Archangelo CORELLI & Jean-Baptiste QUENTIN
Sonates pour flûte
Jean-Baptiste Quentin dit le Jeune (vers 1690-vers 1742)
Sonata Sexta du IIIème livre de sonates à violon seul et basse continue
Sonata X du IIIème livre de sonates à violon seul et basse continue (Largo)
Arcangelo Corelli (1653-1713)
Sonata IV du cinquième œuvre ajustée à la flûte traversière avec la basse,
Jean-Baptiste Quentin
Sonata seconda du IIIème livre de sonates à violon seul et basse continue (Andante)
Sonata IIII des sonates à violon ou flûte seule avec basse continue œuvre 14
Arcangelo Corelli
Sonata III du cinquième œuvre ajustée à la flûte traversière avec la basse
Jean-Baptiste Quentin
Sonata decima du IIIème livre de sonates à violon seul et basse continue (Largo)
Arcangelo Corelli
Sonata V du cinquième œuvre ajustée à la flûte traversière avec la basse
Jean-Baptiste Quentin
Sonata quarta du IIIème livre de sonates à violon seul avec la basse continue
Anna Besson, flûte
Myriam Rignol, viole de gambe
Jean Rondeau, clavecin et orgue
1 CD digipack, Alpha / Outhere, 2023, 74’32
Une fois n’est pas coutume, commençons notre propos par une double digression cinématographique, Arcangelo Corelli, compositeur auquel est consacré l’essentiel du programme de ce disque, réalisant l’exploit, dont il se serait surement bien passé, de compter parmi les compositeurs baroques cités à fort mauvais escient dans l’histoire du cinéma. Sorti en France en 2001 Capitaine Corelli (réalisé par John Madden) est l’adaptation du roman La Mandoline du Capitaine Corelli (écrit par Louis de Bernières en 1993). Le capitaine Corelli, adepte de la mandoline (!), officier de l’armée italienne durant la Seconde Guerre Mondiale et dont le film laisse entendre vaguement qu’il pourrait être descendant du compositeur italien, séduit la fille du docteur de l’île grecque sur laquelle il est en garnison. Ne cherchez pas une quelconque corrélation avec Le Silence de la Mer de Vercors, ce serait faire outrage à Vercors et à Melville, pas plus qu’un hommage à Corelli (dont il serait utile de vérifier si même un extrait d’œuvre est joué dans le film), ce métrage privilégiant les sirupeux compositeurs italiens du dix-neuvième siècle. Un film s’inspirant de l’occupation et des massacres perpétués sur l’île de Céphalonie en 1943 et où seul le casting est baroque, Nicolas Cage (dont le film marque le début du déclin de carrière) séduisant Penelope Cruz, sous l’œil noir de Irène Papas, présente pour des besoins de coproduction et dont c’est l’un des derniers rôles.
Autre occurrence de Corelli au cinéma, celle des Tontons Flingueurs (Georges Lautner, 1963) où alors qu’Antoine Delafoy (Claude Rich) entreprend sur un canapé la jeune Patricia (Sabine Sinjen), entrevoyant des finalités que nous vous laissons imaginer, le tout au son d’une musique présentée comme étant de Corelli (mais en réalité variation du thème principal) est dérangé par Lino Ventura, ne laissant à Claude Rich que le loisir d’une répartie un peu précieuse soulignant « Ah non, au moment où la petite flûte allait répondre aux cordes ». Ne cherchez pas du Corelli dans ce passage (le thème musical est signé Michel Magne) et soulignons qu’Arcangelo Corelli n’a jamais composé spécifiquement pour la flûte, même si l’on dispose déjà au disque de nombre de transcriptions pour flûte à bec.
C’est pourtant bien de flûte, et de Corelli dont il est question avec ce disque, dans lequel la flûtiste Anna Besson, accompagnée rien moins que de Myriam Rignol à la viole de gambe et de Jean Rondeau au clavecin ou à l’orgue, livre d’aimables transcriptions de quelques sonates majeures du trop connu Corelli, et du moins moins connu Jean-Baptiste Quentin, dit le Jeune (vers 1690-1742). Un théorbe aurait pu donner encore un peu plus de poésie (où est passé Thomas Dunford ?).
On connaît l’apport de Corelli à la fin du dix-septième siècle et au début du dix-huitième siècle dans la composition des nouvelles formes musicales que sont la sonate et le concerto, promptes à mettre en exergue les qualités de l’instrument soliste, tout particulièrement du violon dont il se fit l’un des spécialistes les plus renommés, notamment les 12 sonates de l’Opus V, divisé en deux parties, avec des sonates da chiesa et da camera. Paru à Rome en 1700, cet opus connu un succès immédiat et tout au long du dix-huitième siècle. En parallèle, le traverso connaissait une émancipation notable, joué en soliste avec succès, notamment par Michel Blavet (1700-1768) au Concert Spirituel dès 1726, et prenant peu à peu l’ascendant sur la flûte à bec. Rien d’étonnant donc à ce que les partitions pour violon de Corelli se trouvent transcrites (ajustées la terminologie de l’époque) pour traverso, dès la fin des années 1730.
Anna Besson a sélectionné trois des sept sonates de ce cinquième Opus de Corelli, respectivement la n°4, la n°3 et la n°5. On goûte la complicité fluide avec laquelle le trio de musicien se glisse dans une musique d’un équilibre solaire. La sonate n°4 illustre avec le plus de sensibilité la richesse de composition de Corelli, délivrant au fil des cinq mouvements une très riche palette instrumentale que les musiciens étalent avec gourmandise. La sonate s’ouvre par un Adagio que confine à la touchante lamentation, sur laquelle le son rond et boisé de la flûte d’Anne Besson convient à merveille. Elle se poursuit par un Allegro, au climat pastoral, soutenu par Jean Rondeau et son sautillant clavecin d’une grande clarté. La flûte se fait de plus en plus virtuose, enchaînant sur un Vivace aux très belles alternances de rythme, avant de retrouver un peu plus de tempérance avec un nouvel Adagio, rêveur et mélancolique, et de se conclure par un Allegro, tempéré et très structuré. Une véritable démonstration de la palette chromatique de l’instrument qui se retrouve avec une structure comparable dans les deux autres sonates de Corelli présentées dans cet enregistrement, dont on soulignera tout particulièrement la beauté sereine et quasi extatique des Adagios introductifs, en opposition aux évolutions ultérieures de la sonate, privilégiant un mouvement introductif rapide.
En embrassement des ces sonates de Corelli, Anna Besson propose quelques pièces de Jean-Baptiste Quentin, compositeur qu’elle avait eu l’occasion d’aborder au travers de certains de ses quatuors (album Conversations avec l’Ensemble Nevermind dans lequel on retrouve également Jean Rondeau – Alpha). Frère de Bertin Quentin, dit l’Aîné (vers 1690-1767) et comme ce dernier violoniste de formation, Jean-Baptiste Quentin entre en 1718 à l’Académie Royale de Musique et laisse en héritage une œuvre relative importante de compositions en sonates en trio (ou en quatuor) pour cordes. S’y distingue à la fois l’influence de Corelli, notamment dans certaines ornementations très italianisantes lors de certains passages, et une touche très française dans la rythmique et la structure de ses compositions.
Anna Besson et ses acolytes choisissent chez Quentin le Jeune la Sonata Sexta issue du Troisième livre de sonates pour violon seul, dont l’Adagio introductif fait alterner une flûte entraînante, et un violon reprenant le thème initial, une œuvre qui trouvera son complet accomplissement dans le Largo du troisième mouvement, longue plainte à la flûte soutenue à la viole. Une sonate exécutée juste avant le Largo, seul, extrait de la Sonate n°10 du même troisième livre, d’une mélancolique beauté. Jean-Baptiste Quentin s’avére plus émouvant et plus audacieux dans les mouvements lents que dans ses airs rapides, souvent bien plus conventionnels malgré l’engouement des musiciens. C’est encore le cas avec l’Andante du la seconde sonate du IIIème livre toujours de Quentin d’une très belle clarté, d’une légèreté toute en souplesse.
Voici donc un programme très cohérent, avec une très belle mise en lumière mordorée d’une période où la flûte traversière s’émancipe. Il ravira les amateurs d’équilibre sensible, accompagné du souffle suggestif d’Anna Besson, même si nous avouons finalement tout de même notre préférence chez Corelli pour les versions originales pour violon, notamment sous les archets fleuris d’Enrico Onofri (Passacaille) ou ascétique de François Fernandez (Naxos).
Pierre-Damien HOUVILLE
Technique : prise de son claire, même si l’on aurait souhaité que la flûte soit parfois moins mise sur le devant, au risque de parfois reléguer la viole et le clavecin trop à l’arrière-plan.
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