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Ferveur et jubilation (Gloria, Ensemble Matheus, Jean-Christophe Spinosi – Théâtre des Champs-Elysées, 18 décembre 2024)

Jean-Christophe Spinosi © Jean-Baptiste Millot

Gloria !

Baldassare GALUPPI (1706-1785)
Dixit Dominus (premier mouvement)

Georg Friedrich HAENDEL (1685-1759)
Dixit Dominus, HWV 232

Jean-Sébastien BACH (1685-1750)
« Flöst dein Namen », air extrait de l’Oratorio de Noël BWV 248

Georg Friedrich HAENDEL
« Glory to God », chœur extrait du Messie HWV 56

Antonio VIVALDI
Gloria RV 589

Georg Friedrich HAENDEL
Alleluia, chœur extrait du Messie

Nina Mastracci, soprano
Marlène Assayag, soprano
Malena Ernman, mezzo-soprano
Joseph Pernoo, ténor
Matthieu Toulouse, basse

Académie Haendel Hendrix
Ensemble Vocal Mélismes, direction Gildas Pungier

Ensemble Matheus
Jean-Christophe Spinosi, direction,

Théâtre des Champs-Elysées, 18 décembre 2024.

Lors de sa venue à Lyon, au lendemain de sa prestation à la messe Papale en Corse, Jean-Christophe Spinosi avait longuement et avec une émotion palpable relaté le bonheur intime que lui avait procuré cet évènement, partageant avec son public une ferveur qui, si elle confère au religieux, touche aussi à l’universel quand l’admiration vous étreint. Un moment de grâce, une joie de l’instant que le chef d’orchestre avait tenu à relater, avec une simplicité et une humilité qui lui font honneur.

Sur la scène du Théâtre des Champs-Elysées l’homme n’évoquera pas cet épisode, la redite serait signe de vanité, mais à quelques jours de Noël et avec un programme identique à celui donné chez le primat des Gaules, c’est bien la même ferveur qui anime Jean-Christophe Spinosi et son Ensemble Matheus, exprimant une jubilation certaine à interpréter ces pièces ô combien classiques de la musique sacrée en période de l’Avent auprès d’un public où, Noël oblige, se sont glissés quelques spectateurs bien plus jeunes qu’à l’accoutumée.

Prendre de la joie au labeur, s’émerveiller d’une nouvelle fois servir les compositeurs les plus illustres, telle semble être le Credo de Jean-Christophe Spinosi, qui pas une fois ne fera allusion à l’année époustouflante qu’il vient de vivre, d’où nous retiendrons, excusez du peu, outre cette Messe avec le Pape François, ses prestations lors des cérémonies des Jeux Olympiques de Paris, ou sur cette même scène du Théâtre des Champs-Elysées la recréation de l’Olimpiade de Vivaldi, avec un Jakub Josef Orlinki aux soubresauts électriques nous laissant en mémoire son époustouflante interprétation du « Gemo in un punto e fremo ».

Retour à du plus conventionnel pourrions-nous penser avec ce programme où se regardent en miroir le célébrissime Dixit Dominus de Haendel et le tubesque Gloria de Vivaldi, si connu que l’on en oubli le plus souvent de préciser qu’il s’agit du RV 589, succédant au moins connu RV 588 et sachant que le RV 590, le troisième composé par le chantre de la Sérénissime, semble bel et bien perdu. Un programme auquel l’Ensemble Matheus attache en complément quelques compositions plus concises ou extraits d’œuvres ayant pour commun dénominateur leur exaltation d’une ferveur chrétienne, et même le plus souvent apostolique et romaine, la plupart de ces compositions étant à rattacher au climat musical de magnificence de l’Eglise, dans un contexte de Contre-Réforme catholique.

On sait Jean-Christophe Spinosi touche à tout, et le plus souvent avec grand talent, en matière de musique, au point d’associer les noms de Haendel et Hendrix pour nommer son académie de jeunes musiciens (tout simplement baptisée Académie Haendel Hendrix), dont plusieurs membres sont associés présentement à l’orchestre.

Haendel est à l’honneur à deux reprises ce soir, tout d’abord avec le célébrissime Dixit Dominus dont nous ne nous lassons pas de retrouver la splendeur, l’ampleur typique au compositeur qui dans cette œuvre de jeunesse (Haendel n’a que vingt-deux ans au moment de sa composition) insuffle déjà tout ce qu’il a appris au contact de l’Italie lors d’un voyage initiatique débuté l’année précédente. Car si l’ample chœur initial, d’une belle homogénéité et magnifiquement réglé par Gildas Pungier à la tête de l’Ensemble Vocal Mélismes, s’avère assez typique de la musique sacrée du début du dix-huitième siècle, Haendel surprend dès le Virgam virtutis tua, solo pour alto sur lequel Malena Ernman ne convainc guère, diction manquant de souplesse et longueur de note un peu fragile de la part de la mezzo, qui peine à réellement émouvoir sur ce chant, par ailleurs magnifiquement soutenu par un trait de violoncelle d’une clarté épurée, une limpidité mélodique sublime. Et c’est la jeune soprane Nina Maestracci qui émeut dès le chant suivant, le Tecum principim aux violons légers accompagnant une voix souple et ductile contribuant à faire de ce Dixit Dominus une œuvre où éclate toute la spiritualité, la ferveur religieuse du compositeur, qui compose une véritable crescendo émotionnel, que ce soit dans les parties pour chœur (un Jucabit in nationibus avec une montée chromatique d’une très belle intensité), ou un De torrente in via bibet où les voix des deux sopranes (Nina Maestracci étant rejointe par Marlène Assayag) s’associent pour une imploration doloriste d’une grande ferveur, que vient renforcer la direction soutenue, tendue de Jean-Christophe Spinossi, dont le Gloria Patri final sonnera comme un cri d’espérance, une renaissance exaltant la caractère sacré d’une œuvre, qui pour être de jeunesse n’en reste pas moins d’une maturité rarement égalée dans la musique sacrée.

Ce Dixit Dominus de Haendel est mis en regard avec le beaucoup plus tardif et tout aussi connu Messie (composé en 1741, soit trente quatre ans plus tard) et dont sera ce soir exécuté un extrait, le chœur Glory to God, dont la majesté et l’ampleur démonstrative soulignent chez Haendel une religiosité que les années ont laissé intacte, le compositeur éblouissant une fois de plus par sa capacité à transmettre une espérance dans le sacré, une intensité en sa foi que l’interprétation, ample sans être grandiloquente de l’Ensemble Matheus ne fait que rehausser. Tout comme dans le célébrissime Alléluia, extrait du même oratorio, donné en conclusion de soirée, comme un chant d’espérance.

Cette intensité et ferveur, nous nous ne sommes pas certains de les retrouver dans le Dixit Dominus de Baldassare Galuppi dont le premier mouvement a servi d’ouverture au programme de la soirée. Galuppi, tout honorable qu’il soit, n’est pas Haendel, et son chœur accompagné par force cordes apparaît un brin conventionnel, d’autant que pour le coup la direction de Jean-Christophe Spinosi apparaît là bien sage, alors que cette partition d’un baroque vénitien que nous qualifierons de tardif pour ne pas dire décadent, aurait mérité un peu plus de verve, de folie, de débridement.

Et quitte à réviser les classiques des chefs d’œuvres de la musique sacrée, le Gloria (RV 589) de Vivaldi s’impose, qui mis en regard du Dixit Dominus haendélien en souligne les influences italiennes. Un chœur initial tout en subtiles modulations, homogène et d’une parfaite projection faisant de ce Gloria in excelsis deo un chant d’annonciation, l’expression d’une nuée d’anges répandant la bonne nouvelle. Une espérance qui transfigure le deuxième chant, le chœur sur le Et in terra pax se faisant plus sobre, plus intimiste, comme une variation complémentaire, Vivaldi démontrant, en deux mouvements choraux successifs sa parfaite maîtrise de composition en ce domaine. Mais une composition vivaldienne, où l’expression de la ferveur passe aussi, et comme chez Haendel, par des airs solistes d’une belle intensité à l’exemple du Laudamus Te pour deux sopranes (Nina Maestracci et Malène Assayag) ou dans le Domine Deus, autre moment d’une grande intensité, où la voix lumineuse et posée de Nina Maestracci se lie au hautbois pour un moment de grâce des plus intenses. Un Gloria dont nous soulignerons également le Qui sedes ad dexteram Patris (pour Alto), d’une intensité plus nerveuse, plus tendue et qui une fois de plus émerveille.

Et comme Noël est aussi le moment de la générosité, Jean-Christophe Spinosi et ses musiciens ne seront pas avares en rappels, en profitant pour faire quelques pas de côté, du côté du gospel (avec une Malena Ernman s’avérant très à son aise dans ce répertoire), faisant reprendre au public Amazing Grâce et quelques autres savoureuses surprises que nous laissons découvrir au lecteur et futur spectateur.

Sous les atours d’une programmation classique, Jean-Christophe Spinosi et son Ensemble Matheus ont admirablement servi ce soir ces incontournables de la musique sacrée, emplissant le Théâtre des Champs Elysées d’une ferveur que le public a tenu à saluer debout, conquis et rassénéré. Joyeux Noël à tous !

 

                                                           Pierre-Damien HOUVILLE

Étiquettes : , , , , , , , , , Dernière modification: 31 décembre 2024
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