“- Taxile : Le peuple aime les rois qui savent l’épargner.
– Porus : il estime encor plus ceux qui savent régner.”
(Racine, Alexandre le Grand)

Arsenal de Toulon, détail de l’allégorie du Printemps ornant la poupe de la galère royale La Reale sous le règne de Louis XIV (ornant les navires de 1688 et 1694) – Musée de la Marine, cliché Muse Baroque, 2024.
Ne soyons pas trop politique. L’ironie voltairienne nous tenterait trop, le détachement du sage nous guette, les valses du Palais nous fatigue autant que leur spectacle nous ennuie. Était-ce mieux avant ? Après tout, l’excellent Surintendant Ecureuil s’est retrouvé à remettre courtoisement son épée à Monsieur d’Artagnan à Nantes pour une fête trop réussie. En dépit de sa pluviométrie et de ses soubresauts, l’année 2024 a été musicalement faste, au disque comme au concert. La vitalité des parutions, l’éclectisme des programmations, les compositeurs connus et les inconnus se coudoyant, servis par des interprètes aux générations mêlées, ont démontré avec éclat que la musique baroque est une musique vivante, et bien vivante, moins olympienne et à la forme olympique. Elle est même devenue tellement institutionnalisée, tellement “à la mode”, que la subversion rebelle de la révolution baroqueuse des années 60 semble bien loin, même si l’excitation des exhumations demeure. Face à un engouement durable du public, un soutien des salles et éditeurs, on observe une pratique à la fois de plus en plus historiquement informée grâce aux recherches musicologiques et instrumentales, mais également étrangement une réalisation de plus en plus convenue, y compris dans ses actuelles ruptures de tons, lassantes dans leur nervosité et leur surenchère de couleur et de vitesse. Et au pays du jeune Jupiter élyséen, combien de jeunes et talentueux Rastignac, adeptes de plusieurs instruments, disposent déjà de leurs ensembles, les dirigeant depuis le clavecin, le violon – voire en chantant – dans une boulimie de forte, d’ornements, puis de ralentis étirés jusqu’à la moelle ? Combien de mises en abîme entre création contemporaine et viole de gambe ou musique vénitienne du Seicento ? Combien de hip hop et autres sneakers pour persévérer dans des mises en scène post-brechtiennes aussi laides que superficielles drapées dans leur ironie banale ?
Que 2025 soit éclatante, colorée, inventive, spontanée, sensible et rêveuse ! Souhaitons que cette débauche baroque se poursuive, mais que ce torrent impétueux cède parfois aux charmes alanguis de la poésie, aux frémissements du doute, à l’émoi des demi-mots. Que 2025 soit flamboyante mais pudique, éclatante mais discrète, éloquente mais mesurée. Que la virtuosité soutienne la bravoure, illustre la fureur, mais qu’elle s’oublie dans l’abandon d’une Arcadie galante que le siècle actuel a assimilé à une mièvrerie incomprise. Que de nouveau les tendres bocages soient des havres et non plus des intermissions à meubler, que les Dieux regagnent leurs pénates, et redeviennent redoutables dans leur splendeur, eux qui se sont mués en comptables en costume gris ou en entraîneurs sportifs en shorty. Que 2025 célèbre un peu de la magie d’un monde enchanté, le temps de quelques notes, car la vie ordinaire attend toujours derrière la porte, en embuscade quotidienne. Et s’il faut avoir l’arrogance d’un conseil ou d’un souhait aux artistes à qui nous devons tout : n’oubliez pas qu’à trop vouloir casser et fracasser, jouer de la lyre et tout exposer aux regards, on risque la double mort d’Orphée.
Viet-Linh Nguyen
Étiquettes : voeux Dernière modification: 1 janvier 2025