M. de Sainte-Colombe le fils
Pièces de viole
Suite en sol mineur
Suite en fa majeur
Suite en la mineur
Suite en mi mineur
François Joubert-Caillet, basse de viole
L’Achéron :
Sarah van Oudenhove, basse de viole
Yoann Moulin, clavecin
1 CD Ricercar / Outhere, 2024, 80’20
Le mystère du père est aussi celui du fils. Qui est-il, ce fils qui passa une partie de son existence outre-Manche, peut-être du fait de la révocation de l’Edit de Nantes en 1685 ? Le Peter St. Columb d’Edimburgh s’y installa à une date inconnue, se maria en 1695 puis y fut enterré en 1711 ? Un ou plusieurs autres Sainte-Colombe londonien(s) cette fois que divers actes mentionnent incidemment, ci pour le bénéfice d’un concert vocal (1713), là pour un facteur de flûtes à bec débiteur (1724), ou encore un registre de décès qui ne mentionne pas la profession du Peter St. Colombe décédé en 1739 et enterré à Aldersgate ? Nous laissons les lecteurs curieux se référer à la passionnante enquête de François-Pierre Goy qui figure dans la notice.
Mais qui qu’il fût (tournure correcte quoique stylistiquement douteuse), quelques œuvres de violes de ce fils – que Pascal Quignard ignora – nous sont parvenues via un manuscrit du violiste Philip Falle (1656-1742), chanoine de la Cathédrale de Durham. Il s’agit d’une anthologie de 327 pages qui puise souvent dans des sources imprimées ou des manuscrits aujourd’hui perdus. On ne sait pas vraiment de quand datent le manuscrit (la fourchette des chercheurs ratisse bien large, entre 1704 à 1739), mais les pièces les plus tardives semblent dater de vers 1705, d’après celles qui réutilisent des sources imprimées. On y trouve 36 pièces, en 6 suites incluant un Tombeau de M. de Sainte-Colombe le Père, probablement écrites pour une viole à 7 cordes (du fait des extrêmes graves et sinon de « sauts disgracieux »). Elles sont notées pour viole seule sans basse continue, mais depuis la page 100 du manuscrit jusqu’au 2 dernières pièces, le manuscrit ne comporte plus de basse continue, si bien qu’on ne sait si les pièces de M. de Sainte-Colombe le fils furent composées avec une basse continue non notée, ou bien pour viole seule. François Joubert-Caillet a fait le choix de reintroduire une basse continue, à la manière des pièces de Marais dont il a livré une superbe intégrale, d’un équilibre lumineux (Ricercar). Jordi Savall avait quant à lui fait le chemin inverse : un survol précoce de chaque Livre de Marais, et une version épurée et superbement méditative des pièces du fils en 2003, déjà (Alia Vox).
Par rapport à l’enregistrement terrien et profond de Savall, dont la solitude et les tempos accentue l’aspect mélancolique voire archaïsant, la vision de François Joubert-Caillet est déjà tournée vers l’assouplissement de la Régence. Sous son archet délié, d’une souplesse féline, se dépeint un Sainte-Colombe le Fils d’une vivacité colorée, sans nervosité mais non sans caractère, bien entouré par l’accompagnement complice et très présent de Sarah van Oudenhove et Yoann Moulin, qui dialoguent, soutiennent et répondent à la ligne principale avec un naturel chaleureux qui tire résolument les suites vers la musique de chambre. On louera la qualité du travail de restitution de la basse continue, réalisé avec une sobre élégance. Mais est-ce la familiarité avec l’élève de Sainte-Colombe le Père qui nous donne cette étrange impression de… déjà-vu comme l’utilise également nos amis anglo-saxons ? Car re-adaptées de la sorte, comme ces Suites sonnent comme du Marais ! Un Marais aimable, imaginatif, d’une éloquence fluide. L’Achéron excelle dans les préludes les courantes, les gavottes. On regrettera des Sarabandes qui gagneraient à laisser planer davantage de suspension et de poésie, un Tombeau moins sépulcral et désespéré que celui de Savall quoique d’une plénitude sonore admirable. Les 6 suites du manuscrit ont été regroupées en 5, par tonalités, de dimensions variables, et l’on s’étonne de l’impression d’ensemble souriante et mouvementée qui se dégage de ce Fragonard alors que quatre des suites sont en mineur. Cet optimisme confiant, cette sûreté d’exécution, cette confiance assertive, ce collectif soudé ne se retourne-t-il pas contre les interprètes, en un savoureux paradoxe ? Alors, oui avouons-le, nous resterons fidèle à Savall l’incommode, à son Sainte-Colombe le fils plus ascétique, plus en clair-obscur, plus taiseux. Est-ce le film de Pascal Quignard qui a irrémédiablement orienté notre imaginaire d’une famille Sainte-Colombe de noir vêtue ? Est-ce notre propension naturelle à préférer l’appel de la forêt aux lumières de la ville ? Quoiqu’il en soit, voici un enregistrement remarquable, à l’interprétation cohérente et convaincue, et qui explore un répertoire trop rarement joué, l’ombre du père (et dont on ne ressuscite également pas assez les concerts à deux violes égales) écrasant sans doute un peu celle de ce fils, tout comme l’éclat de Marais et de la magnifique intégrale de l’Achéron continue de rejaillir sur ce Sainte-Colombe énigmatique.
Viet-Linh Nguyen
Technique : enregistrement équilibré et précis, excellente balance entre les violes et le clavecin.
Étiquettes : Joubert-Caillet François, L'Achéron, Moulin Yoann, Muse : coup de coeur, Outhere, Ricercar, Sainte-Colombe le fils, Van Oudenhove Sarah, Viet-Linh Nguyen, viole de gambe Dernière modification: 27 février 2025