« Jéliote, haute-contre de Rameau »
Jean-Philippe Rameau (1683-1764)
Hippolyte et Aricie, RCT 43
Ouverture
Air Plaisirs, doux vainqueurs
Dardanus, RCT 35 (version 1744)
Air Lieux funestes
Platée, RCT 53
Ouverture
Air Que ce séjour est agréable !
Marche pour la danse
Le Temple de la Gloire, RCT 59
Air Ces oiseaux par leur doux ramage
Castor et Pollux, RCT 32
Air Séjour de l’éternelle paix
Les Boréades, RCT 31
Air Charmes trop dangereux
Rigaudon
Entrée des Muses
Air Que l’amour embellit la vie
François Colin de Blamont (1690-1760)
Les fêtes grecques et romaines
Air pour les coureurs Les Prix que la gloire présente
François Rebel (1701-1775) et François Rancœur (1698-1787)
Scanderberg
Air Muses, je viens encor
Charles-Louis Mion (1698-1775)
Nitétis
Air Fleuve fécond
Pierre de Jéliote (1713-1797)
Zélisca
Air Ici les ris et les jeux
Jean-Marie Leclair (1697-1764)
Scylla et Glaucus
Symphonie pour la descente de Vénus
Antoine Dauvergne (1713-1797)
Les Amours de Tempé
Air Près Fleuris
Musette en rondeau, 1er et 2ème rigaudon
Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville (1711-1772)
Daphnis et Alcimadure, op.9
Air Hélas ! qui me raméno
Menuet
Poulido et Pastourélo, air du pays
Pierre-Monton Berton (1727-1780)
Erosine
Air Ce n’est pas un crime en aimant
Jean-Benjamin de la Borde (1734-1794)
Ismène et Isménias
Air Pourquoi cruel amour
Reinoud Van Mechelen, haute-contre
A Nocte Temporis
1 CD digipack, Alpha-Classics/Outhere music, 2021, 79′
Après un premier album consacré à la carrière de Louis Gaulard Dumesny (décédé en 1702), haute-contre favori de Lully, paru en 2019, le ténor aigu belge Reinoud Van Mechelen nous offre le deuxième volet d’un triptyque, cette fois centré sur Pierre de Jéliote (1713-1797). Inutile de rappeler à nos lecteurs avisés que ce fameux chanteur, également compositeur occasionnel, fut le ténor favori de Rameau, lequel lui composera un nombre important d’airs, leurs carrières se nourrissant avantageusement de cette alliance créatrice. A l’heure où pullulent les enregistrements exhumant les partitions inédites, souvent italiennes, pour contre-ténor ou castrats – avec des bonheurs variables – focaliser l’attention sur la spécificité des voix de haute-contre à la française et leur répertoire lié à la tragédie lyrique, constitue une intention louable, d’autant plus que la structure de la tragédie mise en musique rend nettement plus ardu l’extrait d’airs spectaculaires, puisqu’il s’agit d’un monolithe subtil et non d’une succession de récitatifs et de da capos fleuris… Disons-le d’emblée, ces airs pour haute-contre, auxquels Reinoud Van Mechelen rend justice avec finesse démontrent une propension toute française à la souplesse et à l’expressivité, usant d’une large palette vocale pour rendre sensibles les émotions les plus fines. D’une élocution soignée sachant s’écarter de tout maniérisme, méticuleux dans son phrasé, agile et léger dans l’expression des nuances Reinoud Van Mechelen ne peine aucunement à nous convaincre tant il possède l’une des plus belles voix actuelles de haute-contre à la française et réalise pleinement l’ambition intime de rendre à ce répertoire ses lettres de noblesse, concrétisant ainsi le souhait qu’il nous confiait dans un entretien réalisé en 2015. Certes on ne retrouvera pas la lumineuse douceur d’Howard Crook, ou l’altière noblesse de Guy de Mey, ni la fragilité de Paul Agnew, c’est un timbre à la fois plus à l’aise dans les aigus, mais aussi plus dur, presque héroïque que le Belge partage, qu’un médian chaleureux vient tempérer. On le verrait bien en preux paladins de la Jerusalem délivrée, plus qu’en courtisan poudré…
La carrière de Pierre de Jéliote (dont l’orthographe du nom varie tellement selon les lieux et les époques que nous nous en tiendrons à celle adoptée en exergue du présent enregistrement), est ainsi revisitée de manière chronologique, didactique, d’aucuns diront un brin scolaire, mais permettant de souligner les évolutions d’une carrière s’étalant sur plus de trente ans (environ de 1735 à 1765) et accompagnant des décennies parmi les plus inspirantes de la musique française. Pyrénéen de naissance, formé à Toulouse, Jéliote débute au Concert Spirituel en 1733 dans Hyppolyte et Aricie, première tragédie lyrique de Jean-Philippe Rameau, dont nous retrouvons ici, outre l’ouverture, l’air Plaisirs, doux vainqueurs, dans lequel Reinoud Van Mechelen expose déjà brillamment une voix fluide et posée, claire. Il ne se dépareillera pas de cette belle et vigoureuse dextérité tout au long d’un enregistrement qui sera aussi l’occasion d’incursion appropriées chez des compositeurs plus obscurs du répertoire de la musique française de ce premier dix-huitième, à l’exemple des jolies variations de l’air Muses, je viens encor, tiré du Scanderberg composé à quatre mains par François Rebel (1701-1775) et François Francoeur (1698-1787) en l’honneur du héros national albanais.
Portrait présumé de Pierre de Jéliote, attribué à Henri-Pierre Danloux (1753-1809).
93 x 75 cm. Source Wikimedia commons
Engagé à l’Académie royale de musique dès 1733 suite aux prestations citées chez Rameau, Jéliote y trouve des airs plus consistants dans lesquels s’épanouit son talent à l’exemple de ce Fleuve fécond tiré du Ninetis de Charles Louis Mion (1698-1775) dans lequel Reinoud Van Mechelen excelle, exposant toute l’amplitude de sa voix, capable des plus subtiles variations et sachant aussi être d’une émouvante gravité, tout comme dans l’air qui suit, le plus connu Lieux funestes tiré du Dardanus de Rameau, où il apparaît d’une parfaite sobriété, avec une voix qui pour être plaintive au sens le plus noble du terme, ne dégage pas moins une émotion parfaitement maîtrisée. La décennie comprise entre 1740 et 1750 est assurément faste pour Jéliote qui trouve à cette époque nombre de grands airs où son talent s’épanouit et repris avec une proximité et une complicité non dénuée d’humour par Reinoud Van Mechelen, à l’exemple des pétillants changements de registre et de la dextérité dont il s’avère capable dans Que ce séjour est agréable tiré du Platée de Rameau. Jéliote jouit alors d’une très grande popularité dans les cercles musicaux de la capitale, au point de se lancer lui-même dans la composition de certains de ces airs, à l’exemple de l’enjoué Ici les ris et les jeux, tiré de Zélisca, une comédie-ballet composée en 1746 pour le mariage du dauphin.
Auréolé d’une gloire qui n’a d’égale que l’étendue de son talent, Jéliote poursuit une brillante carrière tout au long de la décennie 1750, particulièrement apprécié de Rameau duquel Reinoud Van Mechelen reprend le champêtre et léger Ces Oiseaux par leur doux ramage, du Temple de la gloire, même si l’on regrettera une voix un peu en retrait sur cet air, ou encore Que l’amour embellit la vie issu des Boréades, magnifique de par ses émouvantes variations, sans s’interdire des incursions chez d’autres compositeurs, à l’exemple de Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville (1711-1772) dont sont repris deux très beaux airs issus de Daphnis et Alcimadure, Hélas ! qui me raméno et le léger et pastoral Poulido Pastourelo, étonnant par son dépouillement.
Alors bien sûr, nous pourrions émettre quelques réserves, consistant notamment à trouver l’accompagnement dorchestral d’A Nocte Temporis parfois un peu convenu, légèrement figé dans sa rythmique et forçant un peu sur les cuivres (notamment sur Les prix que la gloire présente, tiré des Fêtes grecques et romaines de François Colin de Blamont), comme voulant surligner une emphase de cour. Mais que ces quelques égarements très momentanés ne nous empêchent d’apprécier à sa juste mesure cet enregistrement consacré tout entier à remettre en lumières la carrière de Pierre de Jéliote et d’attendre avec impatience, le troisième volet, annoncé autour de celle de Joseph Legros (1739-1793), associé à Gluck.
Pierre-Damien HOUVILLE
Technique : captation équilibrée et claire.
Étiquettes : Alpha, Jean-Philippe Rameau, Muse : argent, Outhere, Pierre-Damien Houville, van Mechelen Reinoud Dernière modification: 25 mars 2024
[…] dont nous avions récemment dit le plus grand bien à l’occasion de son album consacré à Jéliote, Haute-contre de Rameau (Alpha, 2021) s’approprie ces textes avec un dépouillement qui confine à l’épure, magnifiant […]
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