Rédigé par 12 h 16 min Concerts, Critiques

Carnets de Festival (3) : Quelques airs d’Outre-Manche : Prisma, Ora Singers, Suzi Digby (Ambronay, 1er octobre 2023)

Ensemble Prisma© Bertrand Pichène

“Streets of London”

John Playford (1623-1686/87)
Hornpipe
Johnny, cock thy Beaver (from, The Division Violin)
Newcastle (from : The Dancing Master)

Musiques Traditionnelles du Royaume-Uni
Trip it upstairs
My wifs’s a wanton wee thing
The 9th of July
Dusty windowsills
Archibald McDonald of Keppoch
Daphne (from : The Dancing Master)
The star of County Down / Musical priest
Cooleys-Swallowtail jig

John Playford
All in a garden green

Henry Purcell (1659-1695)
If love’s a sweet passion
Hornpipe 1&2 (from The Fairy Queen)

Ralph McTell (né en 1944)
Streets of London

Musique Traditionnelle du Royaume-Uni
Carolan’s Draught

Thoams Ford (1580-1648)
Cate of Bardie

Henry Purcell
Music for a while

John Eccles (1668-1735)
Ground (from The Mad Lover)

Henry Purcell
Curtain Tune
Dido’s Lament – The plaint

Musiques traditionnelles du Royaume-Uni
Skye Boat Song
Neil Gow’s Lament
Danny Boy (Londonderry Air)
The sailor’s wife
Jenny’s wedding
The green fields
Kerry Reel
Tatter Jack Walsh

Ensemble Prisma :
Franciska Anna Hajdu, violon
Elisabeth Champollion, flûte à bec
Alon Sariel, mandoline et luth
Soma Salat-Zakarias, viole de gambe
Dimanche 1er octobre, Abbatiale d’Ambronay, 11h00.

Si vous recherchiez la fraicheur, la spontanéité, la joie de vivre et l’art d’entremêler les œuvres et les époques, c’est bien au concert de l’ensemble Prisma donné le dimanche matin qu’il fallait être. Un retour à Ambronay pour les quatre musiciens, invités réguliers du festival, et qui firent une résidence formatrice au sein de l’abbaye au début de l’année 2016.

Quatre musiciens d’origines diverses (française, allemande, hongroise et israélienne) et une musique enjouée dont les divers enregistrements ont montré la capacité à mêler dans une même synergie entraînante musique savante et musique populaire venues des diverses contrées de l’Europe, avec une prédilection pour les thèmes du seizième et dix-septième siècles (cf. les enregistrements Seasons et Il Transilvano, tous les deux chez Ambronay Editions).

C’est aujourd’hui avec de larges extraits de leur dernier enregistrement In the Streets of London (Outhere) qu’ils nous reviennent, justement sous-titré A Musical 17th Century Pub Tour, mais reprenant le titre de l’un des morceaux joués, le quasi éponyme Streets of London (1969), classique de la folk song composé par Ralph McTell (né en 1944), standard outre-manche et en Allemagne curieusement moins connu dans nos contrées. L’ensemble, emmené par Elisabeth Champollion à la flûte avec une joie et une vivacité communicatives revisite, au-delà du thème du titre (prouvant au passage que, bien faite, la symbiose entre thèmes contemporains et musique ancienne est tout à fait possible) revisite les multiples aspects de la musique populaire londonienne issue des tourments de la deuxième guerre civile (1648-1652), celle qui vit la décapitation de Charles Ier et la proclamation de la République (dite Commonwealth d’Angleterre). Une période forcement trouble, marquée par la fermeture temporaire mais durable de nombreuses institutions de spectacle et de musique. En découlera une étonnante vitalité de la musique de rue, de tavernes, avec de nombreuses reprises ou adaptations de thèmes issus de la musique savante, ou des compositeurs contemporains qui, réduits au chômage, se mettent à composer des airs plus populaires. Une vitalité anglaise de ce type de répertoire qui perdurera dans les décennies suivantes et que Prisma révèle avec une boulimie jouissive et naturelle, une souplesse lumineuse et pulsante et une attention aux couleurs remarquée.

L’occasion donc de savourer quelques airs exécutés avec une énergie de taverne embuée par nos quatre musiciens, à l’exemple de ce Johnny, cock thy Beaver de John Playford (1623-1686/87), un extrait de son recueil The Division Violin (1685) où après une mélodieuse et élégante introduction à la flûte, se révèle le violon, virtuose et aux attaques contrastées de Franciska Anna Hajdu. Un premier grand moment de grâce, avant que ne s’enchaînent, outre quelques extraits de The English Dancing Master, autre recueil célèbre de John Playford, incontournable de la contredanse qui irriguera tout un pan de la musique populaire britannique (et nord-américaine par la suite), une belle suite d’airs traditionnels de laquelle ressort encore un solo de violon, l’imparable Cooleys-Swallowtail jig.  

Prenant un plaisir visible à jouer et ayant réveillé le public encore un peu embrumé du dimanche matin, les quatre jeunes musiciens de l’ensemble Prisma s’offrent quelques détours du côté de chez Henry Purcell (1659-1695), le temps d’un If love’s a sweet passion et de deux matelotes (hornpipe en anglais) extraites de The Fairy Queen.

Relevons encore quelques intrusions dans les œuvres de Thomas Ford (1580-1648) et de John Eccles (1668-1735) qui composa beaucoup de musique de cour avant que notre quatuor ne termine par une nouvelle salve d’airs traditionnels où l’on notera la présence, pas forcément historiquement informée, mais toujours pertinente de la mandoline et du luth de Alon Sariel, autre très bel atout d’un ensemble qui aura réussi à conquérir le public matinal d’Ambronay avec un répertoire démontrant le lien gordien dans la musique anglaise du second dix-septième siècle entre compositeurs établis et thèmes populaires. Une indéniable réussite !

Ora Singers © Bertrand Pichène

Les grands chœurs de la Renaissance

Gregorio Allegri (1582-1652)
Miserere,
Tomas Luis de Victoria (1548-1611)
Ave Maria à 8,
Mark Simpson (né en 1988)
Ave Maria,
Joao Lourenço Rebelo (1610-1655)
Panis Angelicus,
Pierre Villette (1926-1998)
Panis Angelicus,
Giovanni Pierluigi Da Palestrina (1525-1594)
Assumpta est Maria,
David Bednall (né en 1979)
Assumpta est Maria,
Alma Redemptoris Mater,
Cecilia McDowall (né en 1951)
Alma Redemptoris Mater,
Orlando de Lassus (1532-1594)
Timor et Tremor
Francis Poulenc (1899-1963)
Tristis Est Anima Mea (extrait des 4 motets pour un temps de pénitence),
Francisco Guerrero (1528-1599)
Tota Pulchra Es Maria,
John Barber (né en 1980)
Sicut Ilium,
James MacMillan (né en 1959)
Miserere

ORA Singers
Suzi Digby, direction
Dimanche 1er octobre, Abbatiale d’Ambronay, 15h00.

Encore un retour pour clôturer ce troisième week-end de festival. Non pas celui de Télémaque s’étant extrait des rivages d’Ogygie, mais celui de Suzi Digby et de son chœur, les ORA Singers, qui pour leur premier concert en France l’année dernière avaient emporté le public du festival avec Reines de Chœur, un programme essentiellement consacré aux œuvres chorales et madrigaux anglais du dix-septième siècle. Le chœur a capella de Suzi Digby, d’une précision et d’une finesse de timbre envoutantes avaient en une prestation marqué les esprits et emporté tous les suffrages.

Retour donc, pour une seconde année consécutive, cette fois avec un programme dédié aux grands chœurs de la Renaissance, où se croisent chantres de la musique chorales de la Renaissance européenne (incontournables Palestrina, Guerrero), en résonnance avec des compositeurs plus contemporains (Francis Poulenc, Pierre Villette et quelques autres), comme une revue, mais aussi un passage de témoin et l’exposition d’un art du chœur classique qui perdure et s’épanouit, particulièrement dans la musique anglaise.

Un retour à Ambronay pour Suzi Digby, toujours en grâces, dont l’unique reproche que nous pourrions lui faire serait d’avoir placé le Miserere de Gregorio Allegri (1582-1652) en entame de son programme, d’une exécution si parfaite, si envoutante, d’une épure extatique qui hypnotise le public de l’abbatiale, l’enserrant pour ne plus le lâcher jusqu’à la fin du concert.

Se retrouve chez les Ora Singers cet art du placement, placement physique des choristes au sein de l’abbatiale, placement de la voix, en alliances et superpositions, que la cheffe britannique dirige à la main et au regard, avec une précision confondante, maîtrisant l’espace et le son, laissant les voix de ses choristes emplir les voutes de l’abbatiale et doucement s’évanouir avant d’entamer une nouvelle œuvre.

Autant dire sans ambages que nous avons été conquis, non seulement par le Miserere (vers 1638) d’Allegri, œuvre phare et charnière, à la fois héritage de la polyphonie de Palestrina et d’une modernité mélodique toute baroque, mais aussi par tout un programme qui joue habilement de la juxtaposition d’œuvres de compositeurs d’époque différentes, à l’exemple de cet Ave Maria à 8 de Tomas Luis de Victoria (1548-1611) aux lignes vocales d’une émouvante douceur et d’une limpidité gracieuse, enchainé avec l’Ave Maria de Mark Simpson (né en 1988), non moins appréciable, mais d’un dépouillement et d’une intériorité forcément plus contemporaine.

Une présence de compositeurs contemporains révélatrice de bien des talents, et parmi lesquels nous soulignerons cet Assumpta est Maria de David Bednall (né en 1979), avec une très belle entrée en rythme des différents choristes et une œuvre qui se singularise par une structure très élaborée, symptomatique d’un art choral encore parfaitement maîtrisé de l’autre côté de la Manche.

C’est de cette œuvre, toute dédiée au culte marial, que peut être mise en regard l’Assumpta est Maria de Giovanni Pierluigi Da Palestrina (1525-1594), compositeur incontournable du genre polyphonique, nous offrant avec ce morceau un témoignage archétypal de son art de l’enchevêtrement des lignes, comme une référence, forcement un point de comparaison pour toute la musique vocale lui succédant.

C’est notamment le cas de son contemporain espagnol Francisco Guerrero (1528-1599) (cf. le compte-rendu du disque qui lui fut consacré par Le Banquet du Roy) dont le Tota Pulchra Es Maria, aux tonalités presque champêtres tranche forcément avec la rigueur de style de l’italien.

Suzi Digby et les Ora Singers, avec ce panel d’œuvres qui subtilement se répondent, dresse un tableau séduisant de la musique chorale, emportant pour la deuxième année consécutive le public d’Ambronay. Souhaitons que ces deux réussites soient pour l’ensemble britannique (dont les enregistrements sont à retrouver chez Harmonia Mundi) le prélude à d’autres concerts en France.

 

                                                                                              Pierre-Damien HOUVILLE

 

Étiquettes : , , , Dernière modification: 18 octobre 2023
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