Die Schuldigkeit des ersten gebots, K.35
Le Devoir du Premier Commandement,
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Oratorio crée le 12 mars 1767 à l’Archevêché de Salzbourg,
Sur un livret de Ignatz Anton von Weiser
Gwendoline Blondeel, La Justice Divine, L’Esprit du Monde,
Adèle Charvet, La Miséricorde,
Artavazd Sargsyan, L’Esprit Chrétien,
Jordan Mouaissia, Le Chrétien,
Ensemble Il Caravaggio,
Camille Delaforge,
Château de Versailles Spectacles, 2024, 77 minutes
Du concert donné de ce Devoir du Premier Commandement de Mozart par Camille Delaforge et l’ensemble Il Caravaggio au mois de novembre dernier dans la chapelle royale du château de Versailles, nous avions tout aimé, ou presque. La joie matinée de curiosité d’entendre une œuvre rare en concert comme en enregistrement[1], la vitalité pleine d’allant de la direction de Camille Delaforge, la voix de Gwendoline Blondeel ou encore l’aria Jener Donnerworte Kraft (le Chrétien), avec ses longs passages solistes de trombone, belle audace du jeune Mozart.
Passé au disque avec un plateau vocal pour moitié différent (Adèle Charvet à la place de Mathilde Ortscheidt dans le rôle de La Miséricorde, Artavazd Sargsyan à la place de Julien Behr dans celui de l’Esprit Chrétien), nous retrouvons dès la Sinfonia introductive la vitalité pleine d’entrain et tout à fait appropriée au Mozart dans cette partition de jeunesse où le jeune compositeur, tout juste âgé de onze ans, impressionne déjà par un simplicité mélodique d’une grande clarté, d’une évidente pureté, dont les ornementations apparaissent aussi appropriées que naturelles (et sur lesquelles il est dit que Léopold Mozart est largement intervenu). Et bien sûr nous attendons notre trombone… qui se fait attendre…désirer…pour ne jamais arriver, pas plus que l’aria posé et savoureux, acmé du rôle du Chrétien dans cet oratorio. Une élision, une coupe sèche, une disparition pure et simple que nous ne pouvons que déplorer, amputant l’œuvre de l’un de ses plus beaux passages et pour des considérations qui restent floues, peut-être bassement matérielles quand on sait que les deux autres enregistrements de l’œuvre se déclinaient chacune en deux disques [2].
Un effacement et une gageure qui cependant ne doivent pas nous priver du plaisir de goûter à cette véritable résurrection de ce Devoir du Premier Commandement, œuvre trop discrète de la jeunesse de Mozart que Camille Delaforge, qui après sa recréation des Génies de Mademoiselle Duval (Château de Versailles Spectacles) semble vouloir creuser le filon des œuvres délaissées, sublime, magnifiant d’une direction alerte la vigueur des cordes ou la pétillance des hautbois pour offrir d’une partition épurée mais déjà pleine de personnalité, une vision dans laquelle se ressent la fougue de la jeunesse du Mozart, son ambition, et qui encore enfant n’hésite déjà pas à casser quelques codes établis, à l’image du rôle presque prépondérant donné au clavecin dans le trio final, l’instrument structurant le Lasst mir eurer Gnade Schein niemal fehlen entre La Miséricorde, L’Esprit Chrétien et la Justice Divine. Jamais illustratifs, les musiciens d’ Il Caravaggio déploient un son dense, homogène, mus par une volonté commune de marquer les contrastes de la partition, d’en affirmer l’intensité des sentiments, d’en souligner l’alerte densité, comme pour mieux en révéler le caractère novateur, en avance sur son temps et sur les déferlements ostentatoires qui deviendront dans les décennies à venir une marque stylistique de tout un pan de la musique germanique. Une direction tout en équilibre donc.
Et avouons que si au premier abord cet oratorio de jeunesse peut apparaître bien austère, avec sa dénomination au plus haut degrés biblique et un livret signé Ignatz Anton von Weiser, ami de la famille Mozart, illustrant avec cette œuvre bien des thèmes de la lutte entre jésuites et jansénistes, l’œuvre se montre d’emblée réjouissante. Une parabole toute en allégories sur le salut de l’âme, la jouissance des plaisirs terrestres et la sacralité de l’abnégation à la doxa chrétienne. Une œuvre initialement conçue comme un triptyque dont Mozart n’a composé que l’équivalent de la première partie, les deux autres ayant été composées par Michael Haydn et Anton Cajetan Adlgasser, mais considérées comme perdues.
Si ce livret apparaît bien daté par rapport aux œuvres plus tardives et autrement plus modernes pour l’époque de Mozart mettra en musique quelques années plus tard (on pense tout particulièrement aux livrets d’opéra de Da Ponte), l’œuvre est à (re)découvrir pour la richesse de ces arias et de quelques récitatifs que le plateau de cet enregistrement sert à merveille.
Car en effet, L’Esprit de Justice, comme l’Esprit du monde sont incarnés par Gwendoline Blondeel, impeccable dans ces rôles et se coulant avec délices dans le répertoire mozartien, d’une précision de diction sans faille dès le premier récitatif (Die löbliche und gerechte Bitte) et dont les vocalises, fluides et d’une grande pureté vocale illumineront le long aria Hat der Schöpfer dieses Leben samt der Erde uns gegeben en milieu de programme. Au-delà de la question pouvant se poser sur l’opportunité de faire jouer deux rôles relativement importants par une même voix, là où deux chanteuses auraient pu mettre en relief les caractères loin d’être identiques des deux rôles, la jeune soprane s’avère d’une affirmation vocale, d’une présence qui sur disque passe aussi bien qu’en concert.
C’est également le cas d’Adèle Charvet qui campe avec sincérité et personnalité une Miséricorde aux accents changeants en cours d’œuvre, prêtant sa voix de Mezzo aux multiples facettes du personnage, sans aucun doute le plus construit et le plus complexe du livret et celui auquel Mozart offre le plus de nuances malgré une partition ne lui réservant qu’un seul grand aria soliste, le sublime Ein ergrimmter Lowe brulett, sur lequel la voix aux accentuations très colorées d’Adèle Charvet vient sublimer une partition d’une très grande efficacité, notamment par un ensemble de cordes tendues, presque haletantes et poussant cet aria vers des sommets de dramaturgie, soulignant par ailleurs la grande maturité du jeune compositeur.
Il est certain que du côté des rôles masculins Jordan Mouaissia fait les frais de l’amputation du grand air qui lui était réservé, devant se contenter là de quelques récitatifs (notamment le posé Wie, wer erwecket mich ?) sur lesquels il fait preuve d’un naturel tout à fait convainquant, bien qu’un peu à l’étroit dans un rôle qui ne le lui permet pas de pleinement s’exprimer. Artavazd Sargsyan de son côté, dans la figure de l’Esprit Chrétien incarne son personnage avec conviction et une voix d’une belle souplesse et d’une parfaite scansion (Mit Jammer muss ich schauen, ou encore le Manches Übel will zuweilen en fin d’œuvre) d’autant plus convaincante qu’elle reste dans un registre des plus posés, qu’elle impose une figure de sagesse.
Ajoutez à cela un livret très complet, replaçant fort judicieusement l’œuvre à la fois dans les carrière du jeune Mozart et dans le spectre des influences se jouant autour de lui, tout comme précisant le contexte politique et religieux préludant à la création de l’œuvre, et vous obtiendrez un disque, qui plus que la gravure d’une curiosité musicale s’impose comme une référence dans la discographie, certes fort succincte, d’une œuvre, qui pour être de la jeunesse de Mozart n’en est pas pour autant à délaisser (au contraire de quelques symphonies insipides, mais là n’est pas le sujet…) et mérite bien la salutaire réévaluation que lui offre Camille Delaforge et ses musiciens.
Pierre-Damien HOUVILLE
[1] Seuls deux enregistrements précèdent celui-ci. Un avec l’orchestre symphonique de la radio de Stuttgart, dirigé par Neuville Marriner (Philipps, 1988), et un autre dirigé par Ian Page en 2013 (Signum Classics)
[2] Autre écueil relevé, celui-ci objectivement moins dommageable, le remplacement par des deux hautbois des flûtes originelles sur le Schildre einen Philosophen (L’Esprit du Monde).
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