Rédigé par 15 h 42 min Concerts, Critiques

Hymne Olympique (Vivaldi, L’Olimpiade, Orlinski, Spinosi – Théâtre des Champs-Elysées, 20 juin 2024)

Photo : Vincent PONTET / Théâtre des Champs-Elysées

Antonio VIVALDI
L’Olimpiade

Opéra en trois actes (1734, RV 725) sur un livret de Pietro Metastasio

Jakub Jozef Orlinski, Licida
Marina Viotti, Megacle
Caterina Piva, Aristea
Delphine Galou, Argene
Ana Maria Labin, Aminta
Luigi De Donato, Clistene
Christian Senn, Alcandro

Ensemble Matheus
Chœur de l’Académie Haendel Hendrix
Jean Christophe Spinosi, direction

Emmanuel Daumas, mise en scène
Raphaëlle Delaunay, chorégraphie
Alban Ho Van, scénographie
Marie La Rocca, costumes
Cécile Kretschmar, Perruques, maquillages, masques
Bruno Marsol, lumières

Quentin Signori, acrobate

Théâtre des Champs-Elysées, Paris, jeudi 20 juin 2024.

Isthmiques, Olympiques, Dodoniques…, la Grèce antique raffole des jeux, expression conjuguée et contradictoire à la fois d’une unité culturelle panhellénique et des rivalités entre cités. Et comme ce terrain des compétions sportives est fertile en retournements de situation, alliances contrariées et autres émois amoureux, il fallait bien qu’un jour l’opéra s’en empare et nous fasse revivre les vicissitudes de quelques dieux du stade, jouets des dieux de l’Olympe. C’est donc opportunément mais pour notre plus grand plaisir que le Théâtre des Champs-Elysées clôture sa saison par la résurrection de cette Olimpiade de Vivaldi, rarement donnée dans son intégralité au-delà des quelques arias pour récitals qu’elle contient. Une production avec mise en scène et décors qui à quelques semaines de l’ouverture des olympiades de Paris prend le pari de tenir l’affiche pour cinq représentations sur dix jours, un quasi marathon pour un opéra baroque.

L’organisation des Jeux de Paris n’est pas sans déclencher quelques émois et une dramaturgie toute théâtrale qui vaudrait assurément un opéra contemporain, mais, époque oblige, Metastasio, auteur du livret, aux charmes d’un périphérique francilien saturé, préfère les pastorales contrées de Sicyone, en Elide[1], opportunément placée entre le sanctuaire d’Olympie et l’isthme de Corinthe. L’action s’ouvre alors que Clistene, roi de Sicyone, promet la main de sa fille Aristea au vainqueur des Jeux, en plus de la traditionnelle couronne d’olivier sauvage. Le frêle Licida, fils du roi de Crète, sent que le trophée pourrait lui échapper et tente de convaincre Megacle de participer aux épreuves à sa place, ignorant que Mégacle et Aristea sont amoureux. Aminta, précepteur de Licida, regarde avec circonspection se tramer une situation des plus échevelées…

Un premier acte conséquent dans lequel Métastase pose une intrigue au final assez complexe, sauvé par une mise en scène divertissante (Emmanuel Daumas, qui arrive à subtilement détourner les aspects les plus vieillis du livret), ancrant l’action dans un décors de gymnase moderne (avec cheval d’arçon et tapis de réception), dans lequel s’ébroue notre joyeuse éphébie. Licida, c’est Jakub Jozef Orlinski, sourire jovial et perruque frisée, qui rappelle à s’y méprendre le Nineto Davoli des films de Pasolini. Si son personnage s’emmêle vite les pinceaux entre mensonges, tergiversations et autres pataudes renonciations, le contre-ténor, tout en nous gratifiant de quelques jolies interventions (Quel destrier, che all’albergo è vicino, Acte I, scène 3) endosse un rôle pour le moins athlétique, en combinaison débardeur brillante, sautant, bondissant à la moindre occasion, tout en exécutant à plusieurs reprise les pas de breakdance dont il s’est fait le spécialiste. Un rôle à la mise en scène très physique, quitte à ce qu’un certain essoufflement soit perceptible à plusieurs moments. Mais un premier acte qui s’avère dominé par Marina Viotti, physiquement méconnaissable en Megacle bodybuildé façon Rambo, bandeau dans les cheveux compris, mais dont la voix fluide et mélodieuse embrasse avec la même dextérité toutes les facettes d’un premier acte faisant déjà passer son personnage par un panel d’émotions des plus variées, de l’emphase victorieuse (Superbo di me stesso, Acte I, scène 2) à la plus triste résignation (Che intesti ! Eterni Dei ! Acte I, scène 9, quand il se rencontre que sa promise l’est à un autre).  Un premier acte qui nous réserve aussi quelques arias (ou non da capo selon les cas) de Aminta (Il fidarsi della speme, Acte I, scène 3), sur lequel Ana Maria Labin se montre inquiétante, en quasi Pythie de mauvaise augure sur la suite des évènements, ou encore de la part de Argène (princesse de Crète, promise successivement à Licida et à Megacle), interprétée par Delphine Galou, écopant d’un rôle que le livret met trop en retrait, mais qui notamment sur le récitatif De’miei mali ecco il principio (Acte I, scène 4) fait la démonstration d’une belle diction et d’une voix claire et attachante.

Photo : Vincent PONTET / Théâtre des Champs-Elysées

Un premier acte essentiellement consacré à l’installation de l’argument, dans lequel la partition de Vivaldi se montre étrangement sobre, presque absente par moment, le compositeur préférant visiblement laisser s’exprimer la théâtralité de l’intrigue, ne venant que souligner l’action d’une partition d’où émergent ses si caractéristiques lignes de violons. Tout cela est bien fait, divertissant et si nos joyeux lurons athlètes s’en donnent à cœur joie (au risque que les crissements des baskets sur le sol ne viennent ternir quelques airs), nos personnages ne brillent pas par une maturité exacerbée et l’orchestre lui-même semble prendre plaisir à regarder ces adolescents s’empêtrer dans des historiettes d’opérette, Jean-Christophe Spinossi à la tête de son Ensemble Matheus optant pour une direction moelleuse dans ce premier acte. Un divertissement très agréable mais où ne pointe une réelle émotion que dans le Sta piangendo la tortorella (Aristea, Acte I, scène XI, interprété par Caterina Piva, mezzo sensible et personnalité affirmée), accompagné d’un magnifique numéro de sangles aériennes (Quentin Signori), très belle idée de mise en scène venant clore une entame d’œuvre centrée sur les tribulations tactiques et émotionnelles de nos héros sportifs.

Rupture de ton et de style avec les deuxième et troisième actes. Changement de décors tout d’abord, le gymnase moderne laissant place à des décors plus antiques, les costumes (Marie La Rocca) et masques (élaborés par Cécile Kretschmar, déjà auteure de belles réalisations pour le David & Jonathas ici-même en mars dernier) plongeant l’ensemble dans une atmosphère que n’aurait sans doute pas reniée Danilo Donati, costumier des œuvres les plus marquantes de Fellini (Satyricon, Casanova)  L’action se resserre, se dramatise, la direction de Jean-Christophe Spinossi se tend à mesure que la partition de Vivaldi s’étoffe. Megacle, qui a concouru sous l’identité de Licida est déclaré vainqueur des jeux et doit alors consentir à épouser Aristea. Le jeu n’en est plus un quand pris dans les errements de leurs petites tricheries, les héros voient leurs destinées se retourner à leurs dépens. Il n’est soudain plus question de Jeux, mais de rivalité, d’honneur bafoué, et d’amitié trahie. Les stratégies immatures virent au drame et quand Licida, acculé, donne libre cours à son désespoir, son Gemo in punto e fremo (Acte II, scène 12), structuré, accompagné par des violons tendus, donne l’occasion à Jakub Jozef Orlinski de déployer toute sa puissance vocale, pétrifiant de terreur, le regard exorbité par la prise de conscience de ses actes. Un aria qu’il donne souvent en récital, mais qui là, accompagné par une trinité cauchemardesque de monstres sortis de l’Adès, prend une dimension saisissante, incarnation du caractère inéluctable d’une destinée funeste. Assurément un grand moment d’opéra sur une très belle idée de mise en scène.

Ne déflorons pas un troisième acte une nouvelle fois riche en rebondissements, Metastase n’ayant assurément pas peur de complexifier une intrigue qui irrémédiablement conduit Licida à la mort par sacrifice, nœud gordien des destinées contrariées[2]. Un troisième acte marqué par le tragique (à moins que…) et offrant quelques nouveaux moments de grâce, comme le non so donde viene quel tenero affetto (Clistene, Acte III, scène 6) sur lequel Luigi De Donato, basse posée et souveraine, déploie tout le spectre doloriste de circonstance, simplement accompagné d’un violoncelle. Un lamento émouvant, comme un pendant au déferlement de Licida en fin de deuxième acte. Un troisième acte qui permet aussi à Alcandro (confident du roi Clistene, un peu délaissé dans le reste du livret) et à son interprète, Christian Senn, de faire la démonstration d’une voix de baryton consistante et dynamique (Acte III, scène 2 notamment).

Photo : Vincent PONTET / Théâtre des Champs-Elysées

Avec ce livret façonné pour les rebondissements, déployant une galerie de personnages aux caractères les plus variés (à défaut d’être les plus complexes) Metastasio, alors au fait de sa renommée séduit de nombreux compositeurs. Si Vivaldi fit partie des premiers (bien que Caldara le devança et que Pergolesi le suivi de peu) et remporta un triomphe à la création de son œuvre, c’est tout le dix-huitième siècle et les premières années du dix-neuvième qui furent irriguées par des adaptation du livret, près de quatre-vingt (dont un certain nombre sont perdues), et jusqu’à Donizetti, en passant par Hasse ou Cimarosa.

Le public, dont la déception aurait sans doute conduit les interprètes à un sacrificiel bain dans la Seine, ont porté en triomphe cette nouvelle mise en scène, sachant intelligemment allier légèreté, humour et sens du tragique, modernité et respect de l’œuvre originale. Portée par une distribution visiblement très heureuse de redonner souffle à ce triathlon vivaldien, cette Olimpiade est à découvrir avant cérémonie de clôture, le 29 juin.

 

                                               Pierre-Damien HOUVILLE  

Hommage fut rendu en préambule à la représentation à Jodie Devos, disparue prématurément la semaine dernière et qui devait initialement faire partie de la distribution. Un décès venant nous rappeler que derrière la légèreté de la musique et des turpitudes de scène, pointe aussi l’âpreté qu’endosse parfois l’existence.  

[1] Faisons remarquer au passage la connaissance assez lacunaire de la géographie grecque de la part de Métastase. Si le sanctuaire d’Olympie se trouve bien en Elide, Sicyone se trouve plus à l’Est, dans des territoires de Corinthie qui n’ont jamais été considérés comme appartenant à cette région.

[2] Le fait que Métastase situe son action à Sicyone n’est d’ailleurs peut être pas le fruit du hasard, quand on sait que le site est assimilé au mythologique Mekone, lieu des premières tromperies de Prométhée envers Zeus, ce qui entrainera son sacrifice. Relire la Théogonie d’Hésiode pour plus de détails.

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