Rédigé par 9 h 41 min CDs & DVDs, Critiques

Pleurez, pleurez, mes yeux (Dowland, Lachrimae, Capriccio Stravagante Renaissance Orchestra, Skip Sempé – Paradizo)

“Pleurez, pleurez, mes yeux, et fondez-vous en eau !
La moitié de ma vie a mis l’autre au tombeau,
Et m’oblige à venger, après ce coup funeste,
Celle que je n’ai plus sur celle qui me reste.”
(Chimène, Corneille, Le Cid, III, 3)

John DOWLAND (1563 – 1626)

Lachrimæ, or seaven teares figured in seaven passionate pavans, with divers other pavans, galliards and allemands, set forth for the lute, viols, or violons, in five parts (1604)

Capriccio Stravagante Renaissance Orchestra
Direction Skip Sempé

1 CD digipack, Paradizo, mai 2025, 63’52

Parfois le mieux est l’ennemi du bien, et le Salon de l’Abondance ne conduit pas forcément au jardin des délices. Skip Sempé nous avait régalé de sa Terpsichore rassemblant des danses de Praetorius et Brade, gorgé de couleurs, ou encore par sa sobre Pellegrina d’une évidence subtile – “to the point” comme disent les anglo-saxons. Poursuivant sa démonstration du Capriccio Stravagante Renaissance Orchestra, le chef veut nous prouver que les principes d’uns instrumentation flexible prévalaient. Hélas, tant musicologiquement que musicalement, nous demeurerons réservés quant à ce nouvel opus. D’abord musicologiquement : les 21 danses des sublimes Lachrimae de Dowland ont été expressément conçues pour un ensemble de cinq violes ou violons, et d’un luth. Ici la partie de luth devient facultative (tant “il est clair que l’écriture de la partie de luth (…) n’est pas au même niveau de finesse que l’écriture à cinq voix de l’ensemble instrumental” (sic), ce qui ne lasse pas de surprendre, puisque Dowland s’y connaissait tout de même un peu en luth…), tandis qu’à l’aide de transpositions, flûtes à bec, cornets, trombones, virginal et clavecins font leurs irruptions.

Musicalement ensuite : il en résulte une fresque variée, d’une richesse moirée, aux équilibres et textures instrumentaux changeants. Les tempi sont très bien choisis, mais ce bariolage coloré, excitant selon les mouvements, peine à tenir la durée, et lorsque les violes refont leur apparition, l’on se prend irrésistiblement à vouloir revenir vers la pureté nostalgique de Fretwork (Virgin), évocatrice et insidieuse. Alors oui, il y a du beau monde, du très beau monde. On distingue parmi les violistes Andreas Linos, Margaret Little, Lucile Boulanger. Parmi les cornets Doron Sherwin (souple mais moins jazzy qu’avec d’autres), Olivier Fortin et le chef lui même aux claviers. Mais c’est la vision elle-même avec laquelle nous n’adhérons pas. Trop, c’est trop. Et les regrets lancinants et les pleurs méritent parfois un peu moins de largesse et de splendeur sonore et plus de clair-obscur doloriste.

 

Viet-Linh Nguyen

Technique : enregistrement ample et coloré.

Étiquettes : , , , , , , , Dernière modification: 22 mai 2025
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