Rédigé par 22 h 33 min CDs & DVDs, Critiques

Toison d’Or ! (Oh, ma belle brunette – A Nocte Temporis, Van Mechelen – Alpha)

Editions Ballard (1641-1715) : Où êtes-vous allé, mes belles amourettes, Le beau berger de Tircis.
Jacques Cochereau (1680 ? – 1734) : Plaignez-vous ma Muzette (Airs sérieux et à boire)
Editions Ballard : Taisez-vous ma Musette
Marin Marais (1656-1728) : Pièces de violes, livre III (1711) (Prélude)

Editions Ballard : L’autre jour ma Cloris.
Marin Marais, Pièces de violes, livre III (1711) : Sarabande, Gavotte en rondeau.
Editions Ballard : Je ne veux plus aimer rien.
Jacques-Martin Hotteterre (1673-1763) : L’art de préluder (1719), Prélude en sol mineur.
Editions Ballard : Sur le bord de la Seine.
Robert de Visée (1650-1725), Pièces de Théorbe et de Luth (1716) : Suite en la mineur (chaconne)
Joseph Valette de Montigny (1665-1738), Recueil d’airs sérieux et à boire (1713) : Calme mes déplaisirs
Editions Ballard :  Tu ne dois pas, jeune Lisette
François Couperin (1668-1733), VIème ordre de pièces de clavecin (1717) : Les Bergeries, Naïvement
Editions Ballard : Il étoit un Espagnol.
Jean-François Dandrieu (1682-1738), Premier livre de pièces de clavecin (1724) : le concert des oiseaux (le ramage)
Editions Ballard : Les Rossignols par leur tendre ramage.
Michel Pignolet de Monteclair (1667-1737) : Concerts pour la flute traversière (Les Tourterelles).
Monsieur de la Feronnerie, Airs sérieux et à boire (1719) : Suspendez quelques temps.

Reinoud Van Mechelen, haute-contre
Anne Besson, traverso, musette de cour
Myriam Rignol, basse de viole, dessus de viole.
Simon Linné, théorbe
Loris Barruchand, clavecin

1 CD digipack Alpha/Outhere, 2022, 71′.

 

« Où êtes-vous allé, mes belles amourettes », entonne Reinoud Van Mechelen, et d’emblée l’air de cette brunette résonne à nos oreilles. Une légèreté familière, un sentiment diffus mais bien présent que nous sommes en contrées connues. Souvenez-vous, nous les avons déjà croisées, il y a quelques mois, ces passagères pastorales bergères, qui avaient fait l’objet, toujours chez Alpha, d’un bel enregistrement par les Kapsber’s Girls, où par une espièglerie du meilleur aloi les visages des quatre interprètes disparaissaient sur la jaquette au profit des têtes un tantinet interrogatives de quatre blancs moutons.

Au sein d’une discographie bien moins touffue qu’une toison ovine, devons nous craindre la redondance, voire la redite, ou au contraire nous réjouir du regain d’intérêt pour un genre, qui pour être marginal, n’en reste pas moins un très digne intérêt de curiosité ? Si cette collusion des deux enregistrements est pour le moins savoureuse, dissipons tout rapprochement hâtif en soulignant que d’un corpus de textes puisé à la même source les interprètes osent des variations radicalement différentes.

Reinoud Van Mechelen, dont nous avions récemment dit le plus grand bien à l’occasion de son album consacré à Jéliote, Haute-contre de Rameau (Alpha, 2021) s’approprie ces textes avec un dépouillement qui confine à l’épure, magnifiant ces vers simples en en soulignant les effets par les inflexions subtiles d’une voix posée, toujours délicate, rendant sensible, le souffle et l’inspiration tout en servant à la perfection l’adéquation de la délicatesse du chant et de la finesse de l’accompagnement. Car rien n’est plus beau que la simplicité quand elle révèle l’essentiel. D’un talent assuré, le haute-contre belge nous gratifie d’un programme qui entremêle savamment airs tirés du recueil de brunettes de Christophe Balard (trois volumes pour quelques 500 textes entre 1703 et 1711), pièces musicales du début du dix-huitième siècle (à l’exemple de quelques pièces de violes de Marin Marais) et airs plus ou moins sérieux ou à boire de chansonniers aux noms oubliés. Ainsi quelques ravissements à l’exemple de ce « Plaignez-vous ma Muzette » de Jacques Cochereau (1680 ?-1734), véritable petite pastorale sublimée par l’utilisation d’une musette de cour, à la fois très présente tout en n’entamant en rien la précision de la diction et des intonations du chanteur. Haute-contre soliste à l’Académie royale de Musique, Cochereau publia quelques recueils de compositions à la postérité un peu poussiéreuse et bénéficie là d’une salutaire remise en lumière.

A l’origine chant populaire, arrangé et mis en musique, la brunette en ce début de dix-huitième siècle constitue une Arcadie, une symbiose idéal-typique de l’accord entre l’homme et la nature. Relater le complexe tricot des influences entre les arts serait aussi fastidieux que vain et nous préférerons au contraire souligner la genèse d’une tradition qui remonte au moins au XVIIème siècle, aux succès que furent en leurs temps de larges fresques héroïques de L’Astrée (Honoré d’Urfé, 1607), ou des œuvres de nos jours biens confidentielles, à l’image du Polexandre de Marin Le Roy de Gomberville (publié initialement en 1619), Artamène ou le Grand Cyrus (Madeleine et Georges de Scudéry, 1649) ou de celles de La Calprenède (1609-1663).

Mais il n’est pas nécessaire de se plonger dans les méandres éloignés de nos habitudes littéraires et syntaxiques pour gouter aux charmes des brunettes mis en musique. Si les textes en sont souvent plaisants, leur intérêt découle le plus souvent de leur interprétation, et de l’arrangement musical composant leur accompagnement fluide et naturel par A Nocte Temporis, faisant la part belle à la flûte, au théorbe ou encore à la guitare baroque. La musicalité guillerette n’empêche pourtant pas une certaine irrévérence à l’exemple de « Tu ne dois pas, jeune Lisette », dialogue entre un jeune amant et sa promise :

Je veux toûjours estre Lisette,
Rire & chanter est le tout pour moy ;
Si j’allois sur l’herbette
Te donner ma foy,
Aujourd’huy j’aurois ta Musette,
Je dépendrois demain de toy.

Ou encore « Il était un Espagnol », interprété a capella avec élan et une diction des plus parfaite, permettant de savourer un texte dont la teneur ne saurait ici être déflorée.

Mais au-delà du plaisir de ces brunettes évocatrices, remarquons que Reinoud Van Mechelen  a l’art de dénicher pour les pièces intermédiaires quelques belles compositions, et si nous avons déjà cité Marin Marais, Les Tourterelles tirées des Concerts pour la flûte traversière (1724) de Michel Pignolet de Montéclair, lui-même compositeur de brunettes quelques années auparavant (1695) est assurément une œuvre à découvrir, de même que ce Ramage de Jean-François Dandrieu (1724) pour traverso, évocateur et champêtre.

Ne succombant jamais aux affres, souvent répandus, d’une interprétation maniériste et exacerbée, Reinoud Van Mechelen et les musiciens qui l’accompagnent offrent avec cet enregistrement maîtrisé et pondéré du début à la fin une incursion mémorable dans un genre délaissé, invitant le mélomane curieux au délassement et à la contemplation… De quoi affronter les frimas. 

Suspendez quelque tems, suspendez,
Suspendez quelque tems, sous ces naissants feüillages,
Rossignols amoureux, vos plus tendres ramages […]
Cessez vos doux concerts ou chantez tristement ;
Que tout ressente icy ma peine & mon tourment.

Monsieur de la Feronnerie
Airs sérieux et à boire, 1719.

Pierre-Damien HOUVILLE

 

Étiquettes : , , , , , , Dernière modification: 25 mars 2024
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