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Du Beau, du Bon, Du Bellay ! (La Pléiade en Musique, Compagnie Outre Mesure – COM)

La Pléiade en Musique, & autres Voix de Ville,
Poésies de la Renaissance mises en musique et considérées par Gwinnevire Quenel
n hommage aux 500èmes anniversaires de Joachim du Bellay & de Pierre Ronsard

Heureux qui comme Ulysse, Joachim Du Bellay,
Ce n’est pas à vous que passagère arondelle,
O roze reine des fleurs, Jean-Antoine de Baïf,
Mignonnne, allon voir si la rose…, Pierre de Ronsard,
Mignonne, allon voir si la rose… (avec polyphonie),
Quand à ceulx, qui ne vouldroient recevoir ce genre d’escripre, Joachim Du Bellay,
Mon œil aux traits de ta beauté, Pontus de Tyard,
Une Puce j’ay dedans l’oreille helas, Jean Antoine de Baïf,
Dame de Beauté positive, Pontus de Tyard,
O pucelle plus tendre, Pierre de Ronsard,
Sur un luth, si ma main vient mal aux accords, Mellin de Saint-Gelais,
Je me trouve et me pers, je m’asseure et m’effroye, Estienne Jodelle,
Rosette pour un peu d’absence, Philippe Desportes,
Tous les malheurs que j’ay pour l’amour d’elle, Jacques Peletier
Recherche qui voudra cet Amour qui domine, Estienne Jodelle,
En ce moys delicieux, Joachim Du Bellay,
Et quoy ? Tu fuis Amour, dis-tu pas : et pourquoy ? Estienne Jodelle,
L’amour qui me tourmente, Jean-Antoine de Baïf,
Chant des Nymphes de la Seine, comme la corne argentine, Remy Belleau,
Au Roy, le grand moteur de tout, Jean Dorat,
Cigne je suis de candeur, Jean-Antoine de Baïf,
Ceulx qui sont amoureux, leurs amours chanteront, Joachim Du Bellay,
Puis que les yeux qui tout mon bon heur portent, Jean-Bastier de La Péruse,
Le Printemps n’a point tant de fleurs, Pierre de Ronsard,
Si vous regardez Madame, Joachim Du Bellay,
Puis qu’il vous plaist de moy estre servie, Jacques Peletier,
Je suys contraint d’estimer, Pontus de Tyard,
Comme on voit sur la branche, Pierre de Ronsard,
Souspirs ardens,
Quand vous serez bien vieille, Pierre de Ronsard,
Quand premiers vous me fistes voir, Remy Belleau,
Tant de fois s’appointer, tant de fois se fascher, Pierre de Ronsard,
J’ay toujours estimé la poësie comme ung somptueux banquet, Joachim Du Bellay,
Or, nous resjouisson,
Folie. Un charlatan disoit en plain marché, Mellin de Saint-Gelais,
Assemblez vous drolle,
Ung ramoneur dedens paris,
A son luth. Luth qui souloit adoucir les ennuis, Joachim Du Bellay,
Déploration du bel Adonis. Laissez la verde couleur, Mellin de Saint-Gelais,
La lune est coutumière, Pierre de Ronsard,
Je me feray sçavant en la philosophie, Joachim Du Bellay,
Je veux aimer quoy qu’on veuille dire, Mellin de Saint-Gelais

Compagnie Outre Mesure :
Gwinnevire Quenel, chant superius
Marc Busnel, bassus
Josquin Gest, altus
Nicole Rouillé, déclamation

Benjamin Ingrao, ténor
Pascale Boquet, luth à sept chœurs, guiterne à quatre chœurs
Isabelle Dumont, basse de viole à six cordes
Robin Joly, flûtes à bec, basse de basson
Anne Dumont, sacqueboute ténor, clavecin

 Digipack double, Collection discographique Dansez Renaissance, label COM de la Compagnie Outre Mesure, 2024, 135′.

Qu’il nous soit permis une légère incartade, un pas de côté à nos habituelles bornes temporelles pour saluer la parution de cet enregistrement, offrant une plongée, pas si courante, à la fois dans la musique et la littérature du seizième siècle. Cette Pléiade en Musiques & autres Voix de Ville que nous offre la Compagnie Outre Mesure ressuscite en effet les textes des plus fins versificateurs de l’époque, tout en venant à très juste titre rappeler que leurs vers furent très tôt après leurs parution mis en musique par les compositeurs du temps. Et si des auteurs les noms parfois plus que les textes restent dans les mémoires communes, au moins pour certains d’entre eux, ceux des compositeurs se font plus obscures dans la plupart des cas.

A cette salutaires association des textes et de leur mise en musique s’ajoute un travail exigeant et respectueux sur la déclamation des vers, en français restitué. Nous nous sommes en ces pages à plusieurs reprises fait l’écho de l’important travail entrepris notamment par Benjamin Lazar ou Eugène Green de restitution d’anciens textes, avec ce phrasé si caractéristique, embrassant toutes les intonations du texte, en soulignant plus que dans nos déclamations contemporaines, les accentuations, les terminologies, les changements de rythmes. Une véritable appropriation de la scansion des vers opérées dans le présent enregistrement par Gwinnevire Quenel et Nicole Rouillé, cette dernière, linguiste de formation s’avérant par ailleurs l’une des spécialistes parmi les plus reconnues dans la restitution orale du français des seizième et dix-septième siècle, sa prononciation, sa gestuelle, sa prosodie et ayant publié plusieurs ouvrages de référence sur la question. Au travers de leur interprétation, c’est donc à une langue française aux accentuations plus franches, plus riches que nous avons à faire, dont les changements de rythme dans la prononciation, également plus nombreux que dans le français moderne, offrent des sonorités nouvelles et viennent le plus souvent révéler, ou souligner des aspects insoupçonnés ou seulement entrevus de la portée littéraire et poétiques des vers déclamés.

Cet enregistrement constitue une exploration de la si riche littérature poétique de la France du seizième siècle, dont le souvenir semble avoir entièrement disparu des programmes littéraires dans le secondaire et dont même le volume consacré à la littérature du seizième siècle par les fameux André Lagarde et Laurent Michard ne traitait qu’avec une parcimonie un peu famélique, se concentrant presque exclusivement sur le figure, certes majeure de Joachim Du Bellay, après avoir mentionné comme par simple formalisme les autres membres du cercle.

Alors, auditeurs prêts à vous plonger dans les quelques quarante textes réunis dans ce double enregistrement, attendez vous à quelques retrouvailles et à beaucoup de découvertes ! Des retrouvailles bien entendu, avec quelques textes dont l’ineffable beauté a traversé les siècles comme une évidence, le témoignage d’une richesse de sentiments dans la littérature française de cette période qui nous séduit, voire peut-être nous rend nostalgique. Ce sont les vers de Joachim Du Bellay, son sonnet Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage…, remémoré aux oreilles plus contemporaines par Georges Brassens (une adaptation du texte que nous devons aussi au compositeur George Delerue et au cinéaste Henri Colpi pour un film éponyme de 1970 avec Fernandel…le film ayant moins bien vieilli que la chanson), ou plus récemment pour un unique succès par le chanteur Ridan (en 2007), adaptant lui aussi joliment cette page des Regrets. Autre texte ayant traversé les siècles et entré dans nos mémoires communes, le Mignonne allons voir si la rose… de Pierre de Ronsard, dont on ne compte plus les mises en musiques, interprétations, références plus ou moins réussies, et pour les oreilles les plus curieuses, et parfois les plus aventureuses, nous nous bornerons simplement à citer quelques noms (Richard Wagner, Cécile Chaminade, Françoise Hardy, le groupe Les Menestriers ou encore Dorothée).

Première page des : Oevvres De Ioachim Dv Bellay, Angevin : Fidelement reueues, & corrigees oultre le precedentes impreßions Imprimée par Charles Langelier en 1562 conservé à a Landesbibliothek d’Oldenburg – Wikimedia Commons

Mais au-delà de ces quelques textes à la patrimonialité reconnue, l’un des délices du présent enregistrement est également de nous faire découvrir nombre de textes bien moins connus mais non dépourvus du plus grand intérêt que nous ne pouvons tous citer, et nous laissons l’auditeur découvrir par lui-même la beauté, le charme, et souvent l’irrévérence gracieuse par exemple de Une Puce j’ay dedans l’oreille helas… de Jean-Antoine de Baïf, ou encore de Dame de beauté positive… de Pontus de Tyard, ou encore en toute fin d’enregistrement du Déploration du bel Adonis de Mellin de Saint-Gelais. Notons au passage un petit bémol, celui que le livret ne comporte pas l’intégralité des textes déclamés, le QR Code le promettant renvoyant bien au site de la compagnie, mais pas à l’intégralité des textes. Reste donc au curieux le soin de retrouver les textes, et si sur cette période le volume Poètes Français du XVIème siècle de la Bibliothèque de la Pléiade (Gallimard, 1965) reste une référence, certains textes présents dans ce programme restent compliqués à se procurer.

Car, peut-être faut-il le souligner, ces auteurs de la Pléiade sont à aborder, au-delà de la qualité intrinsèque de nombre de leurs textes, aussi pour le tournant qu’ils opèrent dans la construction de la littérature française. François Ier édicte en 1539 son Ordonnance du Roy sur le faict de justice, plus connue sous le vocable d’Ordonnance de Villers-Cotterêts et texte fondateur sur l’obligation de l’usage du français dans les actes administratifs, au détriment du latin. Seulement dix ans plus tard, Joachim Du Bellay fait publier La Deffense et Illustration de la Langue Francoyse, véritable manifeste pour l’usage du français dans la poésie. Un moment comme une charnière, la marque d’un basculement où se cristallise autour de Du Bellay un cercle littéraire habile aux vers où nous retrouvons dans un premiers temps autour de Du Bellay (1522-1560), Pontus de Tyard (1521-1582), le déjà cité Pierre de Ronsard (1524-1585), Jean-Bastier de la Péruse (1529-1554), Guillaume des Autels (1529-1580), Etienne Jodelle (1532-1573), Jean-Antoine de Baïf (1532-1589). Au décès, prématuré, de Jean-Bastier de la Péruse, viendra se greffer Remy Belleau (1528-1577), et plus tardivement Jacques Peletier du Mans (1517-1582) et Jean Dorat (1508-1588). Autant d’auteurs qui tous apparaissent à des degrés divers dans les textes présents sur ce double disque, en dévoilant à la fois les lignes de cohésion (la précision de la versification, un héritage de la courtoisie des sentiments exprimés), et des différences certaines, reflet de leurs personnalités (sur l’expressivité de la profondeur du sentiment amoureux, sur l’humour, sur la raillerie). Notons qu’au-delà des textes de ces poètes de la Pleiade, la Compagnie Outre Mesure s’attache à remettre en lumière plusieurs séries de vers de Mellin de Saint-Gelais (1491-1558), dont la mémoire pâtie de l’ombre de Clément Marot et Pierre de Ronsard, s’opposant en son époque à ce dernier dans des querelles littéraires que le temps a rendues caduques. Quelques chansons, dites en voix de vile viennent aussi compléter ce riche programme.

Mais au-delà de l’aspect littéraire des textes et de la qualité de leur déclamation, ce qui fait aussi l’intérêt de cet enregistrement est bien l’association entre les textes et les compositeurs qui très tôt les ont mis en musique. A l’exemple des adaptations contemporaines, nombre de compositeurs n’ont mis en musique qu’une partie seulement des vers des auteurs de la Pléiade, d’où un travail d’adaptation des partitions de la part de la Compagnie Outre Mesure pour parfois faire correspondre les partitions avec leur volonté de restituer l’entièreté des textes. Jehan Chardavoine (1537-vers 1580) fit publier en 1576 un Receuil des plus belles et excellentes chansons en forme de voix de ville, tirées de divers autheurs & Poëtes François, tant anciens que modernes. Ausquelles a esté nouvellement adpatée la Musique de leur chant commun, à la fin que chacun les puisse chanter en tout endroit qu’il se trouvera, tant de voix que sur les instruments, par Jean Chardavoine, de Beau-fort en Anjou. Les adaptations de poèmes pour la chanson populaire est en effet un art ancien et nombre de compositeurs s’y sont adonnés (à l’exemple de Clément Janequin), mais aussi de nombre de musiciens dont la postérité fut moins flamboyante et auxquels ce disque rend aussi un bel hommage. Pierre Certon (vers 1510/1515-1572) actif à la Sainte-Chapelle durant quatre décennies et connu temps pour sa production d’œuvres liturgiques que de chansons profanes et que l’on retrouve par exemple sur une belle polyphonie à six parties accompagnant En ce moys délicieux de Joachim Du Bellay, mais aussi Pierre Cléreau (mort vers 1570), actif en Loraine (Toul, puis Nancy), lui aussi compositeur de nombreuses chansons, très présent sur cet enregistrement (polyphonie à trois parties accompagnant Je suys contraint d’aimer… de Pontus de Tyard, la polyphonie, aussi à trois parties magnifiant le Mignonne, allon voir si la rose… de Pierre de Ronsard). Une galerie de compositeurs où il sera possible d’ajouter Fabrice-Marin Caietain (vers 1540-1578), lui aussi actif à la cour ducale de Loraine ou encore Claude Le Jeune (vers 1525/1530-1600), notamment ici pour une polyphonie à cinq parties sur le O roze reine des fleurs… de Jean-Antoine de Baïf. Claude Le Jeune, u compositeur étroitement associé aux versificateurs qu’il sert, en particulier Jean-Antoine de Baïf, pour lequel il mettra en œuvre son principe dit de Musique mesurée, à savoir de composition épousant le rythme de la métrique du vers antique, préfigurant en cela le style récitatif des œuvres opératiques du dix-septième siècle.

Pierre Certon, Premier livre de chansons (Paris : Le Roy & Ballard, 1552) @ Gallica / BnF

Une association du texte et de la musique que cet enregistrement met en exergue, les musiciens accompagnant les déclamations et polyphonies avec un effectif musical concis, approprié pour souligner la portée poétique des textes (luth, guiterne, sacqueboute, flûtes, basse de viole, plus épisodiquement clavecin). Issu d’un programme crée en 2022 en hommage aux cinq-centième anniversaire de Joachim Du Bellay et Pierre de Ronsard, les représentations de celui-ci s’accompagnent de danseries constituant un aspect supplémentaire du spectacle. Toujours est-il que cet enregistrement, qui peut paraître âpre d’un premier abord de par sa plongée dans des aspects bien lointains de la musique française et sans l’appât visuel des danseurs, s’avère un hommage sincère et salutaire à tout un pan de la création littéraire et musicale de la France du milieu du seizième siècle qui, entre affirmation de la langue et Réforme (les parcours religieux de certains des auteurs et compositeurs présents sur ce disque sont des aspects que nous n’avons pas développés, mais qui méritent le plus grand intérêt) faisait naître un sillon fécond et influençant la création artistique pour de très longues décennies.

 

                                                                                   Pierre-Damien HOUVILLE

 

 

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