Pietro HEREDIA (vers 1575 – 1648)
Missa pro Defunctis
Ensemble Vox Cantoris :
Raphaël Mas, canto
Yann Rolland, canto
Bertrand Dazin, alto
Lisandro Pelegrina, alto
Jean-Christophe Candau, tenore
Damien Rivière, tenore
Christophe gautier, basso
Stephan Imboden, basso
Isaure Lavergne, basson
Tiago Simas Freire, cornet
Jean-Christophe Candau, direction
1 CD digipack, Psalmus, 2024, 60′ (premier enregistrement mondial)
Il Spagnolino, c’est sous ce vocable, et plus précisément ce surnom que figurent les premières mentions de Pietro Eredia, patronyme italianisé d’un plus ibérique Pedro Heredia. Car c’est en effet loin des terres espagnoles que ce fit la carrière du compositeur dont la carrière débute à Vercelli (Piémont), avant de se poursuivre à la cour ducale de Turin et de se terminer à Rome. Une carrière toute italienne pour ce compositeur du seicento, confidentiel et dont la Missa pro Defunctis, aujourd’hui gravée par Jean-Christophe Candau et son ensemble Vox Cantoris constitue le premier enregistrement mondial.
Il s’agit d’une oeuvre respectueuse de la grande tradition polyphonique verticale de la fin de la Renaissance, dont certains aspects combinés à l’écriture madrigalesque issus de la musique italienne imprègne encore en cette première moitié du dix-septième siècle des œuvres religieuses pleines du renouveau de ferveur issues du Concile de Trente. Et si Pietro Eredia reste de nos jours un compositeur à la renommée confidentielle, sauf peut être pour son madrigal Passa la vita all’abassar d’un ciglio composé durant sa période romaine sur des vers du pape Urbain VIII (vers 1635), ce Requiem à cinq voix mérite largement notre attention. Il s’agit d’une composition italienne, redécouverte en France, dans les fonds de la bibliothèque François Lang de l’Abbaye de Royaumont par Jean-Christophe Candau et quelques musiciens de l’Ensemble Organum alors en résidence. Un recueil de polyphonie, imprimé à Rome en 1646 par Florido de Silvestris et comportant notamment des réductions de partitions de Palestrina, était suivi de cette Missa Pro Defunctis de Pietro Eredia. Forcément l’envie point d’une recréation. Une partie manquante du plain-chant a dû être reconstituée, ce qui n’est pas le plus malaisé. Ainsi, venons-en d’abord et comme une évidence sur la musique elle-même.
Jean-Christophe Candau et Vox Cantoris accompagnent les cinq voix d’un basson et d’un cornet à bouquin, instrument encore très présent dans la péninsule en ce début du XVIIème siècle, avant sa progressive extinction[1]. Une œuvre encore marquée par l’héritage de la musique de la Renaissance et dont l’Introït et le Kyrie initiaux apparaissent sous des abords d’un grand classicisme, empreints à la fois d’apaisement et de solennité, et en cela marqués par l’éveil d’une expressivité du sentiment, de l’espérance et de la confiance dans l’au-delà qui ne sont pas si courant dans cette musique encore ancienne du répertoire. Une espérance qui si elle est signe d’apaisement n’en est pas pour autant joyeuse, le sujet s’y prêtant mal, et n’empêche en rien la gravité du sujet, palpable dans le si central Dies Irae, ténébreux, propice à la réflexion et à l’élévation de l’âme, à même de faire ressentir l’idée d’un cheminement vers un au-delà spirituel et salvateur. Mentionnons encore l’Agnus Dei, d’une polyphonie grégorienne parfaitement maitrisée par Vox Cantoris, d’une pénétrante spiritualité et parfaitement accompagné au cornet et auquel succède un Communio Lux Aeterna plus apaisé, serein, comme une respiration, une appropriation de la mort.
Ce Requiem, s’il reste marqué par la tradition musicale de son temps, ne s’en distingue pas moins par l’émergence d’une réelle personnalité musicale : Pietro Eredia souligne dans ses chants teintés d’espérance l’émergence d’une spiritualité plus intime, peut-être plus individuelle, cherchant à toucher l’auditoire au-delà des conventions du genre. Vox Cantoris séduit par ses qualités d’interprétation, le chœur, d’une grande clarté, d’un relief jamais pris en défaut, doublé d’une belle scansion et bénéficiant d’un accompagnement instrumental certes restreint mais très attentif.
Cette résurrection nous apparaît d’autant plus touchante que son compositeur, possiblement venu en Italie tout jeune avec sa famille dans le convoi de l’infante d’Espagne et future épouse de Charles-Emmanuel Ier de Savoie (Catherine-Emmanuelle, fille de Philippe II), demeure bien peu connu. Après un apprentissage à Vercelli et à Turin, Pietro Eredia prend des fonctions à Rome, à la cour des Barberini, dont est issu par la suite le Pape Urbain VIII dont nous avons mentionné qu’Eredia mettra en musique l’un des sonnets. C’est aussi à cette époque qu’il occupe le poste d’organiste extraordinaire à Saint-Pierre de Rome, notamment aux côtés de Frescobaldi.
Avec cette parution de la Missa pro Defunctis de Pietro Eredia, l’Ensemble Vox Cantoris fait renaître une partition qui pour être oubliée n’en est pas moins significative des évolutions sensibles drainant la musique religieuse dans les premières décennies du Seicento italien. D’un premier abord un peu âpre, encore marquée par une rigueur grégorienne, la musique de Pietro Eredia laisse en effet poindre dans un charme vocal d’où émerge une profonde sérénité une appropriation de la mort moins doloriste, emplie d’espérance. Agrémenté d’un livret conséquent retraçant l’important travail de redécouverte de l’œuvre et de recréation des parties manquantes, cette parution ravira les amateurs de musique ancienne, de baroque précoce et autres explorateurs des pages oubliées d’un répertoire italien qu’on ne cesse et qu’on ne se lasse pas de découvrir.
Pierre-Damien HOUVILLE
[1] Cornet à bouquin qui progressivement relégué à la musique traditionnelle au cours du dix-huitième siècle quoique Bach l’utilise encore largement dans ses cantates, connaît un regain d’attention depuis une vingtaine d’année, le plus souvent salutaire, mais avec parfois une tendance certaine de certaines formations de nous le resservir avec des accents si enjôleurs et jazzy qu’ils en cachent les anachronismes.
Technique : enregistrement d’une belle transparence, et avec une clarté des voix à saluer.
Étiquettes : Candau Jean-Christophe, Ensemble Vox Cantoris, Eredia Pietro, Espagne, Muse : argent, musique religieuse, Pierre-Damien Houville, Psalmus Dernière modification: 2 mars 2025