ou anonymes compilés dans la seconde moitié du dix-huitième siècle, ou dans les premières années du dix-neuvième, offrent l’image autrement plus riche de terres à la croisée des routes commerciales de l’Europe du nord et dont la musique se trouve donc irriguée d’influences multiples, saxonnes et gaéliques, mais aussi en provenance des régions germaniques et des contrées slaves, en particulier polonaises. Quand les navires voguent, la musique va, et si le répertoire scandinave se pare des influences musicales de ses voisins, il n’en garde pas moins des spécificités propres.
Et en premier lieu quelques instruments typiques que les Curious Bards ont dû s’approprier, voire faire renaître avec l’aide de luthiers spécialisés, à l’exemple du Hardingfele (ou violon Hardanger, tirant son nom de la région éponyme, à l’Est de la Norvège actuelle), variante typiquement norvégienne du violon possédant quatre à cinq cordes sympathiques en plus des cordes habituelles, ou une Kontrabasharpa, ancêtre de la Nyckelharpa, elle-même variante de la vielle.
Il en résulte un disque aux sonorités toutes spécifiques, où vient sur de nombreux titres se poser la voix de mezzo d’Ilektra Platiopoulou, dont le timbre gracile et malléable convient parfaitement à ce répertoire. Déjà présente, mais plus discrète, sur le précédent album de l’ensemble, elle colore là d’une voix ductile quelques airs traditionnels scandinaves, de la suédoise Spelaren (Le Joueur) au texte tout en ironie sur les vicissitudes de la santé financière des musiciens (texte signé Johan Elers, 1792), ou l’également suédoise Konung Eric och Spekvinnan (Le Roi Erik et la voyante), écrite à la fin du XVIIIème et dont le titre limpide laisse entrevoir l’humour possible du texte. On appréciera aussi, toujours portée par la lumineuse Ilektra Platiopoulou une chanson norvégienne, Huldra a’en Elland (La Huldra et Elland), ode à l’amour et au lard accompagné de lait caillé (si, si !) que l’on retrouve dans l’Essai sur la Musique Ancienne et Moderne (1780), recueil de Jean-Benjamin de Laborde, historien de la musique, mais aussi compositeur délaissé, élève de Rameau, auteur notamment d’un Pandore (1767), tragédie lyrique sur un livret de Voltaire, dont la proximité avec la famille royale (surtout sous Louis XV) et ses fonctions de fermier général lui valurent une décollation sous la Terreur (4 Thermidor de l’an II).
Mais au-delà des chants, c’est bien la Polonaise qui apparait comme la forme prédominante dans la musique scandinave de la seconde moitié du XVIIIème siècle. Danse populaire, bien avant la postérité que lui donnera Frédéric Chopin, avec sa lenteur relative et son rythme à trois temps, elle apparaît comme une forme appréciée, au point de figurer dans nombre de recueils de musique scandinave. Les Curious Bards nous en offrent sur cet enregistrements plusieurs exemples marquants, de l’introductive Pollonese N°74 (collectée par Andréas Dahgren en 1784), très typique du genre, aux plus enjouées et festives Polsdans recueillies par Johannes Nielsen Schodsberg (1822), le genre démontre sa malléabilité et sa popularité. Une influence majeure pour cette danse apparue au XVIème siècle, à rattacher sans doute à l’accession au trône de Suède en 1587 de Sigismund Vasa (Sigismond III), neveu de la reine Anna Jagellon de Pologne, Sigismond devenant de 1592 à 1599 simultanément roi de Pologne et de Suède.
Outre le répertoire traditionnel propre à ces régions scandinaves et cette forte influence des sonorités en provenance de Pologne, on appréciera avec délice quelques curiosités plus lointaines, à l’exemple de cette jolie Vals, marque d’une influence plus issue des régions germaniques centrales (collectée par Ole Olsen Kruge en 1834) ou cette magnifique Signe Lita, chanson issue du répertoire médiéval norvégien, un peu en décalage avec la tonalité plus légère de la majorité de l’enregistrement, mais offrant une plage d’émotion épurée, gracieuse, du plus bel effet.
Signalons encore deux polonaises pour le coup hautement mélancoliques, collectées par Peder Pedersens au XVIIIème et deux Riil nettement plus endiablés (réunis par Johannes Nielsen Schodsberg en 1822) et concluons-en au caractère tout à fait réjouissant de cette nouvelle exploration de nos Curious Bards, qui s’ils se montrent moins débridés, a priori plus sages, que dans leur précédent album, gagnent en profondeur dans cette exhumation salutaire et ô combien intéressante de tout un pan du patrimoine musical scandinave. A quand la prochaine destination ?
Pierre-Damien HOUVILLE
Technique : enregistrement chaleureux et aux timbres bien rendus.
Étiquettes : Boivert Alix, Harmonia Mundi, Morel Jean-Christophe, Muse : argent, Pierre-Damien Houville, Platiopoulou Ilektra, The Curious Bards, Van Oudenhove Sarah Dernière modification: 18 mars 2025