Rédigé par 8 h 04 min CDs & DVDs, Critiques

La sœur me fit fauter (La Sorella mi fa fallare, Uccellini, Ozio Regio – Seulétoile)

« La Sorella mi fa fallare »

Bernardo Pasquani : Toccata, quito tuono,
Marco Uccellini : Sonata overo Canzone 18 a quattro, op.7 ; Sonata 11 a due, La Leona, op.3 ; Sonata 28 a tre, op.4 ; Sonata 9, op.5 ; Sonata 15 a tre, La Sorella mi fa fallare, op.3, Marco Uccellini,
Luigi Battiferri : Ricercaro 8 con tre soggetti, ; Aria 4 sopra la Ciaccona, op.3,
Marco Uccellini : Sonata 12, op.5, Marco Uccellini,
Luigi Battiferri : Ricercaro 12 con sei soggetti, Luigi Battiferri
Marco Uccellini : Sonata 12 a tre, La Tartaruca sopra Iste Confessor in Canone, op.3 ; Sonata 10, op.5, Marco Uccellini ; Sonata 16 a tre, La Vendramina, op.3
Bernardo Pasquani : Ricercare, secondo tuono
Marco Uccellini : Sonata 26 sopra la Prosperina, a tre, op.4, ; Aria 15 sopra la Scatola da gli aghi, op.4, Marco Uccellini ; Sonata overo Canzone 20 a quattro, op.7, Marco Uccellini

Ensemble Ozio Regio :
Anaëlle Blanc-Verdin, violon
Sarah Dubus, cornet à bouquin et flûte à bec
Jean-Baptiste Valfré, violoncelle
Mathieu Valfré, orgue et clavecin

avec la participation de Jérôme van Waerbecke (violon), Nicolas Vasquez (sacqueboute) et Arnaud De Pasquale (orgue et clavecin)

Seule Etoile, enr. 2022, 57′.

Confessons une appétence assez mesurée pour les jeux de mots à base d’association de notes de musiques. Notre sourire devient narquois quand nous croisons en province une maison dénommée Domicile adoré, et la consternation nous guette devant tout titre commençant par Facile à… Même le célèbre Fado de Louise de Vilmorin, entièrement composé sur ce principe nous laisse un peu froid. Plus taquin et charmant s’avère le calembour tout en second degrés du titre de cet enregistrement, « La Sorella mi la fallare », que nos lecteurs pratiquant de la langue de Dante n’auront pas tardé à traduire par « La sœur me fit fauter », et nous laissons à chacun le soin de mettre ou non un S majuscule à sœur, pour encore enrichir les connotations possibles de cette association composée des notes (la, sol, ré, la, mi, fa, fa, la , ré) du thème de la Sonata 15 a tre, op.3 de Marco Uccellini, compositeur auquel ce disque est très largement consacré.

Le Seicento italien apparaît comme une source quasi inépuisable de compositeurs ayant marqué de leur empreinte l’histoire des compositions musicales, apportant leur touche à une histoire des formes musicales et des instrumentations en perpétuelle effusion dans la péninsule. L’ensemble Ozio Regio, composé de quatre musiciens tous issus du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon (CNMSD) et dont ce disque constitue le premier enregistrement, n’a pas choisi la facilité en proposant un programme centré essentiellement autour de la figure de Marco Uccellini, né selon les sources en 1603 ou 1610 à Forlimpopoli (Emilie-Romagne, entre Forli et Cesena) et décédé avec plus de certitude en septembre 1680. Etudiant au séminaire d’Assise où il est ordonné prêtre en 1635, formé au violon, il poursuit après son ordination une carrière à la cour d’Este à Modène auprès de François Ier d’Este, avant de rejoindre, après 1665 la cour des Farnese à Parme et cela jusqu’à son décès.

Contemporain de l’affirmation du violon en tant qu’instrument soliste, Uccellini est de ceux qui contribuent à en perfectionner la technique et en révéler la large gamme chromatique, introduisant notamment l’usage de la sixième position d’archet, lui permettant d’accentuer les notes aiguës de l’instrument. C’est aussi a priori le premier au sein de la péninsule italienne à développer l’usage de la scordatura, technique déjà usitée avant lui dans les régions allemandes. Malgré un apport ô combien notable à l’histoire du violon, Marco Uccellini n’a pas bénéficié d’une postérité notable, sauf chez les violonistes. Il pâtit sans doute du fait que nombre de ses œuvres soient considérées comme perdues, seules vingt-deux sonates pour violon nous étant parvenues, dont aucune de son premier opus, intégralement perdu.

Notre quatuor de jeunes musiciens, Anaëlle Blanc-Verdin au violon, Sarah Dubus au cornet à bouquin et à la flûte, Mathieu Valfré à l’orgue et au clavecin et Jean-Baptiste Valfré au violoncelle ne cachent pas leur admiration pour l’œuvre d’Uccellini, l’ensemble tirant même son nom du titre du septième des neuf opus de ce dernier, Ozio Regio (1660), que l’on peut traduire, là aussi avec un degré de malice dont nous vous laissons juges, par oisiveté royale. Comme nombre de compositions du début du dix-septième siècle, écrite pour instrument soliste et basse continue, la musique d’Uccellini laisse la liberté d’une certaine variation dans les effectifs, permettant notamment à l’ensemble Ozio Regio de composer une palette sonore à l’identité propre, élargissant le spectre des couleurs et déclinant le continuo sous des formes diverses, privilégiant le clavecin ou l’orgue seul, parfois le clavecin et le violoncelle, ou associant clavecin et orgue. Notons à ce titre que l’enregistrement du disque s’est déroulé à l’abbaye de Saint-Amant-de-Boixe (Charente), inscrite sur la liste initiale des monuments historiques dès 1840, est dotée d’un orgue de la manufacture Blumenroeder de Haguenau.

De la douzaine de sonates exécutées par l’ensemble, toutes brèves dans leur structure, souvent entre trois et quatre minutes, nous retiendrons en particulier la Sonata 12 a tre, issue de l’opus 3 (1642) sur laquelle s’exprime harmonieusement le goût prononcé de Uccellini pour les notes pointées sur les aigus, le tout sur l’une des compositions les plus architecturées du disque, de même que l’Aria 4 sopra la Ciaccona, lui aussi très représentatif du style d’Uccellini et de sa volonté d’exposer toutes les capacités de l’instrument, en cela avant d’autres compositeurs tels que Johann Heinrich Schmelzer (1623-1680) et Heinrich Biber (1644-1704), que nous avons récemment croisés, à l’occasion des derniers enregistrements de Chouchane Siranossian. Un Marco Uccellini qui sait aussi se faire plus tendu, mélancolique et aborder toutes les qualités expressives de l’instrument, à l’exemple de sa Sonata 9, tirée de l’Opus 5, assez révélatrice en la matière et que les musiciens abordent avec aisance et naturel.

Au-delà des qualités propres des compositions d’Uccellini pour le violon, louons aussi la capacité de l’ensemble Ozio Regio à enrichir la palette des couleurs déployées dans les œuvres du compositeur par la mise en exergue d’autres instruments dans les morceaux exécutés. Un cornet souple en enlevé comme sur la Sonata 11 a due la Leona, issue de l’Opus 3, ou une flûte tendrement boisée, chaude, comme sur cette Sonata 28 a tre, de l’Opus 4 de Marco Uccellini. C’est encore un cornet à bouquin, dansant et expressif, qui vient auréoler la Sonata 15 a tre, de l’Opus 3 et éponyme du titre de l’enregistrement, et que l’on retrouvera avec le même entrain sur la Sonata 16 a tre, la Vendramina (Opus 3).

Ne souhaitant pas se cantonner exclusivement à l’œuvre de Marco Uccellini, l’ensemble Ozio Regio s’autorise pour notre plus grand plaisir quelques incursions chez des contemporains, comme autant de digressions fort appropriées permettant de faire entendre en soliste l’orgue ou le clavecin. Et c’est l’orgue de l’abbaye de Saint-Amant-de Boixe qui a ainsi l’honneur d’ouvrir l’enregistrement, faisant resonner une Toccata, quinto tuono de Bernardo Pasquini (1637-1710), originaire des environs de Pistoia mais ayant fait l’essentiel de sa carrière à Ferrare et Rome, dont est donné également un plus conventionnel Ricercare, secondo tuono en fin d’enregistrement. Le clavecin est lui mis en majesté, avec un jeu tempéré et aérien tout à fait approprié de Mathieu Valfré, sur deux courtes œuvres signées par Luigi Battiferri (vers 1600-1682), un Ricercaro 8 con tre soggetti et un Ricercaro 12 con sei soggetti.

Avec ce premier enregistrement l’ensemble Ozio Regio part à la découverte d’un Marco Uccellini précurseur du violon soliste en Italie, délivrant une interprétation aussi personnelle que respectueuse, formant un quatuor cohérent auquel s’agrègent quelques invités pour nous refaire vivre quelques pages essentielles du Seicento italien. Un sans-faute !

 

                                                                                              Pierre-Damien HOUVILLE

 

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