« La Sagesse a son temps, il ne vient que trop tôt ;
Ce n’est pas être sage,
D’être plus sage qu’il ne faut. » (Quinault, Alceste)
« Labyrinth Garden, violin at the court of Kroměříž »
Johann Heinrich SCHMELZER (vers 1620/23 – 1680)
Intrada & Aria di Policinelli – Intrada & Aria di Covielli
Intrada di Zani
Cu Cu violino solo & basso
Aria 3a di Cocolini
Intrada & Aria di Graziani
Aria di Poveri
Attribué à Heinrich Ignaz Franz von BIBER (1644-1704)
Ciacona Violino solo (A 946)
Heinrich DÖBEL (1651-1693)
Czyga
Sarabanda – Courante
Czyga – Czyga
Johann Heinrich SCHMELZER
Sonata Quarta (A 572)
Johann Heinrich SCHMELZER
Intrada & Aria di Burattini
Intrada di Covielli
Aria di Covielli
Heinrich Ignaz Franz von BIBER (attribué à)
Sonata Violino Solo Representativa (A 609a) (le Rossignol / le Coucou / La Grenouille / la Poule et le Coq / la Caille / Le Chat / la Marche des Mousquetaires, Allemande)
Ensemble Castelkorn :
Chloé Lucas, violone
Nicolas Wattinne, théorbe et guitare baroque
Felipe Guerra, clavecin et orgue
Josef Zak, violon et direction
1 CD digipack Flora, enr. 2023, 61′
Dans Bach Before Bach (Alpha, 2021) la violoniste Chouchane Siranossian concluait le programme de son enregistrement par une interprétation, remarquable de dépouillement et d’intensité, de la Victori der Christen d’Andreas Anton Schmelzer (1653-1701), remettant en exergue la figure de ce compositeur, trop peu joué de nos jours en Europe occidentale. Schmelzer fut un véritable père des compositions mettant en avant les capacités techniques virtuoses du violon, à la toute fin du XVIIème siècle, représentatif du stylus phantasticus luxuriant.
L’Ensemble Castelkorn, fondé en 2016, constitué autour du violoniste Josef Zak et dont la vocation avouée est d’explorer et faire revivre le répertoire musical d’Europe centrale, consacre cet album presque exclusivement à la figure du père plus célèbre d’Andreas Schmelzer, Johann Heinrich (vers 1620/23- 1680), qui fut également un grand compositeur de violon, expérimentant les usages, les possibilités et les limites de l’instrument, si bien que le Concentus Musicus Wien l’avait exhumé dès 1964 dans sa Musique à la Cour de Leopold Ier (Teldec).
Castelkorn, après donc un premier enregistrement consacré à un répertoire proche autour de sonates notamment de Biber et de Schmelzer, (Eloquentia, 2018) poursuit son exploration à partir du fond musical de l’évêque Liechtenstein-Castelkorn situé à Kroměříž (République Tchèque) dont le palais épiscopal, outre le fait de receler l’un des plus beaux fond sur la musique de Bohême et de Moravie, ainsi que de superbes jardins aux massifs labyrinthiques (d’où le titre de l’enregistrement), a servi de décor à de nombreuses scènes de l’Amadeus de Milos Forman (1984).
L’ensemble réserve quelques singulières et riches surprises : pour s’en convaincre, nous n’aurons qu’à entendre la Sonata Quarta (A 572), pièce de milieu de disque, mais œuvre maîtresse de Johann Heinrich Schmelzer, figurant sur son premier recueil (Sonatae unarum fidium, 1664). Josef Zak laisse chanter son instrument, en particulier dans sa deuxième section, où le continuum de basse s’efface presque, laissant au violon amplitude et souplesse mais fait pâle figure en termes d’inventivité et de profondeur face à la lecture superlative de Gunar Letzbor (Pan Classics) beaucoup plus puissante et typée. Zak fait toutefois honneur à la seconde section qui fait suite à une section introductive construite autour de la répétition d’un tétracorde très structuré charpentant la composition et une pièce qui plus curieusement se conclura par deux thèmes de danses sur lesquelles la basse continue imprime sa marque, une Sarabande très architecturée et interprétée avec une clarté équilibrée, suivie d’une courte Gigue conclusive pour une oeuvre qui démontre, outre les qualités expressives du violon, la richesse de composition de Schmelzer,et la basse variée, en particulier du clavecin bien articulé de Felipe Guerra.
Plus léger, curieux, peut-être moins sérieux, mais ayant fait sa renommée, sont les pièces que Heinrich Ignaz Franz Biber (1644-1704), élève de Schmelzer, consacre aux imitations de chants d’animaux. Cela a commencé après que Schmelzer ait ouvert la cage aux oiseaux avec le Cu Cu violino solo & basso (A 572a), variation charmante sur les différentes façons dont le violon peut rendre compte du chant du coucou, pièce charmante et d’un grand succès à l’époque, au point que Biber cette fois poursuivra en recréant toute une ménagerie dans sa Sonata Violino Solo Representativa (pièce « attribuée », la partition n’étant pas signée, mais dont la paternité est quasi certaine puisque le compositeur parle dans sa correspondance), où se succèdent avec plaisir et une réussite variable outre le Coucou, le Rossignol, la Grenouille (très amusant !), la Poule et le Coq (plus dispensable !), la Caille (là, nous manquons de référence sur le chant initial !), le Chat, avant que cette ménagerie ne verse dans l’étrange, le bestiaire se concluant par une Allemande classique, elle-même précédée par une Marche des Mousquetaires, non moins agréable, bien que nous émettons un doute sur le fait que d’Artagnan et ses compères n’aient pas eu l’envie de remercier d’un coup d’épée le compositeur de les avoir incorporés à un tel zoo, là encore hélas interprété avec davantage de verdeur et de truculence par le Concentus Musicus des primes années (Teldec, 1971).
Toujours de Biber nous retiendrons aussi cette très convaincante et hypnotique Ciacona Violino Solo (A946), Biber déployant une belle introduction aux cordes, très originale, suivie l’une ligne mélodique au violon ample et sentimentale que Joseph Zak sculpte avec douceur et poésie. Un bel air de chaconne, assez lent pour ce type de danse, apaisé, avec toujours une basse qui imprime le rythme à la composition (soulignons au passage le jeu en retenue de Felipe Guerra au clavecin, Chloé Lucas à la contrebasse et Nicolas Wattine au théorbe et à la guitare baroque, les deux derniers ayant collaboré régulièrement avec Les Musiciens de Saint-Julien de François Lazarevitch). Une mélodie fluide qui s’envole ensuite vers le virtuose, avec un bel effet d’emballement et un violon aux notes heureusement plus boisées et grainées que sur le début, avant de se conclure sur des notes spontanées et dansantes, démontrant si besoin était tout ce que ce répertoire doit à la musique populaire des plaines de Bohême Moravie.
Nous ne serions pas complets si nous ne faisions pas un détour par les fugaces pièces présentées dans cet enregistrement composées par Heinrich Döbel (1651-1693), ayant lui aussi beaucoup composé à Kroměříž, deux gigues et une succession sarabande-courante, assez classiques dans leur composition, mais dont la sarabande de détache, plus affirmée et complexe dans l’expression de son émotion.
Nous aurions souvent préféré que Josef Zak, qui annonce dans le livret accompagnant l’enregistrement vouloir aborder ses œuvres avec une sensibilité propre à l’Europe centrale, se montre plus nerveux dans ses attaques, plus radical dans le grainé de ses notes. L’ensemble Castelkorn semble trop en retenu, trop curial, trop timide, alors que les œuvres présentées, composées pour tendre vers la virtuosité et ayant fait l’objet de multiples enregistrements, nécessitent des interprétations plus démonstratives, plus engagées, plus personnelles. Certes le violon du chef s’avère très expressif, flirte parfois avec un certain romantisme un peu tendre, mais nous aurions aimé plus de fougue, plus de panache, plus de naturalisme dans la figuration des oiseaux, des batailles, des tourments inventifs de ces mélodies où l’on s’égare. Qu’est-il devenu ce labyrinthe promis ? Avec Castelkorn, on reste sur la grand route, sûre et bien pavée.
Pierre-Damien HOUVILLE
Technique : enregistrement clair et bien équilibré entre les instruments, basse continue mise en valeur.
Étiquettes : Ensemble Castelkorn, Guerra Felipe, Heinrich Döbel, Heinrich Ignaz Franz Biber, Johann Heinrich Schmelzer, Lucas Chloé, Muse : airain, Pierre-Damien Houville, Wattinne Nicolas, Zak Josef Dernière modification: 11 août 2024