Nicolas de Grigny (1672-1703),
Messe & Hymnes
(Livre d’orgue, 1699)
MESSE
Kyrie
Gloria
Offertoire sur les grands jeux
Sanctus
Elévation
Agnus
Communion
Ite Missa est
HYMNES
Veni Creator
Pange lingua
Verbum supernum
Ave maris stella
A solis ortus
Michel Bouvard & François Espinasse, grandes orgues de la Chapelle Royale de Versailles (1710)
2 CDs digipack, Château de Versailles Spectacles, 2024, 119 minutes’
Le nom de Nicolas de Grigny égarera peut-être certains de nos lecteurs, tant l’œuvre de ce compositeur est succincte, ce double enregistrement en constituant tout simplement l’intégrale. La faute à une existence fugace, Nicolas de Grigny décédant à l’âge de trente et un ans, déjà père de nombreux enfants (pas moins de 7), mais auteur d’un seul livre d’orgue publié en 1699 et contenant les partitions d’une messe et de plusieurs hymnes.
Pourtant, cette confidentialité apparaît bien trompeuse quand on sait que Jean-Sébastien Bach lui-même recopia l’intégralité du livre d’orgue de Nicolas de Grigny, impressionné par la richesse de sa composition, la variété et la technicité de ses accords, son art du contrepoint entre les différents jeux d’orgue. Une curiosité et un respect qui ne touchèrent pas que le seul Jean-Sébastien Bach, l’organiste Johann Gottfried Walther (1684-1748), par ailleurs lointain cousin de Jean-Sébastien Bach, faisant de même, démontrant en cela l’influence qu’exerça l’œuvre de De Grigny sur ses contemporains.
Et si les enregistrements de l’œuvre pour orgue de Nicolas de Grigny ne sont pas si rares, avouons que cette discographie fait souvent l’objet d’une parution confidentielle et avec des qualités d’enregistrements très variables. Saluons donc cette parution, où l’œuvre de Nicolas de Grigny est jouée sur les grandes orgues de la Chapelle Royale du Château de Versailles par Michel Bouvard (pour la partie Messe) et François Espinasse (pour la partie Hymnes), ayant tous les deux fait leurs classes au Conservatoire de Toulouse il y a plus de quarante ans, titulaires de l’orgue de la Chapelle Royale et ayant déjà collaboré, notamment pour des transcriptions de Jean-Sébastien Bach, et sur de nombreux concerts.
Si l’œuvre de Nicolas de Grigny est bien à rattacher à l’assez foisonnante école d’orgue française, qui vit s’épanouir notamment François Couperin (vers 1626-1661) et Nicolas Antoine Lebègue (1631-1702) qui fut professeur de Nicolas de Grigny, il serait réducteur de simplement ajouter ce dernier à la longue liste des compositeurs plus ou moins confidentiels ayant œuvré pour l’instrument, tant son œuvre, si elle ne se départit pas d’une dimension religieuse assez intrinsèque à l’orgue, du moins à l’époque, est marquée par une modernité et une maturité de composition qui distinguent Nicolas de Grigny de la très grande majorité de ses contemporains et expliquent en grande partie que ses partitions furent remarquées, y compris du grand Jean-Sébastien Bach.

Source : BnF / Gallica dans Wikimedia Commons
Il faut dire que l’art de la composition de Nicolas de Grigny éclate dans cet enregistrement, qui prend le parti pris de se consacrer uniquement aux passages instrumentaux de la messe, là où d’autres enregistrements ont font le choix d’alterner avec les parties chantées, au plus près du rendu musical de l’époque. Cela permet de retrouver la majesté un peu austère de l’orgue d’église, et d’en savourer la variété et la complexité, particulièrement remarquable dans les passages fugués, d’une rigueur de composition très élaborée, et par ailleurs fort bien exécutés, à l’exemple en début de programme de cette magnifique Fugue à 5 du Kyrie, imposant d’emblée toute la richesse harmonique d’un instrument que l’on a le tort persistant de cantonner à un rôle d’accompagnement. Un art de la fugue dont la magie opère de nouveau sur la Fugue du Gloria de la Messe alors que la Basse de Trompette ou de Cromorne qui lui fait presque immédiatement suite révèle pour sa part un art du contrepoint et de l’étagement parfaitement maîtrisé de la part du compositeur rémois. Michel Bouvard, qui officie sur cette première partie de l’enregistrement, offre un jeu d’une grande clarté, tout en relief et sans ornementations superflues pouvant ternir l’expressivité de l’instrument par additions de résonnances déplacées. Un jeu d’orgue souple, presque aérien qui trouve sa plus belle expression sur le Récit de Tierce en taille, finissant de nous convaincre que ce Gloria de la Messe de Nicolas de Grigny est décidemment l’un des plus beaux exemples de la richesse de la composition de l’orgue en cette toute fin de dix-septième siècle.
François Espinasse officie lui sur les Hymnes composés par Nicolas de Grigny, constituant la seconde partie d’un enregistrement conçu comme un diptyque et dans laquelle le compositeur fait preuve d’une égale maîtrise de composition, délivrant une musique d’une expressivité qui se suffit largement à elle-même, comme dans ce Dialogue sur les Grands Jeux du Veni Creator, saisissant de dramaturgie, ou encore sur le final Point d’Orgue sur les Grands Jeux du A solis ortus, comme une apothéose émotionnelle, une conjugaison complexe des jeux de l’instrument, ciselée par François Espinasse lui aussi avec une grande clarté, dans un enregistrement privilégiant une prise de son assez neutre, ne cherchant pas à embrasser la résonnance, d’ailleurs sommes toute très moyenne de la Chapelle Royale, pour privilégier le relief interne de l’instrument, aboutissant à un résultat agréable et surtout approprié à une écoute sur disque.
Le livret accompagnant l’enregistrement, très riche et éloquent sur la courte mais dense existence de Nicolas de Grigny, s’avère une entrée idéale et un préalable nécessaire à la découverte de l’œuvre. On y apprend avec un délice de curieux la géographie de la rue de naissance et des adresses du compositeurs, à Reims, ou bien à Paris (rue Simon-le-Franc notamment) ainsi qu’à l’abbaye de Saint-Denis, dont il fut titulaire de l’orgue entre 1693 et 1697, avant de revenir à Reims et d’officier sur l’orgue de Notre-Dame de Reims (87 jeux sur 4 claviers), avant sa quasi destruction dans l’incendie consécutif au bombardement de l’édifice en 1914, dont la narration épique devait valoir à Albert Londres une gloire naissante. On s’étonne donc d’autant plus que ce livret tergiverse longuement à se demander d’où vient le patronyme de Grigny, avouant une errance entre le Grigny du Pas-de-Calais (non loin de Hesdin), celui du Rhône (Grigny-sur-Rhône au sud de Lyon) et celui de l’Essonne, au sud de Paris. Permettons-nous de suggérer que la réponse est sans doute à trouver bien plus proche de Reims, lieu de naissance de Nicolas de Grigny, dans l’existence de l’ancienne paroisse de Grigny (actuelle commune de Passy-Grigny), à la limite du Tardenois, et dont la rue principale porte encore le nom de Rue Nicolas de Grigny.
Au-delà des amateurs d’orgue, qui trouveront avec cet enregistrement une référence dans la discographie aléatoire de Nicolas de Grigny, cette intégrale du compositeur est aussi à écouter pour la richesse de la composition, qui marque un jalon important dans la musique d’orgue, dont l’ampleur et la majesté des ornementations posent les fondements des compositions à venir de Bach jusqu’à Mendelssohn.
Pierre-Damien HOUVILLE
Étiquettes : Bouvard Michel, Château de Versailles Spectacles, Espinasse François, Muse : argent, Nicolas de Grigny, orgue, Pierre-Damien Houville Dernière modification: 3 février 2025