Rédigé par 11 h 04 min Concerts, Critiques

Nympho-maniaque (Virginie Thomas & Friends – Temple du Foyer de l’Âme, 27 septembre 2023)

Nymphes

Prologue

Henri Desmarets (1661-1741), Circé : Prélude pour la nymphe de la scène, bornez ici votre course incertaine
Jean-Baptiste Lully (1632-1687), Le Triomphe de l’Amour : Gavotte pour Orithie et ses Nymphes ; Entrée des Nymphes de Diane
Jean-Baptiste Lully, Alceste : L’Art d’accord avec la nature
Jean-Baptiste Lully, Isis : Deuxième air

Acte I
Jean-Baptiste Lully, Armide : Prélude, Au temps heureux où l’on sait plaire ; 
Prélude, Ah ! Quelle erreur ! Quelle folie !
Pascal Colasse (1649-1709) et Louis Lully (1664-1734) : Le Ballet des Saisons,
Me plaindrai-je toujours, Amour, sous ton empire ?
François Couperin (1668-1733), Premier livre de pièces de clavecin : 
Les Idées Heureuses
Jean-Baptiste Lully, Proserpine : 
Les beaux jours et la Paix sont revenus ensemble ; Premier Air, Que notre vie doit faire envie, Belles fleurs, charmant ombrage ; Second air, vaine fierté, faible rigueur
Jean-Baptiste Lully, Le Triomphe de l’Amour : Air pour l’entrée de Borée et des 4 vents

Acte II 
André Campra (1660-1744), Tancrède :
Menuet ; Nos plaisirs seront peu durables ; Règne, Amour
André Campra, Aréthuse ou la Vengeance de l’Amour : Sévère tyran de mon cœur
François Couperin (1668-1733) Deuxième livre des pièces de clavecin : L’Atalante
François Colin de Blamont (1690-1760), Endymion :
Jouissez de l’heureux partage ; Dans nos forêts tout plaît, tout enchante, ; Loure ; Rondeau ; Chantons dans ces retraites
François Couperin, Premier livre de pièces de clavecin : La Flore

Acte III
François Francoeur (1698-1787) et François Rebel (1701-1775), Ismène :
Ô vous qui nous fîtes entendre
François Francoeur et François Rebel, Zélindor, roi des Sylphes : Air pour les Nymphes ; Il faut que tout seconde ; Air, Sur vos pas, par quel charme admirable

Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville (1711-1772), Titon et l’Aurore : Air lent et très doux, Que je plains les cœurs amoureux ; Ce ruisseau qui dans la plain
François Francoeur et François Rebel, Zélindor, roi des Sylphes ;
Passepied
Jean-Marie Leclair (1697-1764), Scylla et Glaucus :
Serments trompeurs
Jean-Philippe Rameau, Platée : Premier menuet dans le goût de vielle ; Premier air pour les fous ; Soleil, fuis de ces lieux

Virginie Thomas & Friends :

Virginie Thomas, dessus
Maud Gnidzaz, Juliette Perret, dessus
Anaïs Bertrand, bas-dessus

Emmanuel Resche-Caserta, dessus de violon
Christophe Robert, dessus de violon et haute-contre de violon
Maialen Loth, taille de violon
Satryo Yudomartono, quinte de violon
Elena Andreyev, violoncelle
Etienne Galletier, théorbe
Alexis Kossenko et Sam Crowther, flûtes traversières
Neven Lesage et Jon Olaberria, hautbois
Josep Casadellà-Cunillera, basson
Béatrice Martin, clavecin

Temple du Foyer de l’Âme, Paris, 27 septembre 2023

Les temps semblent propices à la mise en exergue des figures féminines issues du répertoire lyrique. Après l’album Héroïnes de Camille Delaforge et de l’ensemble Il Caravaggio (Château de Versailles Spectacles, 2023) qui rendait hommage à quelques belles et valeureuses femmes de la cantate française, c’est au tour de la soprane Virginie Thomas de composer tout un programme  autour de la figure de la Nymphe, créature mythologique, dans la musique souvent reléguée aux rôles secondaires, mais inspiratrices de somptueuses pages de la musique que le concert de ce soir, suivant la parution d’un album éponyme chez L”Encelade (dont le compte-rendu sera à retrouver prochainement dans nos pages) s’attache à mettre en valeur.

Habituée des rôles du répertoire baroque, la liste des collaborations souvent prestigieuses de Virginie Thomas fait apparaître plusieurs rôles de nymphe, à l’exemple non exhaustif de l’Armide de Lully (sous la direction de William Christie au TCE en 2008) ou dans Titon et l’Aurore de Mondonville (toujours sous la direction de William Christie à la salle Favart en 2021). Elle fut d’ailleurs révélé par le Jardin des Voix de Thiré du chef. A ces rôles de nymphes tenus par Virginie Thomas peuvent avantageusement s’ajouter ses compositions de bergère, muse, naïade et vraie suivante, tout un large spectre de créatures mythologiques, légendaires ou mystérieuses qui peuplent les partitions de l’opéra baroque français. Le plus souvent faussement naïve, ponctuant un argument tragique d’une touche bienvenue de légèreté, la nymphe suggère l’émancipation, ouvre l’horizon des possibles, révèle un destin possible. Elle est le recul nécessaire, la hauteur bienfaisante sur le tourment des passions, comme un trait d’union entre les sentiments souvent contradictoires qui agitent les êtres.

Un programme comme un petit point sur la question, la nymphe, souvent aquatique (on parle alors de naïades, qui elles-mêmes se déclinent selon qu’elles vivent par exemples dans les lacs ou rivières), parfois terrestre (à l’exemple des Hespérides) se cachant sous de multiples visages, aux oraisons tantôt sages et tantôt funestes, incarnation des multiples aspérités de la conscience humaine.

Avec la complicité du musicologue Benoît Dratwicki et de ses complices musiciens, Virginie Thomas a choisi de se replonger dans les nombreuses déclinaisons de la nymphe dans la musique française pour élaborer un programme construit en un prologue et trois actes, comme autant de facettes de ces muses inspiratrices. Bref, un programme assurément nympho-maniaque et avec des extraits d’œuvres rares !

C’est le Temple protestant du Foyer de l’Âme qui accueille ce soir ce concert de lancement, permettant à cette occasion de découvrir derrière une façade de briques grises assez austère un bel édifice Art Nouveau aux inspirations antiques, avec mélanges des compositions florales propre au style avec les feuilles d’acanthe des colonnes corinthiennes, et dont on apprécie particulièrement la verrière de plafond éclairant l’ensemble. Bel écrin pour un concert, même si les boiseries de l’autel obligent les musiciens à quelques contorsions pour se placer et que le son de l’ensemble aurait gagné à être quelque peu plus aéré.

Virginie Thomas explore dans son programme plus d’un siècle de production musicale, du Lully des premières années du règne de Louis XIV au milieu du dix-huitième siècle avec cet intéressant extrait d’Ismène (1747) pastorale héroïque de François Francoeur et François Rebel, peu joué et sur laquelle la soprane enchante, d’une gravité larmoyante mais touchante sur le « Ô vous qui nous fîtes attendre ». Une musique d’un baroque tardif, déjà épris d’une sentimentalité intériorisée et toute individuelle.

Alors certes, on peut à cet air quasi romantique avant l’heure préférer l’introductif prélude pour la Nymphe de la Seine, extrait du Circé (1694) de Henri Desmarest sur lequel Virginie Thomas démontre des qualités de diction et d’usage ancien de la prononciation s’accordant à merveille à ce type de répertoire (« Bornez ici votre course incertaine ») ou bien encore le champêtre, léger et virevoltant « L’art d’accord avec la nature » (Jean-Baptiste Lully, Alceste, 1674) à la très convaincante amplitude vocale. Lully qui sied bien à Virginie Thomas, qui après un détour avec le deuxième air d’Isis (1677), poursuit avec quelques extraits de Armide (1686) ou après un savoureux et taquin « Au temps heureux où l’on sait plaire » elle est rejointe par ses trois complices, Maud Gnidzaz, Juliette Perret et Anaïs Bertrand sur un « Ah ! quelle erreur ! quelle folie ! » parfaitement posé, qualités sur l’on retrouvera en suite de programme sur « Les beaux jours et la paix sont revenus ensemble » (Lully, Proserpine, 1680).

La voix de Virginie Thomas se fait plus grave, le timbre plus résigné, presque tragique sur le « Me plaindrai-je, Amour, sous ton empire » (Louis Lully et Pascal Colasse, Les Saisons, 1695), tout comme elle séduit par sa détermination, toujours accompagnée de ses comparses dans les extraits donnés de Proserpine « que notre vie doit faire envie » et « Belles Fleurs, charmant ombrage ».

Le deuxième acte du programme fait la part belle à quelques œuvres et compositeurs moins connus, où l’on relèvera un charmant menuet « Nos plaisirs seront peu durables » extrait du Tancrède (1702) de André Campra, remarquablement bien introduit par le flûtiste Alexis Kossenko, par ailleurs chef des Ambassadeurs – La Grande Ecurie, et si nous sommes moins emportés par l’extrait assez conventionnel tiré du Aréthuse ou la Vengeance de l’Amour (1744) l’alliance des voix et des instruments sur la composition très structurée du peu connu Endymion (1734) de François Colin de Blamont, avec grand renfort de bassons et hautbois remporte nos suffrages.

La voix de Virginie Thomas, souple et expressive, capable d’une belle amplitude et d’une qualité de diction que nous avons déjà soulignée fait encore merveille dans les extraits depuis longtemps connus de la chanteuse du Titon et l’Aurore (1753) de Mondonville, en particulier le lent et doux « Que je plains les cœurs amoureux » et « Ce ruisseau qui dans la plaine ».

Reconnaissons que malgré un concert ponctué par quelques intermèdes au clavecin de Béatrice Martin, faisant revivre à nos oreilles quelques pages des livres de pièces de clavecin de François Couperin (Les Idées Heureuses, l’Atalante, La Flore), la voix de Virginie Thomas marque une certaine fatigue en toute fin de concert, sur les deux derniers airs, un extrait du Scylla et Glaucus (1746) de Jean-Marie Leclair, « Serments trompeurs » et un dernier détour par le premier air des fous « Soleil, fuis de ces lieux » extrait du Platée (1745) de Jean-Philippe Rameau.

Au final, un concert s’avérant une indéniable réussite et une plongée savoureuse chez ces nymphes entremetteuses et mutines de l’opéra français, en compagnie de Virginie Thomas, dont la voix et la connaissance de ce répertoire suscitent le plus grand intérêt.

 

                                                                       Pierre-Damien HOUVILLE

 

 

Étiquettes : , , , , , , , , , Dernière modification: 2 octobre 2023
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