Rédigé par 17 h 12 min Concerts, Critiques

Déroulé de pelote (Madrigaux pour Ariane, Ensemble Aedes, Romano – Théâtre Firmin Gémier Antony, 13 février 2025)

L’Ensemble Aedes © Geraldine Aresteanu / site officiel de l’ensemble Aedes

“Madrigaux pour Ariane”

Claudio Monterverdi
Ecco mormorar l’onde, Livre II
La giovinetta pianta, Livre III
Altri canti d’amor, Livre VIII
Tempro la cetra, Livre VII
Bel Pastor, Livre IX
Si, si ch’iov’amo, Livre IX

Jean-Yves-Daniel-Lesur
Dialogue (extrait du Cantique des cantiques)

Claudio Monteverdi
Ardo, avvampo, Livre VIII

György Ligeti
Night

Claudio Monteverdi
Hor che’I ciel e la terra, Livre VIII

Benjamin Britten
The long Night (extrait de Sacred and Profane)

Claudio Monteverdi
Si tu mi lassi, Livre II
Il Lamento d’Ariana, Livre VI
Sinfonia (extrait de l’Orfeo, acte II)

Frank Martin
Full Fathom Five (extrait des Three Shakespeare Songs)

Claudio Monterverdi
Cantai un tempo, Livre II

Ensemble Aedes :

Sopranos : Agathe Boudet, Roxane Chalard, Laura Holm (solo Bel Pastor), Jeanne Lefort, Amandine Trenc,
Altos : Julia Beaumier, Laia Cortès Calafell, Lauriane Le Prev, Charlotte Milbéo,
Ténors : Anthony Lo Papa (solo Tempro le cetra et Si, si ch’iov’amo), Nicolas Rether (solo Altri Canti d’amor, tempro la cetra), Florent Thiaux (solo Tempro le cetra), Ryan Veillet (solo Tempro la cetra, bel Pastor et Si, si, ch’iov’amo),
Basses : Pierre Barret-Mémy, Emmanuel Bouquey, Sorin Adrian Dumitrascu (solo Altri Canti d’amor), Alejandro Gabor, Louis-Pierre Patron (solo Si, si Ch’iov’amo).
Ensemble Aedes

Violon 1 : Fiona-Emilie Poupard
Violon 2 : Camille Aubret
Viole de gambe : Robin Pharo et Ronald Martin Alonso
Violone : Etienne Floutier
Théorbe : Victorien Disse
Harpe : Pernelle Marzorati
Orgue et clavecin : Nora Dargazanli

Direction : Mathieu Romano

Théâtre Firmin Gémier / Patrick Devedjian, Antony, jeudi 13 février 2025.

Le Dernier Livre de Madrigaux avait en 2021 suivi de quelques semaines la disparition de son auteur, Philippe Jaccottet, dont la discrétion éclipsait parfois l’importance de l’œuvre, faisant notamment oublier qu’il entra à peu près en même temps que Jean d’Ormesson dans le cercle très fermé des auteurs ayant vu un volume de la Pléiade leur être consacré de leur vivant. Un recueil de poèmes comme un écrin et un hommage aux mythes, légendes et autres auteurs ayant au fil des décennies inspiré l’écrivain, une ode à la nuance et à la légèreté ciselée, dont le titre apparaît aussi comme un hommage en filigrane à Monteverdi.

Pour leur dernière création, présentée pour la première fois ce soir dans l’enceinte du Théâtre Firmin Gémier / Patrick Devedjian d’Antony, l’Ensemble Aedes nous invite lui aussi à sertir quelques joyaux, à joliment les mettre en exergue, dans un programme auquel le terme de recueil sied plus que tout autre dans ce qu’il insinue d’associations toutes sauf fortuites, de mise en relation, en relief, comme un écheveau dont on tisserait savamment les fils.

Et de fil il en est question, Il Lamento d’Ariana, qui ouvre le Sixième Livre de Madrigaux constituant le point d’orgue d’un programme largement consacré à Monteverdi, mais aussi à quelques-uns de ses successeurs et pas forcément contemporains, comme l’exposé des méandres et ramifications d’une œuvre originelle dont l’épure ne cesserait de féconder la musique, jusque dans les inspirations les plus actuelles.

On connait la capacité de l’ensemble Aedes à se jouer des époques pour développer une interprétation des œuvres vocales liguant dans une même rigueur les grands motets de Lalande (avec Le Poème Harmonique, en 2018 chez Alpha) ou plus récemment Gabriel Fauré et Francis Poulenc (Aparté). Leurs interprétations en propre ou en collaboration avec des formations orchestrales renommées ont tissé une discographie émaillée de belles réussites (la seconde mouture de Cadmus & Hermione de Lully toujours avec Vincent Dumestre chez Alpha) ou… de moins heureuses (une Clémence de Titus poussive sous la baguette de Jérémie Rohrer, Alpha).

Est-il besoin de rappeler que le fameux Lamento d’Arianna, pièce centrale et fil du programme de ce soir, constitue le seul extrait conservé de L’Arianna, second opéra de Monteverdi, crée à Mantoue en 1608 sur un livret d’Ottavio Rinuccini et perdu, probablement définitivement, à l’exception de ce lamento. Aedes en livre la version monodique à cinq voix, telle que publiée en 1614 dans le Sixième Livre de Madrigaux. Evocation du désespoir des amours contrariées d’Ariane pour Thésée, ce chant apparaît aussi comme l’une des compositions les plus abouties du compositeur, qui insuffle en subtiles inflexions, en délicates nuances dans les oreilles de l’auditeur toutes les émotions vécues par son personnage, du désespoir soudain, de la peine plus durable, les accents de colère et les espoirs de dépassement du malheur, dans un savant et subtil dosage. On salue l’art consommé de l’épure des musiciens, qui ne cherchent jamais à surligner les affects, mais aptes au contraire à délivrer une ligne vocale d’une grande fluidité, d’un parfait relief et d’une belle homogénéité.

Mathieu Romano a sélectionné quelques-unes des plus belles pages du répertoire de Monteverdi, à l’exemple des plus tardifs madrigaux du livre VIII (Madrigali guerrieri e amorosi) daté de 1638 et par bien des aspects à classer parmi les compositions les plus élaborées de Monteverdi, dont nous est donné le plaisir d’entendre ce soir à la fois le Altri canti d’Amor, ouvrant le recueil et grande page musicale expressionniste sur le sentiment amoureux avec beau passage soliste du ténor Nicolas Rether, ou encore le Ardo avvampo et le vocalement piégeux Hor, che’l ciel e la terra e’l vento tace, nécessitant une précision d’exécution collective que relève avec aisance les différentes voix. On trouve également des œuvres plus précoces, toujours de la plume de Monteverdi, tirées des premiers livres à l’exemple du final Cantai un tempo (Livre II) ou de l’initial Ecco mormorar l’onde (sur un poème du Tasse), sur lequel nous relèverons une coordination rythmique collective un peu chancelante. Cette déambulation madrigalesque s’avère fort plaisante et très raffinée, grâce à la très belle prestation des quatre ténors de l’ensemble sur le magnifiquement dosé Tempro la cetra (tiré du Livre VII) (Anthony Lo Papa, Nicolas Rether, Florent Thioux et Ryan Veillet).

L’on sera moins éloquent quant à la digression vers des œuvres d’un répertoire nettement plus contemporain, comme pour souligner l’héritage de Monteverdi et les formes nouvelles que peuvent prendre les compositions chorales. Une approche là encore sans emphase ou surlignement qui verra agréablement s’intégrer dans le fil du programme un Dialogue (extrait du Cantique des Cantiques, composé pour douze voix) de Daniel-Jean-Yves Lesur (1908-2002), hommage parfaitement maîtrisé à son prédécesseur, ou la plus ténébreuse et inquiétante Night de Ligeti (1923-2006), belle et courte évocation de formes plus contemporaines de la musique, une assez consensuelle Full Fatham Five de Franck Martin (1890-1974) auquel nous préférons le plus complexe et expressif The Long Night de Britten, extrait de Sacred and Profane (1975).

Ce fut en définitive un programme conçu comme une recomposition autour de la figure d’Ariane et de Thésée, évocation des pages perdues de Monteverdi au travers de celles qu’il nous a laissé et de celles qu’il a inspiré. La soirée fut marquée par la grâce de l’interprétation nuancée et respectueuse de l’Ensemble Aedes qui avec cette exploration toute en variations du répertoire madrigalesque nous offrit un moment lumineux.

 

                                                                       Pierre-Damien HOUVILLE

 

Ce programme sera donné le 6 mars prochain au conservatoire d’Abbeville (Somme)

 

Étiquettes : , , , Dernière modification: 25 février 2025
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