Rédigé par 22 h 35 min Concerts, Critiques

Carnet de Festival (3) : Miracolo d’Amore avec l’Arpeggiatta (Ambronay, 25 Septembre 2021)

“La musique donne une âme à nos cœurs et des ailes à la pensée” (Platon)

L’Abbaye d’Ambronay © Muse Baroque, 2021

Dernière journée à Ambronay. Elle aurait dû être grisâtre et pluvieuse mais les Dieux furent cléments. Nous nous joignons à une visite de l’Abbaye au Bourg, qui permet de sortir de notre autarcie musicale. L’on apprend l’histoire troublée de cette Abbaye fondée par un moine irlandais vers 800 (précisément en 797 selon le Gallia Christiana), puis monastère bénédictin indépendant, dépendant directement du Vatican, comme le confirme une bulle de 1051 de Léon IX. Et l’on découvre que les deux tours des archives et Dauphine font en réalité partie d’un véritable complexe castral car l’abbaye fut une proie des guerres delphino-savoyardes et dû se placer sous la protection de Philippe Ier de Savoie au XIIIème siècle. C’est lui qui commence à ériger les fortifications de la cité et du monastère. Heureusement, puisqu’en 1305, l’abbaye est assiégée les troupes pro-delphinoises envoyées par l’archevêque de Lyon, Louis de Villars. Et les guerres et pillages se succèdent : en 1310, les défenses de la ville sont incendiées ; en 1341, trois jours après la Pentecôte, la moitié d’Ambronay flambe… En 1601, l’abbaye est rattachée au royaume de France ; en 1652, Biron arase la tour Dauphine, mais l’abbaye passe ensuite entre les mains de la congrégation de Saint-Maur et connaît alors une nouvelle renaissance. De cette époque fastueuse datent des bâtiments conventuels, le bel escalier de pierre et son plafond à caissons, le second étage toscan du cloître… L’on passera un voile pudique sur les aléa révolutionnaires puis postrévolutionnaires : l’église devient temple de la Raison, le clocher est abattu, puis le monastère devient tout à tour grange, prison, école, bâtiment de garnison, enfin plus récemment logements sociaux et fromagerie… Ce sera une lente reconquête grâce à la fondation du festival en 1980, le centre culturel de rencontre depuis 2003, la vaste campagne de restauration depuis 2007 menée par l’État et la région Rhône-Alpes… Mais déjà le petit groupe gambade à travers le bourg de cet aimable village sous l’égide d’une éloquente guide. On apprend qu’Ambronay prit son aspect actuel depuis le XVIIIème siècle avec le percement de la grand-rue principale. Au fur et à mesure de la déambulation, on admire ainsi pêle-mêle l’enseigne du maréchal-ferrant, l’un des deux moulins à eau (toujours fonctionnel mais bruyant), une ancienne porte de fortifiée dont il subsiste les jambages de pierre, une charpente d’époque du type dit “à bascule”. On contemple l’ancienne plaine, vide, où s’élevait jadis le gigantesque camp militaire qui en 1916 alimentait le front en pains. Enfin, fourbus, nous revenons vers la mairie, qui jouxte l’abbaye. Il s’agit de l’ancien château des Blains avec sa tour ronde, son escalier monumental. D’ailleurs le bureau du maire comprend des boiseries retaillées des dossiers des stalles de l’Abbatiale. Un joli dessin faisant mieux qu’un long discours, nous invitons nos lecteurs à feuilleter notre portfolio (cliquez pour agrandir les clichés et les faire défiler) :

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Mais voici déjà l’heure du dernier concert de ce week-end…

Christina Pluhar & Valer Barna Sabadus © Bertrand Pichène / CCR d’Ambronay, 2021.

Miracolo d’Amore
Airs extraits d’opéras d’Antonio Cesti, Pietro Andrea Ziani, Francesco Cavalli, Giovanni Felice Sances, Andrea Falconiero, Claudio Monteverdi…

Valer Sabadus, contre-ténor
L’Arpeggiata :
Doron David Sherwin, cornet à bouquin,
Jesus Merino Ruiz, violon baroque
Josep Maria Marti Duran, théorbe & guitare baroque
Rodney Prada, viole de gambe
Sergey Saprychev, percussions
Dani Espasa, clavecin & orgue
Christina Pluhar, théorbe et direction
Abbatiale d’Ambronay, 17h00

C’est un concert plaisir, un concert Nutella, le concert “sérieux mais pas trop” qui conclut en beauté cette escapade à Ambronay. Le programme est construit dans le même esprit que le fameux récital mythique de l’Arpeggiata, le célèbre Teatro d’Amore (Virgin). On y retouve cette patte particulière, un concentré jouissif et jazzy, tantôt “swinguant”, tantôt poétique et tendre, mais rassemblant cette fois-ci un aéropage de compositeurs italiens de la première moitié du Seicento, au-delà des seules œuvres de Monteverdi. Alors oui, les puristes (dont nous sommes) haussent de temps à autres les sourcils devant les improvisations dignes de Miles Davis qu’ose le cornet virtuose de Doron Sherwin, s’étonnent du trop long hors-pistes oriental soliste de Sergey Saprychev aux percussions omniprésentes. Mais l’essentiel se niche dans cette jubilation colorée, et ce plaisir musical décomplexé, sans arrière-pensées. Le timbre chaleureux, la projection fière, l’œil malicieux, Valer Barna-Sabadus – qui paraît sans cesse prêt à danser ou claque des doigts – transporte le florilège et emporte l’auditeur dans un climat festif bouillonnant que l’Arpeggiata tisse à grands  renforts de cordes pincées et d’attaques bondissantes. Une ligne mélodique souple, un peu emphatique enveloppe la berceuse du “Dormite, o pupille” de Pietro Ziani, tandis que le “Brando Le Spiritillo” instrumental d’Andrea Falconiero s’avère très démonstratif, presque villageois, avec son sautillant tambourin . On avouera un faible pour des pièces scintillantes mais plus sobres à l’instar du “Venite, scientes” montéverdien, très intense, ou pour le burlesque “Ninfa bella” air du satyre, extrait de la Calisto de Cavalli, qui voit le contre-ténor s’amuser et jongler de notes en notes en surjouant d’un timbre nasillard comique . Enfin, le premier bis permit d’entendre un absent très attendu : le tube “Si dolce è il tormento” de Monteverdi, à la sensualité ronde. Aux salves d’applaudissements d’un public conquis succèdent hélas les foudres de l’orage qui nous rappellent sur le chemin de Paris, en attendant de revenir l’an prochain goûter les douceurs musicales de ce lieu pas tout à fait comme les autres.

 

Viet-Linh NGUYEN

Fin de ces carnets de festival

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