Rédigé par 16 h 56 min CDs & DVDs, Critiques

La vertu produit le bonheur (Rigel, le souffle de la Révolution, Simard-Gardès, Scott, Arion, Lussier – ATMA)

“Les rois sont ambitieux. La noblesse hautaine. Le peuple tumultueux et ingouvernable. ”
(Edmund Burke, Réflexions sur la Révolution de France, 1790)

“RIGEL, le souffle de la Révolution”

Henri-Joseph RIGEL (1741-1799)

Blanche et Vermeille (extraits)
Concerto pour pianoforte en fa majeur
Pauline et Henri (extraits)
Alix de Beaucaire (extraits)
Symphonie en sol majeur, op.12 n.2
Sonate en ré mineur issue des Trois symphonies pour le clavecin ou le forte-piano, op.16

Magali Simard-Galdès, soprano
Nicholas Scott, ténor

Mélisande McNabney, clavecin, pianoforte

Arion Orchestre Baroque
Mathieu Lussier, directeur artistique

1 CD, enr.2022, projet réalisé en partenariat avec le CMBV, 79’36

C’est un CD qui nous vient de Nouvelle France, et où l’on trouve encore de véritables boîtiers en plastique comme autrefois, loin du digipack plus ou moins cartonné de nos contrées… le flacon est là, l’ivresse aussi, mais c’est celle d’un bon vin léger, pétillant et doux, et non d’une robuste cuvée tanique. Fin 2022, à Montréal, Mathieu Lussier donne une série de concerts à Montréal autour de Henri-Joseph Rigel, compositeur né allemand mais qui travailla en France de 1767 jusqu’à sa mort en 1799. La rareté des œuvres, et la curiosité nous ont rapidement conduit à écouter ce florilège charmant d’œuvres vocales et instrumentales rarement enregistrées. Hélas, le sous-titre est infiniment mal choisi : de souffle, on ne trouvera que brise. Et elle est tellement aimable qu’elle ne soulèverait pas une capeline. Il y a une spontanéité mélodique qui n’est pas sans rappeler Grétry, un invention qui, le temps d’un oubli, nous fait remonter à des inspirations ramistes. Mais en dépit ou à cause de ce matériau, un sentiment de superficialité curiale irrigue tout le programme : la Révolution ne serait-elle qu’un ballet de village (sans même les aspérités nerveuses d’un Boismortier). Il faut dire qu’Arion Orchestre Baroque aime ses cordes rondes, et même les fins de phrases sont davantage mourantes qu’assénées, ce qui est paradoxal quand on voit la mixture classicisante où les cors sont omniprésents. L’Ouverture de Blanche & Vermeille est joliette, l’air “Ruisseau charmant” de Blanche, parfait de simplicité douce et l’on saura gré à Magali Simard-Galdès de l’interpréter avec une intensité dramatique démentie par la pastorale. L’air issu de Pauline & Henri “Ah, quel supplice extrême”, avec son hautbois obligé, encore post-baroque, à la tonalité sombre, constitue un moment à la poignante noblesse, confinant au tragique. Le duo “Je vous entends infidèle” avec Nicholas Scott, ténor équilibré au timbre d’une belle égalité sur la tessiture mais moins investi, pâtit d’un orchestre traînard et d’attaques émoussées, en dépit de l’animation des chanteurs. Le ténor bénéficie tout de même d’airs de choix : si “C’est la première fois que j’aime” (Alix de Beaucaire) est convenu, “”Quel caprice guide mes traits”, ondulant et noble, quoiqu’extrait de la même œuvre, rend justice à l’inspiration souple du compositeur (dont le titre original précise “anecdote historique sous Louis IV, Roi de France” !). Enfin, l’épure facettée sensible du “O mon Alix, toi qui m’est chère”, nantie d’une introduction orchestrale presque réminiscence du baroque napolitain, n’appelle qu’éloges et permet au ténor de dévoiler sa maîtrise du portrait psychologique.

Il semble que le chef s’entend davantage à accompagner les chanteurs qu’à se lancer dans des pièces instrumentales pures, où son approche trop mignarde édulcore la partition. Que de couleurs dans le concerto pour pianoforte en fa majeur ! Que d’accents quasi pré-mozartiens ! Mais la phrase musicale ne sait jamais ni se porter ni se conclure, flottant, tel un étendard oublié. Mathieu Lussier attend t-il tout du souffle de la Révolution ? Heureusement, même desservie par une prise de son distante et cotonneuse, Mélisande McNabney fait montre d’une ductilité et d’une élégance expressive remarquables, sur un pianoforte au jeu par construction moins nuancé que sur un piano moderne. Le détachement des notes, la fluidité et la virtuosité des doubles croches, les cadences jubilatoires s’envolent en dépit de l’accompagnement indigeste et penaud. On retrouve cette aisance souriante dans la Sonate en ré mineur, partition qui peut se jouer seule, ou avec un accompagnement orchestral (le livret ne précise pas les effectifs mais ils semble relativement similaires à ceux de l’opus 17 : deux violons, deux cors, et violoncelle ?). Cette forme de sonata de camera, ni quatuor, ni véritable sonate à instrument soliste, permet une étonnante transparence et clarté des pupitres, même si les cors, doucereux mais envahissants, nuisent à la finesse ciselée et hédoniste de la ligne du piano.

En définitive, si l’on aurait sans doute préféré une approche plus carrée et plus vigoureuse, plus d’énergie et moins de grâce, le souffle de la Révolution (mais une partie des pièces proposées datent de l’Ancien Régime), même enrhumé, mérite que l’on s’en emplisse les poumons. Et l’on ne peut qu’opiner au jugement du Mercure de France du 5 août 1780 : voici un homme qui sut échapper à la guillotine et dont on savourera “[la] mélodie d’un genre facile et gracieux”. A découvrir en attendant qu’un Niquet, ou Chauvin ne nous revitaminent ce répertoire délaissé. Il n’y a pas que Grétry dans la vie !

 

Viet-Linh NGUYEN

Technique : prise de son médiocre, lointaine, peu dynamique, peu détaillée. 

Étiquettes : , , , , , , , , Dernière modification: 18 septembre 2025
Fermer