Louis-Nicolas CLERAMBAULT
Te Deum C.138
Histoire de la femme adultère
Gwendoline Blondeel : Femme adultère, dessus
Reinoud Van Mechelen : Jésus, haute-contre
Guy Cutting : Premier Juif, taille
Lisandro Abadie : Historien, basse-taille
Samuel Namotte : Deuxième Juif, basse-taille
Chœur de chambre de Namur (préparation du chœur : Thibault Lenaerts)
Ensemble A Nocte Temporis
Direction musicale Reinoud Van Mechelen
1 CD digipack, Château de Versailles Spectacles CVS 163, 2025, 59′
Nos lecteurs savent toute notre admiration pour les réalisation du jeune ensemble A nocte temporis, co-fondé par le haute-contre Reinoud Van Mechelen. Qu’il s’intéresse à Clérambault n’est guère surprenant : l’ensemble a arpenté ses cantates françaises, son Pyrame & Tisbé. Mais voici une première au disque avec un grand motet inédit (que même Hervé Niquet avait délaissé dans son enregistrement chez Adda), et le seul oratorio du compositeur. Hélas, est-ce la prise de son aussi lointaine que voilée (pourtant d’habitude les captations sont de qualité chez CVS) ? La modestie des effectifs ? Une aspiration pacifique ? le charme n’opère pas.
La pièce de résistance, un beau Te Deum de 1745, aurait été composé pour fêter l’achèvement de l’église Saint-Sulpice, voire pour célébrer la victoire de Fontenoy (Ce furent finalement les Te Deum de Blanchard et Madin qui furent joués à Versailles lors du savoureux épisode de la “guerre des Te Deum”). Elle avait pourtant tout pour plaire : une conception à séquences dans la filiation de Lully et Delalande, des contrastes entre les récits, et de grands passages choraux. Une écriture à la fois plus légère que les devanciers, très colorée (flûtes notamment), d’une élégance racée. Selon les notes de programme très informatives de Catherine Cessac, l’inspiration un peu archaïsante (mais Blanchard se montre également conservateur à la même époque) pourrait s’expliquer par la réutilisation partielle d’une premier Te Deum à trois parties plus ancien du compositeur (C.155 de vers 1701), il y a d’ailleurs aussi un Te Deum C.137 pour corser le catalogue…
Hélas, sous réserve de l’effet défavorable dû à une médiocre captation lointaine et réverbérée, l’on ne comprend guère comment Reinoud Van Mechelen, homme de théâtre – que l’on savoure sa trilogie dédiée aux hautes-contre chez Alpha pour s’en convaincre – a pu diriger un grand motet aussi plat. Dès l’introduction en rondeau, la rachitique trompette baroque de Julian Zimmermann (non conforme aux modèles d’époque car au tube percé pour en faciliter le jeu) et les timbales un brin plus martiales mais sporadiques de Koen Plaetinck sont presque couvertes par des cordes indistinctes, dans un sfumato moins évocateur qu’approximatif. Certes la guerre est en dentelles, mais elle est ici servie en gants blancs, et avec un manque de dynamique et de contraste regrettable.
Quand bien même au disque le nombre ne fait pas tout – de petites phalanges ont pu dégager une belle impression d’ampleur (cf. la quasi intégrale d’Hervé Niquet des grands motets lullistes, ou encore les Simphonies pour les soupers du Roi de Delalande par Reyne) – jouer un Te Deum avec en tout et pour tout six violons divisés en deux pupitres s’avère tout de même téméraire. Certes, en 1745, l’orchestre versaillais n’a plus la densité de l’écriture à la française à cinq parties, mais la maigreur des pupitres, l’absence de hautbois et bassons, soulèvent des interrogations et conduisent à un paysage sonore très aérien, qui manque de présence et de graves. La comparaison avec par exemple l’interprétation du Te Deum de Gervais par Le Purcell Choir / Orfeo Orchestra sous la direction investie de György Vashegyi serait cruelle (Glossa). Reinoud Van Mechelen bénéficie d’un matériau en or, mais alchimiste contrarié, il l’aborde avec des semelles de plomb.
Malgré ces réserves, l’on admire l’extrême liberté formelle de ce grand motet, superbement composé et bien plus marquant que les Te Deum contemporains de Gervais, Madin ou Colin de Blamont. Sur les 29 versets, Clérambault prends son temps (près de la moitié du motet) sur les 6 premiers, et varie les affects et les formes. Panachant respect de la tradition (prélude en rondeau, entrées en imitation ou choeurs homophoniques) et modernité intimiste (les trio de flûtes, ou de violons qui lorgnent vers le vocabulaire des cantates), Clérambault parvient à créer un grand motet où la pompe de circonstance le cède souvent à une poésie presque champêtre, d’une douceur de pastel. On admirera le grand choeur, très louis-quatorzien du “Te Deum laudamus” peu novateur mais d’une belle prestance, le très convaincu “Te æternum Patrem” et sa basse-taille grave et digne, la rapidité de changement des affects et combinaisons du “Tibi cherubim et seraphim” avec son joli prélude à deux violon ou la grande modestie souple et tendre du “Tu ad liberandum”. En revanche, le “Dignare domine” très proche de Lully se révèle moins inspiré et le “In te domine speravi” manque de tonus. Les solistes sont irréprochables, de même que le latin à la française, mais une sorte de froideur ou de réserve (qu’on ne retrouve pas dans l’oratorio) les empêche de faire vivre les mots, contribuant à une fresque glacée.
On saluera la brève Histoire de la femme adultère, seul oratorio de ce type dans l’oeuvre de Clérambault, qui dès son introduction, avec un materiau instrumental de cordes et flûtes, rappelle les histoires sacrées similaires de Charpentier. L’impression se prolonge, et la cohérence du propos, l’écriture à la fois archaïsante et italianisante, l’attention à la prosodie, la richesse du contrepoint conviennent comme un gant à A Nocte Temporis qui se montre ici beaucoup plus naturel. Sa pâte conserve une indicible suavité, digne d’une Vierge à l’Enfant de la Renaissance, mais fait ici merveille et se conjugue à une compréhension fine des atmosphères, très subtilement nuancées.
Un enregistrement sans concurrence, à recommander pour la redécouverte d’œuvres de premier plan, même si ce Te Deum feutré ne triomphe guère.
Viet-Linh Nguyen
Technique : enregistrement pâteux, timbres et pupitres mal définis et trop réverbéré.
Étiquettes : A Nocte Temporis, Blondeel Gwendoline, Château de Versailles Spec, grand motet, Louis Nicolas Clérambault, Muse : airain, van Mechelen Reinoud, Versailles, Viet-Linh Nguyen Dernière modification: 15 juin 2025