
La salle du Teatro Regio Ducale de Milan, gravure parue dans Serviliano Latuada, Descrizione di Milano, (1737) – Source : Wikipedia Commons
Le Teatro Regiale Ducale de Milan, était financé principalement par les revenus non de la musique mais… du jeu ! L’opéra fonctionnait comme un casino pendant les représentations, l’atmosphère loin du recueillement moderne plongé dans la pénombre était celle d’une salle éclairée (avec les moyens de l’époque), à l’atmosphère bruyante et tapageuse, voire chaotique. Les riches aristocrates étaient naturellement présents autant pour la représentation en société et le jeu que pour la satisfaction musicale. Il faut dire que les représentations, entre ajouts de ballets et entractes, pouvaient durer plus de six heures !
Qu’on s’imagine peu une représentation comme un gigantesque entracte actuel, où salles de jeu et baraques de rafraichissements tournaient à plein régime, où les « spectateurs » passaient de loges en loges, discutaient, mangeaient, applaudissaient ça et là après leurs airs favoris. Certaines loges – celles de face – pouvaient accueillir une dizaine de personnes ! Celle de l’archiduc avait même un salon et une chambre. Dans le restaurant, l’on pouvait chauffer des repas pour les déguster dans les loges privées.
Ecoutons le Docteur Charles Burney (qui eut l’honneur de rencontrer Mozart dès 1764-65 à Londres puis à Bologne en août 1770) dans ses carnets et son ouvrage fondamental The Present State of Music in France and Italy (London, 1771) : le fameux voyageur, historien de la musique, biographe de Haendel et compositeur décrit d’une plume alerte incomparable l’ambiance d’une représentation milanaise [NdLRorthographe de la traduction de l’époque conservée, de même que les italiques] :
“Au ballet, le théâtre était illuminé d’une manière très brillante, et pour moi d’une manière toute nouvelle, avec des lampions de couleurs, qui fesaient un très-bel effet ; on en vait garni avec profusion le théâtre et le plafond aussi bien que les côtés.
La Théâtre de Milan est très-vaste et très-beau. Il a 6 rangs de loges de chaque côté, en tout 100 dans chaque rang, et une large galerie qui règne parallèlement, fesant le tour du bâtiment, et servant d’arrivée à chaque rang. Chaque loge peut contenir six personnes assises de chaque côté et se fesant face les unes aux autres. De chaque, et en traversant la galerie de communication, on va dans un appartement complet ayant chambre ç feu et toutes les convenances possibles pour préparer des rafraichîssemens, soit pour jouer aux cartes. Au 4.e rang, il y a un jeu de Pharaon de chaque côté de la salle et qui reste ouverts pendant tout le tems que dure l’opéra. Il y a en face une très-grande loge, aussi grande qu’une salle à manger ordinaire à Londres, et séparée pour le Duc Gouverneur de Milan et la Princesse sa sœur, qui s’y trouvèrent tous deux alors. Il se fit un bruit abominable pendant la représentation, et qui ne cessa que pour entendre chanter deux ou trois airs et un duo qui enlevèrent l’auditoire. A la fin du duo, les applaudissemens continuèrent avec violence, jusqu’à ce que les acteurs revinssent, pour le recommander ; c’est là le moyen ordinaire qu’on emploi pour demander l’air et le chanteur favori. (…) La troupe est très-nombreuse, et l’orchestre est vaste en proportion de l’étendue du théâtre qui est beaucoup plus grand que la salle du grand opéra à Turin. Jusque dans le plus haut étage on est assis en face ; et ceux qui n’ont pas de sièges, se tiennent debout derrière la galerie. Toutes loges sont ici louées pour la saison comme à Turin. Pendant les entr’actes on circule du parterre dans les escaliers, on se promène autour des galeries. – Il n’y avait qu’un ballet qui fut très-long.( …)
Ici l’opéra est donné à entreprise à une Société de 30 seigneurs qui payent chacun 60 sequins, pour lesquels chaque souscripteur a une loge, le reste est loué à l’année au prix de 50 sequins au premier rang, 40 au second, 30 au troisième, et ainsi dans la même proportion. La recette occasionnelle ne provient que des places du parterre et de celles du paradis ou Piccionaja ; on joue tous les jours, excepté les vendredis.”

L’escalier du Teatro Regio Ducale de Milan, gravure parue dans Serviliano Latuada, Descrizione di Milano, (1737) – Source : Wikipedia Commons
Hélas, cette splendide et immense salle, qui était située dans l’une des ailes du palais ducal, ne fonctionna que de décembre 1717 à février 1776, où elle partit en fumée lors d’une nuit de carnaval, incendie sans doute dû à une main criminelle. Il fut remplacée par la Scala, qui en reprit la dénomination (Nuovo Regio Ducal Teatro alla Scala, salle mythique qui subsiste jusqu’à ce jour. Mais la salle où furent créés – entre autres – Mitridate, Ascanio in Alba, ou Lucio Silla du jeune Mozart n’est plus que souvenir.
Viet-Linh NGUYEN
En savoir plus :
- C. BURNEY, De l’état présent de la musique en France et en Italie, dans les Pays-Bas, en Hollande et en Allemagne, ou Journal de voyages faits dans ces différens pays avec l’intention d’y recueillir des matériaux pour servir à une histoire générale de la musique, Traduit de l’anglais par Ch. Brack, chez J. Giossi (Gênes), 1809-1810, p.68 et suivantes disponible sur Gallica / BnF
- Une version abrégée (centrée sur la musique et délaissant les autres arts également mentionnés) mais annotée par Michel Noiray est parue chez Flammarion (1992) sous le titre “
- Une description détaillée de l’incendie de 1776 (en italien) : https://www.divinamilano.it/lingloriosa-fine-del-vecchio-regio-ducal-teatro/