Rédigé par 17 h 52 min Concerts, Critiques

Sortie scolaire (Haendel, Orlando, Bradić, Stagg, DeShong, Talens Lyriques, Rousset, Desoubeaux – Théâtre du Châtelet, 23 janvier 2024)

“Je ne crois pas que mon esprit soit placé si haut.” (Arioste, Le Roland Furieux)

© Thomas Amouroux / Théâtre du Châtelet

Georg Friedrich HAENDEL
Orlando
opéra en 3 actes créé le 27 janvier 1733 sur un livret anonyme, inspiré de Carlo Sigismondo Capece, de Grazio Braccioli et de l’Orlando furioso de l’Arioste

Orlando : Katarina Bradić
Angelica : Siobhan Stagg
Medoro : Elizabeth DeShong
Dorinda : Giulia Semenzato
Zoroastro : Riccardo Novaro

Avec les élèves danseurs du Conservatoire Ida Rubinstein – Conservatoire à Rayonnement Régional de Paris
Mise en scène : Jeanne Desoubeaux
Décors : Cécile Trémolières
Costumes : Alex Costantino
Lumières : Thomas Coux dit Castille
Chorégraphie : Rodolphe Fouillot

Les Talens Lyriques
Direction musicale Christophe Rousset

Représentation du 23 janvier 2025, Théâtre du Châtelet, Paris.

Orlando. Dans la trilogie de l’Arioste haendélienne, il tient une place de choix… livret aux petits oignons, incroyable scène de folie du 2nd acte. Et surtout, sans que cela soit l’opéra aux airs les plus spectaculaires, une admirable poésie, un climat onirique et doux-amer qu’on ne retrouve à dire vrai que dans Alcina. McVicar avait livré un superbe Orlando, à la noirceur des Liaisons Dangereuses (hélas non capté), Jens-Daniel Herzog une version efficacement transposée dans un hôpital pour soldats traumatisés pendant la Grande Guerre. Face à ce matériau tiré de l’Arioste, face à la folie des Hommes, l’amour des magiciennes, le fracas des armes, la passion et la gloire, Jeanne Desoubeaux a répondu par une inspiration aussi consensuelle que chancelante. Le coup de la nuit au musée et des statues qui s’animent ? Eculé, vu et revu par exemple dans ce Giulio Cesare (lui-même peu mémorable) de Garnier ou dans un Thésée lulliste au TCE où les visiteurs déambulaient à Versailles. Les enfants omniprésents ? Sans doute la metteur en scène avait-elle en tête de charmants chérubins, espiègles à souhait, dignes des pitreries aimables ornant la Villa Giulia, ou l’antichambre de l’Œil-de-bœuf. Affublés d’ignobles gilets roses fluo (des gilets jaunes auraient été trop politiques ?), peu dirigés, errant sans cesse comme d’insupportables pitres, les gamins pourtant issus d’un conservatoire, se contentent de gesticuler, courir, et surtout de gêner les spectateurs comme les chanteurs tout au long de l’opéra, s’accrochant à leurs bras, détournant l’attention avec grossièreté et lourdeur. Ajoutons à cela l’omniprésence d’un vocabulaire hygiénique : toilettes, balais, sceaux, chariot d’entretien, poubelles, pour bien rabaisser le propos, sans doute trop marqué par les salons précieux et la mythologie chevaleresque.

Que reste t-il donc de nos amours ? Eh bien pas grand chose… Saluons tout de même les costumes réussis d’inspirations XVIIIème d’Alex Costantino dont les protagonistes, sorte de statues de cire s’animant à la faveur de la nuit, se déferont au fil d’un effeuillage moins sensuel que libérateur, même si les bottes à fermeture éclair auraient pu être évitées. Détournons le regard d’une scène de triolisme très soft, que même M6 aurait pu passer en prime time, et qui massacre le sublime Terzetto final de l’acte premier “Consolati, o bella”. On aurait pu le jouer poétique et plein de tendresse, ou à l’inverse d’une ironie mordante (William Christie, fin connaisseur de cette œuvre tenta les deux approches, même Bolton sut en faire un jeu cruel), ici ce trio lesbien n’est que gratuit, Angelica, Medoro, et Dorinda se tortillant sur un banc. Une fulgurance, hélas terriblement fugace, mais qui laisse entrevoir qu’avec les mêmes décors et accessoires, un spectacle d’un tout autre calibre était envisageable : le début du troisième acte, sur un plateau désolé, avec 2 statues (une déesse et un lion), au loin, sur un horizon vide, et les sempiternels enfants roses, empanachés, le visage casqué, dans un tableau dérangeant, surréaliste et troublant. 

© Thomas Amouroux / Théâtre du Châtelet

Le salut viendrait-il des chanteurs et de la fosse ? Oui et non. Jouant de malchance, cette première a vu le rôle-titre courageusement affronter une sortie de grippe. Katarina Bradić était en méforme : faible projection, ornements très appliqués, airs de bravoure honnêtes mais sans emballement (“Fammi combattere” piéton, “Cielo! Se tu il consenti” plus ennuyé que révolté), scène de folie timide. Le Zoroastro de Riccardo Novaro (gardien du musée en costume de flanelle gris) allie agilité, chaleur du timbre, et dénote une grande aisance mélodique (“Tra caligini profonde”). Le rôle est toutefois un peu trop grave pour ses cordes, et le personnage manque d’assises et donc de charisme et d’autorité (“Lascia Amor, e segui Marte”), tandis que les sales gosses sont constamment dans ses pattes. L’on sera nettement moins convaincu par le trio de femmes : l’australienne Siobhan Stagg comme le Medoro bien peu androgyne d’Elizabeth DeShong (“Verdi allori” insipide) peinent à incarner le couple passionnel et maudit. Le chant est correct mais sans inspiration, d’une superficialité que ne compensent pas même des da capos peu inventifs, la projection moyenne. Le “Verdi piante” nostalgique et pensif passe la ligne de flottaison et permet à la soprano de faire montre d’une musicalité délicate. La mise en scène a t-elle agi comme un éteignoir ? Les poupées de cire demeurent la plupart des actes des poupées sans son. Giulia Semenzato tente de tirer sa Dorinda vers un peu de brillant et de légèreté, sous ses dehors de Blanche-Neige façon Disney ou d’Isabelle Adjani dans Mortelle Randonnée ; ses récitatifs bénéficient de la beauté chantante de sa langue maternelle tout comme de sa participation aux représentations récentes au Teatro Real de Madrid sous la houlette d’Ivor Bolton dans une mise en scène tout aussi ratée de Claus Guth (façon garage, caravane et junkies, prétendument inspiré par l’univers de Taxi Driver) mais d’une toute autre tenue vocale malgré l’orchestre moderne.

Orlando : Katarina Bradić © Thomas Amouroux / Théâtre du Châtelet (côté tailleur Louis XV, on ne comprend cependant pas bien ce que fait cette sorte de soubreveste rose sous l’habit, et alors qu’il y a déjà un gilet pourvu de manches)

A la tête des Talens Lyriques, Christophe Rousset cisèle une partition toute en élégance, complètement désynchronisée avec la laideur visuelle. Jouant sur les nuances, ajoutant ci et là des touches aquarellées, il dépeint un monde de miniaturiste, où Tiepolo ou Fragonard ne sont jamais loin. On goûte la souplesse des articulations, l’arrondi des attaques, la générosité mélodique et narrative. Refusant une approche “à numéros”, avec force pyrotechnie des reprises, et le “stop and go” des ruptures dues aux applaudissements après chaque air, il construit un univers à la fois sensible et tendre, très émouvant. On pourra regretter la trop grande régularité de la scène de folie, mais le sens du discours, les couleurs pastels (superbes bois et cordes), emportent l’adhésion, et l’on goûte à pleins poumons et les yeux mi-clos les ritournelles. Alors, à la folie, ou pas du tout ? Clap de fin, c’est le matin, le décor du musée redescend, les parents reviennent chercher leurs progénitures égarées. Les jeux d’enfants devraient être des Jeux interdits.

 

 

Viet-Linh Nguyen

Étiquettes : , , , , , , , , , , Dernière modification: 27 février 2025
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