Claudio MONTEVERDI (1567-1643)
Monteverdi Testamento, Vespro della Madonna (1643)
Responsorium, Deus in adjutorium meum intende
Psalmus, Dixit Dominus secondo (SV 264)
Motectus, Ego flos campi (SV 301)
Psalmus, Laudate pueri primo (SV 270)
Motectus, Stabat Virgo Maria (SV 96)
Psalmus, Laetatus sum primo (SV 198)
Motectus, Salve Regina secondo (SV 284)
Psalmus, Nisi Dominus secondo (SV 201)
Motectus, Pianto della Madonna (SV 288)
Psalmus, Lauda Jerusalem (SV 203)
Hymnus, Ave Maria Stella
Magnificat primo (SV 281)
Perrine Devillers, soprano
Eva Zaïcik, mezzo-soprano
Paco Garcia, Cyril Auvity, ténors
Romain Bockler, Viktor Shapovalov, barytons
Le Poème Harmonique
Direction Vincent Dumestre
2 CD digipack, Château de Versailles Spectacles, 2024, 87′
Vincent Dumestre a la noblesse du charpentier. De celui qui aussi patiemment que méthodiquement prend le temps de choisir en forêt les troncs qui serviront sa charpente. Et de forêt il en est justement question dans ces Vespro della Madonna, dernière parution du Poème Harmonique et réjouissante plongée dans les œuvres tardives du Maître vénitien qui relèvent au final moins du testament que du fondement de tout un héritage.
Forêt car nombre des œuvres ici réunies sont puisées dans le Selve Morale e Spirituale (littéralement Forêt Morale et Spirituelle), vaste recueil de pas moins de quarante œuvres sacrées que Claudio Monteverdi fait publier en 1641, deux ans avant sa mort, comme un testament ou l’ouverture vers un champ des possibles, un appel à venir puiser dans ces partitions, reflet éblouissant de la maturité de composition du compositeur. Mais une parution qui résonne aussi comme un écho à la parution trois décennies auparavant des Vespro della Beata Vergine (1610), consacrant durablement le genre et imposant Claudio Monteverdi au firmament des compositeurs de musique sacrée.
Alors que les dernières années de la vie de Monteverdi semblent plus centrées sur son répertoire lyrique (Il ritorno d’Ulisse in patria date de 1640, L’incoronazione di Poppea de 1643), Vincent Dumestre et le Poème Harmonique choisissent résolument de mettre en lumière la vitalité des compositions sacrées tardives du compositeur, récréant par un assemblage subtil d’œuvres ces nouvelles Vêpres à la Vierge imaginaires, qui pour être originales n’en constituent pas une œuvre originelle. Pour cet assemblage, Vincent Dumestre choisit de reprendre la structure adoptée par Monteverdi dans ses Vespro della Beata Vergine de 1610, à savoir cinq psaumes, chacun encadré par des concerti sacri venant prendre la place traditionnellement tenue par les antiennes, et un Magnificat. Le chef se permet quelques incartades, insérant notamment des œuvres spirituelles non destinées à l’office (le contrafactum d’un madrigal du Livre V et surtout l’envoûtant Pianto della Madonna, contrafactum du célèbre Lamento d’Arianna) ou jouant avec souplesse de l’ordre des pièces (le Salve regina secundo qui devrait être en conclusion)
Manquait à cet assemblage façon puzzle deux pièces, Monteverdi n’ayant laissé dans son recueil de 1641, pas plus que dans le recueil posthume publié en 1650 (Messa a quattro voci e salmi), ni hymne ni l’introductif Deus in Adjutorium. Qu’importe, Vincent Dumestre contourne la difficulté avec élégance, recréant les deux pièces manquantes. Pour recomposer son Deus in Ajutorium, Vincent Dumestre emprunte au madrigal Altro Canti d’Amor qu’il colore avec vigueur et brio à la façon des passages les plus endiablés de l’Orfeo, pour un résultat par essence apocryphe aux yeux de la doxa mais hautement séduisant, si l’on accepte de passer outre doulciane (Isaure Lavergne) et cornets si séduisants et chatoyants que l’enregistrement les met un peu trop en avant dans sa prise de son. Quant à l’hymne, il est constitué par la recomposition de l’Ave Maria Stella par Vincent Dumestre et ses musiciens, et si le résultat confère à une plénitude extatique du meilleur effet, avec ses amples ornementations, on ne peut s’empêcher de trouver que pour être tout à fait honorable, cette pièce ne s’élève pas tout à fait au niveau de complexité de composition que Monteverdi atteint sur les autres œuvres présentées.
Car ceux qui admirent le Monteverdi adepte d’un Stile Antico dont il ne se déparera jamais, y compris à la fin de sa carrière[1], seront sans doute surpris par la richesse et l’ampleur des ornementations instrumentales dont le compositeur, vénitien à cette période, fait preuve. Une majesté solaire se dégage tout au long de ce double enregistrement, particulièrement éclatant dès la très belle entrée en matière que constitue le premier psaume, Dixit Dominus secondo (SV 264) qui à l’art madrigalesque si maîtrisé de Monteverdi, à ce parfait relief entre les lignes vocales, conjugue rutilance des cuivres et basses de cordes dans un déploiement de ferveur subtilement équilibré, ne tombant jamais dans la grandiloquence et conservant, au-delà des fastes, la quintessence de l’épure propre au compositeur. A la direction du chœur et des musiciens Vincent Dumestre met en majesté une partition dense, complexe dans sa rythmique et sa mise en relief, à la fois ample et précise dans ses développements, pour ainsi magnifier une œuvre, qui sans doute composée pour les voutes de San Marco, s’approprie avec élégance et faste celles de la Chapelle Royale de Versailles.
Cette maîtrise, à la fois du chœur et de l’orchestre est à associer à un choix de solistes particulièrement approprié dont nous louerons, une fois n’est pas coutume, pour commencer les interprètes masculins, remarquables dans leur scansion et aux accentuations si dénuées de maniérisme qu’ils exaltent superbement les ornements, les colorant d’une apprêté parfois un peu rugueuse mais si caractéristique du répertoire vocal du Seicento italien. Une joie introspective particulièrement remarquable sur le duo introductif du deuxième psaume Laudate pueri Dominum où les deux ténors (Paco Garcia et Cyril Auvity) enchantent de leurs entrelacs vocaux accompagnés par de souples théorbes, avant que les basses (Victor Shapovalov et Romain Bockler) ne concluent le morceau sur un mur de trombones. Entre les deux, accompagnées aux cornets, Eva Zaïcik et Perrine Devillers auront émues par la clarté, la limpidité toute en douceur et en ferveur de leur timbre, pour un psaume restant longtemps en mémoire comme l’un des grands moments de cet enregistrement.
Mais ne réduisons pas nos louanges à ce second psaume, si représentatif soit-il de la plénitude acquise par Monteverdi à la fin de sa carrière, tant dans son art de la composition vocale que dans celui de l’accompagnement instrumental. Dans le troisième psaume présenté, le Laetatus sum primo (SV 198), Monteverdi semble se faire joueur, heureux et taquin, nous gratifiant d’entrée de jeu d’une passacaille moins incongrue que charmante et d’une légèreté du meilleur aloi, avant que les voix étrangement ne vocalisent, là encore sans le moindre anachronisme mais avec un vent revigorant de modernité, laissant deviner un Monteverdi, qui déjà septuagénaire à la rédaction de cette partition, n’avait rien perdu de sa modernité, de sa capacité de renouvellement et de son ambition musicale.
Une modernité monteverdienne qui s’incarne également dans le Pianto della Madonna (SV 288), variation mélodique sur le Lamento d’Arianna (initialement composé en 1608) et qui au-delà de la démonstration de la capacité du compositeur à se jouer des frontières entre musique sacrée et musique profane offre à Eva Zaïcik un moment de grâce suspendu, dévoilant une voix expressive et plaintive, pure, limpide, doloriste dans cette expression de la souffrance de la Vierge qui reste l’un des autres grands moment de cet enregistrement.
Nous ne serions pas justes et complets si nous ne soulignions pas la parfaite symbiose du chœur, de l’orchestre et des solistes sur le Beatus Vir du Nisi Dominus secoundo (SV 201) ou le final Magnificat primo, au chœur éruptif et où les solistes subjuguent d’un charisme vocal nous emportant sur fond de cornets vers une musique vénitienne dont la maturité confine à l’apothéose, au moins pour ce siècle-ci.
Dire qu’il y a tout Monteverdi dans cet enregistrement pourrait être perçu comme une invitation à ne poursuivre au-delà… et pourtant ! Contentons-nous alors de souligner qu’avec ces Vespro della Madonna réassemblées telle une fine mosaïque byzantine, Vincent Dumestre et le Poème Harmonique nous offrent un Monteverdi en majesté à l’acmé de son art, dans un enregistrement à l’équilibre remarquable, servi par un chœur et des solistes qui trouvent dans ce répertoire substance à se magnifier. Splendide.
Pierre-Damien HOUVILLE
[1] Notons l’occasion qui nous fut donnée à l’occasion de la sortie du disque du Poème Harmonique, de retourner à nos amours anciennes, en réécoutant le très bel enregistrement gravé par Philippe Herreweghe et La Chapelle Royale de la Messa a quattro voci da cappella (1650), de l’Adoramus a sei voci (1620) et de la Missa da cappella a sei voci « In illo tempore » (Harmonia Mundi, 1991).
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