Rédigé par 17 h 11 min CDs & DVDs, Critiques

"L’Art de toucher le clavecin"

Pour son deuxième disque soliste, Violaine Cochard préfère nous toucher que nous surprendre : le premier était consacré à Couperin, le second… aussi ! Et c’est avec grand plaisir qu’on la retrouve dans ce répertoire qui lui convient si bien.

François COUPERIN dit Le Grand (1668-1733)

Ordres pour clavecin 2, 4, 9 & 11
2ème et 4ème Préludes de l’Art de toucher le clavecin

 

Violaine Cochard, clavecin (avec Pierre Hantaï pour l’Allemande à deux clavecins du 9ème Ordre)

2 Cds, Amboisie, 2008

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Pour son deuxième disque soliste, Violaine Cochard préfère nous toucher que nous surprendre : le premier était consacré à Couperin, le second… aussi ! Et c’est avec grand plaisir qu’on la retrouve dans ce répertoire qui lui convient si bien.

Dans un temps où les uns vont vers les intégrales et les autres ne gardent que quelques pièces, Violaine Cochard choisit de donner des ordres en entier, sauvant ainsi la cohérence interne de ces suites qui n’en ont pas le nom sans écraser sous la masse d’une dizaine de disques. Le choix lui-même est cohérent. Les « Fastes de la Grande et Ancienne Mxnxstrxndxsx » du 11ème Ordre (CD 2) semblent répondre aux « Bacanales » du court 4ème (CD 1).

La pochette – par ailleurs d’un goût discutable – met l’accent sur les indications de Couperin, ces « gayement », « sans lenteur », « naïvement », « gracieusement », « nonchalamment » qui frappent tant le moderne, plus habitués à de moins originaux « allegro » et « adagio ». À l’écoute, on découvre avec un plaisir constant tout ce qu’on peut mettre derrière ces expressions, on découvre que les titres ne nous apprennent pas grand’ chose et que la musique en dit souvent bien plus qu’eux. Ainsi, qu’est-ce que la « Marche des Gris-vêtus » ? Qui sont ces « Gris-vêtus » ? Couperin indique « pesamment, sans lenteur », comme il convient à une marche. La musique nous montre des personnages quelque peu hautains mais peu subtils, lourdauds.

Parfois, la musique et le titre se font écho, comme par exemple dans les « Tendresses bachiques » (CD 1, piste 28), où la main droite semble illustrer « tendresse » et la gauche « bachique », toutes deux se retrouvant dans l’hésitation. Et les « Fureurs bachiques » ne sont pas sans évoquer ces Parodies bachiques et Nouvelles parodies bachiques que publie Ballard en plus des tragédies de Lully et Quinault à la fin du XVIIème siècle : elles nous peignent une auberge :

« Laquais, verse-moy du vin promptement,
Ne vois-tu pas que mon bras se lasse ?
Dois-tu pas pour appaiser mon tourment,
Prendre le soin de remplir à tout moment ma tasse ? »

Mais l’Art de Violaine Cochard est de nous faire sentir que la palette des sentiments est vaste au Grand Siècle et qu’on peut être « affectueu[x] » de mille manière différentes : soit très tendre, comme dans « La Mimi » (CD 1, piste 20), soit plus entreprenant(e), « La Flateuse » (CD 1, piste 22), soit naïf, « Les Graces Naturèles » (CD 2, piste 13). Avec une registration qui varie très peu, ce qui est assez bienvenu, le toucher sait se faire… affectueux, justement ! Il est plus puissant dans certaines danses (Passepied et Rigaudon, CD 1, pistes 10 et 11). Mais ce qui séduit le plus, c’est cet art subtil du petit retardement : les notes ne sont pas toujours là où le métronomes les mettrait. C’est là que s’arrête l’art au sens ancien (qui est la technique) et où commence l’art au sens moderne : le XVIIème et le XVIIIème siècles voient les deux sens se mêler, et Violaine Cochard, aujourd’hui, les maîtrise tous deux.[divide]

Et quel sens du théâtre dans cette « Mxnxstrxndxsx » tant de fois entendue ! Ne croit-on pas voir ces « viéleux et [c]es gueux » au profil bas dans le « Deuxième Acte » ? Et ces « Invalides et gens estropiés » nous font sentir plus d’inquiétude que de compassion. D’ailleurs, pour fuir si vite dans le « Cinquième Acte : Désordre et Déroute de toute la troupe », il faut bien que leurs maux fussent feints ! On regrettera seulement le livret, tout bonnement inintéressant. Peut-être un éclairage plus précis sur certaines pièces (autres que la « Mxnxstrxndxsx ») eût-il appréciable. Sans imposer une vision radicalement nouvelle par rapport à ces prédécesseur, Violaine Cochard, la Fée du clavecin, aborde ces pièces avec une fraîcheur perpétuelle que l’on retrouve à chaque écoute, ce qui n’est pas une mince affaire. Pari réussi : cela ne nous surprend pas de sa part, mais cela nous touche.

Loïc Chahine

Technique : prise de son claire et spatialisée

Étiquettes : , , , , , , Dernière modification: 11 juillet 2014
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